Philippe Lançon, journaliste à Libération depuis vingt et un ans et chroniqueur à Charlie Hebdo depuis 2003, a publié hier un témoignage bouleversant de l’attaque dont a été victime le journal. Il était à la conférence de rédaction lorsque les tueurs ont fait immersion, et raconte comment il en a réchappé : “La différence, aurait […]
Philippe Lançon, journaliste à Libération depuis vingt et un ans et chroniqueur à Charlie Hebdo depuis 2003, a publié hier un témoignage bouleversant de l’attaque dont a été victime le journal. Il était à la conférence de rédaction lorsque les tueurs ont fait immersion, et raconte comment il en a réchappé :
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« La différence, aurait dit Manchette [écrivain, auteur de romans policiers, ndlr], un ancien de Charlie, n’a tenu qu’à quelques centimètres dans les trajectoires des balles et à nos places respectives quand les hommes aux jambes noires sont rentrés. Moi, j’ai fait le mort en pensant que peut-être je l’étais ou le serais bientôt ».
C’est avec « trois doigts émergeant des bandelettes [et] une mâchoire sous pansement » qu’il écrit ces quelques lignes, se remémorant la teneur de la réunion :
« Il se trouve que pendant cette dernière conférence ce furent justement les jihadistes français dont on parla. Tignous ne les justifiait absolument pas, mais, en vrai gars de la banlieue, en rescapé de la pauvreté, il se demandait ce que la France avait vraiment fait pour éviter de créer ces monstres furieux et il piqua une formidable et sensible gueulante en faveur des nouveaux misérables. Sa voix remontait soudain des temps de la Commune. Bernard Maris lui répondit que la France avait beaucoup fait, déversé des tonnes d’argent. Le ton est monté, c’est à Charlie un sujet d’autant plus sensible que chacun y est horrifié qu’on puisse l’imaginer raciste ou cynique ».
Son témoignage se conclut par un appel à résister, sous forme de profession de foi :
« Tandis que les pompiers me soulevaient sur un fauteuil à roulettes de la conférence, j’ai survolé les corps de mes compagnons morts, Bernard, Tignous, Cabu, Georges, que mes sauveteurs enjambaient ou longeaient, et soudain, mon Dieu, ils ne riaient plus. Il faut que nous puissions tous rire et informer de nouveau et plus que jamais pour eux, à Libération comme à Charlie, loin des pouvoirs et de leurs excès. Il me faudra un peu de temps et de rééducation pour arriver à rire, la mâchoire est plus fragile que le cœur, mais j’y parviendrai, et ce sera parmi vous, mes collègues, mes compagnons, mes lecteurs et relecteurs, mes amis. »
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