Candidat à la présidentielle du NPA pour la deuxième fois consécutive, Philippe Poutou est pourtant rarement invité sur les plateaux télé, qui lui préfèrent Olivier Besancenot. Dans une interview à « Acrimed » il commente le dédain des rédactions à son égard.
Olivier Besancenot n’est plus porte-parole du NPA depuis 2011 et a laissé sa place de candidat à la présidentielle à Philippe Poutou en 2012, comme en 2017. Pourtant, c’est encore lui que l’on voit sur les plateaux télé pour représenter le parti d’extrême gauche issu de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). La faute aux rédactions, qui préfèrent inviter leur chouchou au visage poupin, rompu à l’exercice cathodique, qui avait recueillis 4,25% et 4,08% des voix respectivement en 2002 et en 2007, plutôt que l’ouvrier à l’usine Ford de Blanquefort.
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Le NPA, qui revendique son opposition au modèle du professionnel de la politique, a tout fait pour subvertir les règles du système médiatique, en vain. Ainsi, qui connaît aujourd’hui le visage de Christine Poupin, porte-parole du parti depuis 2011 ? Personne. Que faire dans ce contexte ? Les tribunes incontournables que représentent les médias télévisuels pour s’adresser à un public massif valent-elles le coup de jouer le jeu du système le temps d’une émission ?
« Je ne veux pas faire une carrière politique »
C’est tout le problème qu’examine Philippe Poutou dans une interview publiée sur le site de l’association Acrimed (Action Critique Médias) – la première d’une série annoncée sur ce même thème avec d’autres personnalités politiques.
Comme il le rappelle, et comme cela avait déjà été remarqué lors de la campagne présidentielle de 2012, il a souvent fait l’objet de remarques condescendantes de la part des grands médias qui l’ont interviewé. Son non-professionnalisme, le fait qu’il ne possède pas les mêmes codes rhétoriques que ses adversaires, ni les mêmes vêtements, ou encore qu’il assume de ne pas s’assigner le même objectif de conquête du pouvoir, a souvent été pris pour de la naïveté – moitié touchante, moitié dérisoire – par les journalistes. Comme lorsqu’on lui balance à la figure que « son nom le sauve », en 2011 sur le plateau d’On n’est pas couché, ou qu’il n’a pas le même charisme qu’Olivier Besancenot, en avril 2012 dans Des Paroles et des actes. Ce à quoi il avait répliqué :
« Je ne veux pas faire une carrière politique. Ça surprend, surtout par rapport aux autres… Besancenot n’a pas voulu continuer il m’a dit ‘ben tiens, fais-le, tu vas te faire chier toi aussi, à ton tour… ».
https://www.youtube.com/watch?v=c8g-It0eiUs
« Le ton de BFM TV s’est durci »
Sur le site d’Acrimed, il révèle cependant le « off », ce qui précède les émissions dans lesquelles lui ou, plus souvent, Besancenot, sont invités. Il énumère ainsi les refus que lui opposent les rédactions lorsqu’il manifeste le souhait d’intervenir an nom du NPA, plutôt qu’Olivier Besancenot :
« Parfois les télévisions acceptent, mais c’est rare. On nous répond souvent : ‘C’est promis, on invitera Poutou la prochaine fois !’, et puis la fois suivante, c’est encore Olivier ».
Parfois la phase de négociation est plus brutale, comme avec BFM TV, comme il le rapporte :
« Pour l’émission du dimanche 1er mai sur BFM TV, nous avons insisté pour que j’y aille, mais le ton de BFM TV s’est durci. En substance, ils nous ont avertis par une phrase du genre : ‘Si Besancenot ne vient pas, nous n’inviterons plus Poutou’. Ils nous ont expliqué qu’ils avaient déjà fait la bande-annonce, que tout était prêt pour Besancenot ».
Scène hallucinante qui témoigne de l’asymétrie de pouvoir entre les représentants de petits partis et les grands médias. Par la suite, il a bel et bien été invité, mais affirme avoir fait l’objet de remarques désagréables d’un journaliste et de Olivier Truchot le ramenant à sa position d’infériorité : « Poutou, celui qui se plaint de ne pas être invité » ou « vous voyez bien qu’on vous invite ».
« Dès qu’il faut un ‘contestataire’, c’est Olivier »
Après les faits, l’analyse. Comme nombre de militants de la gauche de la gauche, Philippe Poutou observe que les médias assignent des rôles à leurs invités, et qu’ils ne sont pas interchangeables : « Dès qu’il faut un ‘contestataire’, c’est Olivier. […] Quand on propose Christine [Poupin, ndlr], ils s’en moquent complètement, ils ne se sentent aucune obligation puisque ce sont eux qui choisissent et qui décident ». A ses yeux, passer à la télévision expose donc au risque de devenir un personnage des médias, en l’occurrence le gauchiste de service.
François Ruffin, le réalisateur de Merci Patron!, en a fait l’amère expérience. Déprogrammé d’Europe1, puis subrepticement reprogrammé dans l’émission de Jean-Michel Aphatie, il s’était présenté avec la ferme volonté d’imposer son propre cadre au débat. Ce fut un semi-échec, car il est apparu à l’oreille des auditeurs comme un forcené sectaire et fondamentalement anti-médias. Son passage sur le plateau d’On n’est pas couché lui a également valu quelques critiques. Lors d’un entretien qu’il nous accordait en avril dernier, il estimait que le jeu en valait la chandelle :
« Comme je sais que je souffre d’une absence de représentation de gens qui portent ma parole dans les médias, je me dis : pourquoi ne serais-je pas l’un de ceux qui incarne une autre parole dans les médias ? Moi je pense que j’ai bien fait d’aller chez Ruquier. »
Contourner le problème ?
Pour contourner le problème et faire entrer par effraction leurs idées dans la sphère publique, les révolutionnaires ont toujours pris le parti de produire leurs propres médias. Au début du XXe siècle, Lénine a ainsi fondé le journal L’Iskra (« L’Étincelle« ) car « à ses yeux, la première condition pour unifier les quelques mouvements locaux [était] de fonder un journal politique destiné à toute la Russie. […] Lénine n’écrivait que pour influencer l’action des hommes. Sa capacité à s’exprimer en termes très simples, voire banals, sous la forme de lieux communs, est sa force d’agitateur politique », écrit son biographe, l’historien Jean-Jacques Marie.
Ce n’est cependant pas L’Anticapitaliste, l’hebdomadaire du NPA, qui va peser dans la balance en vue de 2017. Internet pourrait en revanche constituer un formidable moyen de contourner les médias traditionnels. Mais l’extrême gauche a longtemps déserté ce terrain, prenant un retard considérable. Et ce n’est pas l’url du site du NPA – « http://www.npa2009.org/ -, qui va le démentir.
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