Un an après son élection au secrétariat général de la CGT, suite à la démission remarquée de son prédécesseur, Philippe Martinez fait de nouveau la une dans le cadre de la contestation du projet de loi El Khomri. L’occasion de revenir sur le parcours du métallo, ses idéaux et sa vision du syndicalisme, alors que s’ouvre le congrès de la CGT à Marseille, .
La CGT est réunie en congrès à Marseille jusqu’au 22 avril. 1 000 délégués venus de toute la France débattront de l’avenir du syndicat qui est en proie à des difficultés. Le syndicat, déjà plombé par l’affaire Lepaon, est menacé de perdre sa première place au profit de la CFDT, et pour reprendre la main, il fait le choix de la radicalité face à la loi El Khomry, dont il demande le retrait pur et simple. Une stratégie audacieuse – ou un pari risqué ? – qu’incarne le nouveau secrétaire qui réfute cependant l’idée que la CGT est fermée à la discussion.
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La désormais célèbre moustache noire de Philippe Martinez a défilé au premier rang, lors des manifestations du 9 et du 31 mars à Paris. Elle a également fait le tour des plateaux de télévision, et des studios de radio : son propriétaire, le secrétaire général de la CGT, et son syndicat, mènent la lutte contre le projet de loi travail de la ministre Myriam El Khomri. Une aubaine, entend-on, pour un syndicat qui peinerait à trouver sa ligne directive, en plein congrès à Marseille.
A Montreuil, une poignée de main ferme nous accueille à la porte d’un bureau spacieux du huitième étage du bâtiment de la CGT ; celui-là même dont la rénovation, aux frais du syndicat, avait poussé le prédécesseur de Philippe Martinez, Thierry Lepaon, à démissionner, début 2015.
Des concours de circonstances
A propos de son élection au secrétariat général, il y a un peu plus d’un an, Martinez évoque un « concours de circonstances« , un peu comme pour le reste de son parcours syndical. Arrivé chez Renault à Billancourt en 1982, alors âgé de 23 ans, ce technicien s’engage dans la CGT presque par hasard :
« Déjà à l’époque, quand on entrait dans une entreprise, on avait un boulot qui ne correspondait pas toujours à notre niveau de diplôme. On ne râle pas tout de suite, je ne me suis pas jeté sur un délégué syndical ».
Dans les années 1980, Renault connaît une importante implantation en Espagne, terre d’origine de Philippe Martinez, dont il a la chance de parler parfaitement la langue. Ce genre de valeur ajoutée est récompensée d’une prime, chez les salariés les plus anciens ; mais Martinez n’y aura pas droit. C’est la goutte d’eau. Quand ses camarades lui proposent de s’engager à la CGT, très présente à Billancourt, il répond oui. Yves Audevard, qui a vu Philippe Martinez « débarquer en couches culottes à Billancourt« , décrit un jeune homme « franc et loyal, qui ne recule pas devant l’obstacle« . Une obstination qui lui vaudra, deux ans après son adhésion à la CGT, l’élection comme délégué syndical ; une fonction qu’il accepte presque malgré lui.
Puis il gravit, un à un, les échelons, devient secrétaire de son syndicat des techniciens ingénieurs et cadres en 1992, puis anime l’ensemble de l’activité CGT chez Renaud à partir de 1997, pour arriver, en 2008, à la tête de la fédération de la métallurgie, une des plus influentes, la troisième en nombre d’adhérents au sein de la CGT.
Avant le scandale de l’affaire Lepaon, il s’apprêtait à entamer son dernier mandat syndical, « quand on reste trop longtemps au même poste, on finit part tourner en rond« . C’était sans compter sur la gestion douteuse de son prédécesseur, et le refus du leader des cheminots, Gilbert Garrel, de briguer la succession. Avec un discours rassembleur, sans jamais manquer de loyauté à Lepaon, Philippe Martinez devient l’homme providentiel. Il est élu secrétaire général de la CGT à plus de 90 % des voix ; pas mal pour quelqu’un qui n’a « jamais couru après les responsabilités« , selon Yves Audevard.
« On essaie de nous cantonner dans le rôle du contestataire »
Même sa moustache serait le fruit du hasard. Celle qui est maintenant devenue sa signature, son signe de reconnaissance, ne serait que le résultat d’un essai, un jour d’été. « Ça a plu à mon entourage, donc je l’ai gardée. Ça fait rire mes gosses« . Les caricatures que cela peut susciter, il s’en moque pas mal.
Pourtant elles ne manquent pas ; et à celles au sujet de ses bacchantes, s’ajoute la caricature du cégétiste bourru. “Je ne supporte pas l’hypocrisie : on veut nous imposer un monde lissé où tout le monde pense la même chose. Quand je ne suis pas d’accord avec quelque chose, je le dis. Si c’est ça être bourru, alors très bien, je l’assume.” Martinez refuse pourtant de se laisser enfermer, et la CGT avec lui, dans l’image du contestataire inflexible et continuellement insatisfait.
La CGT de Philippe Martinez se veut ouverte à la discussion, avec les politiques : « Le gouvernement essaie de nous enfermer dans le rôle des contestataires, mais la CGT est un des syndicats qui fait le plus de propositions ! » ; mais aussi avec les militants. Depuis son élection, Martinez s’évertue à sonder le moral des troupes : il a serré des milliers de mains, aux quatre coins de la France. Lionel Buriello, délégué CGT à Arcelor Mittal décrit un secrétaire général « proche et à l’écoute ».
Pourtant cette ouverture est contestée par une autre partie des militants. Notamment par Philippe Poutou, ancien candidat NPA à l’élection présidentielle. La gestion du syndicat par le camarade Martinez ne serait « pas plus démocratique qu’au temps de Lepaon », et si l’actuel secrétaire général se dit ouvert à la discussion avec le gouvernement, il semblerait dur d’oreille envers ses propres adhérents, dont certains désapprouvent la construction de la mobilisation contre la loi travail, trop déconnectée des militants.
Laissés de côté par le gouvernement
Au total, la CGT n’a eu droit qu’à trois heures d’entretien avec le gouvernement au sujet du projet de loi travail. « Deux heures avant le premier projet de loi, et une heure avec les trois ministres, après la nouvelle mouture du texte. Point final« . Pour le plus gros syndicat de France, ce n’est pas énorme. Surtout quand Philippe Martinez apprend, à la télévision, que le leader de la FAGE, syndicat étudiant, a été « en contact tout le week-end avec le Premier ministre et les ministres du travail et de l’éducation« , entre la mobilisation du 9 mars, et la nouvelle proposition du texte. « On est laissés de côté« , admet le leader de la CGT. Pourtant la mobilisation continue :
« Ce projet porte une conception complètement libérale de la notion de règle collective. Il prévoit non plus une loi valable pour l’ensemble des salariés, mais que chaque entreprise ait sa propre loi. C’est le principe de l’inversion de la hiérarchie des normes ».
Philippe Martinez se sentait plutôt confiant au sujet de la mobilisation contre la loi travail. « Quand des salariés, qui travaillent dans une entreprise où la CGT n’est pas présente, nous appellent pour savoir comment faire grève, et où ont lieu les manifestations, c’est que les choses prennent une véritable ampleur« . « Mais, comme vous le voyez, je n’ai pas de boule de cristal« , ajoute-t-il en désignant son bureau, il préfère ne pas trop faire de pronostics : « Quand il y a beaucoup de mobilisations, le gouvernement dit de gauche devrait être attentif à ce qui s’exprime, mais nous verrons« .
« Il y a une date limite de fraîcheur à ne pas dépasser »
Sur ses opinions politiques, le cégétiste reste plutôt discret, évasif. A part au sujet du FN, il « ne [peut] pas les voir« . Il n’est pas convaincu par la droite : « lIs veulent nous faire travailler plus et nous payer moins » ; à gauche, il s’efforce d’écouter les propositions, mais est peu enthousiaste à l’égard du gouvernement socialiste, en particulier de Manuel Valls et Emmanuel Macron, trop ancrés, selon lui, dans une logique libérale. De manière générale, tous partis confondus, les politiques sont trop “en décalage avec la vraie vie”.
Pas de carte de parti politique dans le portefeuille de Philippe Martinez, donc, ce qui ne l’empêche pas d’avoir des idéaux. De « justice sociale« , d’abord, ce qui l’a poussé à s’engager en premier lieu ; une sorte d’héritage familial. « Mes parents étaient engagés à gauche. Et puis ma famille s’est battue contre le franquisme, en Espagne« . Forcément, ça laisse des traces. Idéaux d’un retour aux vraies valeurs de gauche, loin de notre société consumériste où seuls les plus riches ont accès à la culture, la vraie, et où bientôt, il faudra payer pour avoir accès aux soins médicaux.
Idéaux enfin d’égalité des sexes : Philippe Martinez en a fait le thème d’un de ses premiers discours en tant que secrétaire général de la CGT. « C’est un combat essentiel, assène-t-il, et il reste des progrès à faire à la CGT. Notre direction nationale est à parité, depuis 1999, mais cela ne doit pas être l’arbre qui cache le désert« . Il a récemment fait éditer un guide, à l’usage des adhérents pour « réussir l’égalité femmes/hommes dans la CGT ».
Difficile d’en apprendre plus sur les projets, et les ambitions du secrétaire général de la CGT. Le futur du syndicat ? « Je ne peux pas prédire l’avenir« . Pour le moment, ce qui compte, c’est la mobilisation contre le projet de loi travail, et le congrès de la CGT, le 16 avril à Marseille. “Mais nous sommes aussi prêts à continuer la lutte après.” Pour sûr, il ne se voit pas très longtemps dans le fauteuil du secrétaire général de la CGT, « il y a une date limite de fraîcheur à ne pas dépasser« . Et peu de risques qu’il cède à la folie des grandeurs : « Si je ne garde pas les pieds sur terre, mon entourage le fera pour moi.”
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