Dans son dernier ouvrage, Philippe Val part en guerre contre les sociologues qu’il accuse de tous les maux de notre société. Entre aigreur et colère mal rentrée.
Le sujet
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A quoi tient le malaise diffus de nos contemporains ? Au sociologisme, assène, sans rire, Philippe Val, ex-directeur de Charlie Hebdo et de France Inter, dans son livre Malaise dans l’inculture. Déplorant “l’indifférence à la culture” et “le mépris de la politique” de notre époque, l’auteur accuse cette “dérive de la sociologie qui s’est donné pour mission de restaurer idéologiquement un mur de Berlin que le dégoût de l’oppression avait pourtant fini par faire tomber”. Avouant avoir écrit son essai pour comprendre son “allergie” à la “sociologie engendrée par Rousseau, élevée par Marx et liftée par Bourdieu”, Val explique la crise actuelle par cette doxa qui indiquerait la voie du bien et du mal, “qu’il s’agisse de la réintroduction des ours, d’un licenciement à la Poste ou du meurtre de Juifs perpétré par un jihadiste dans une école” !
Le souci
N’ayant peur de rien, Val identifie dans les textes de Rousseau le lieu du péché originel. L’auteur des Confessions aurait “inventé le soviet suprême” et “formalisé une pensée politique victimaire qui autorise tout à celui qui est classé dans les opprimés, et rien à celui qu’il range parmi les oppresseurs”. Assumant les confusions, Val tire un fil entre Rousseau, Staline, Bourdieu, les Pinçon-Charlot ou Edgar Morin, socles d’une vision du monde qui supposerait “une irresponsabilité totale de l’individu”, qui donnerait toujours raison aux dominés et tort aux dominants. En professant “une idéologie de dame patronnesse”, le “journalisme malade de la sociologie” et la “gauche sociologisante” auraient fini par “gagner l’adhésion d’à peu près tout le monde” (même à Valeurs actuelles, au Figaro, au Point… ?), regrette Val. Malaise, oui : mais ce malaise se loge moins dans l’inculture des médias que dans celle de Val lui-même, fût-il voltairien. Reviens Rousseau, il est devenu fou.
Le symptôme
Caricaturant les approches sociologiques, réduites au seul prisme bourdieusien, lui-même plus complexe que ce qu’il en dit, Philippe Val se contente de reproduire un motif usé : la domination stalino-marxiste du monde, dont les journalistes fascinés par Plenel seraient les chiens de garde. Dans la guerre idéologique que Val dévoile avec autant de maladresse que de sincérité, plusieurs fronts se dégagent : le petit jeu acrimonieux contre ses pairs avec lesquels il s’écharpe depuis des années, une opposition culturelle entre la gauche libérale qu’il prétend incarner et la gauche critique qu’il déteste et à laquelle il s’oppose sur tout (l’écologie, l’Europe, Israël et la Palestine…), l’opposition des regards sur le monde social entre ceux qui comme lui défendent la responsabilité individuelle que rien ne peut entraver et ceux qui réfléchissent au cadre socio-historique dans lequel agissent les individus… Par-delà sa défense légitime des vertus d’une culture partagée, Val s’égare dans sa colère aveuglée par l’aigreur. Seul un journalisme éclairé par les sciences sociales pourra, en cherchant à en comprendre les raisons, calmer le malaise d’une époque dans laquelle résonne moins la voix des incultes que celle des cuistres.
Val en chiffres
5 : Le nombre d’années où Val dirigea France Inter entre juin 2009 et mai 2014. Il avait été nommé par Jean-Luc Hees, qui jure encore n’avoir jamais été inspiré dans son choix par Nicolas Sarkozy.
17 : Le nombre d’années, entre 1992 et 2009, où il a été à la tête de Charlie Hebdo.
2008 : L’année où Val contraint Siné à quitter le journal suite à un texte jugé antisémite. En 2009, le tribunal de grande instance de Paris condamne la société éditrice de Charlie Hebdo à 40000 euros de dommages et intérêts pour rupture abusive de leur collaboration.
330 000 : Fin juillet 2008, la rédaction de Charlie apprend que 85% des bénéfices de l’entreprise ont été redistribués en dividendes entre les actionnaires, dont 330000 euros pour Val. Malaise dans la rédaction.
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