Après les six saisons de sa série-livre Doggy Bag, retour au roman pour Philippe Djian avec Impardonnables. « Aujourd’hui tout se pète la gueule ; c’est effrayant et génial pour un écrivain ! », dit-il.
A partir de quand vous êtes-vous interrogé sur la place de l’écrivain ?
Je ne venais pas d’un milieu littéraire. J’ai eu la chance, en commençant, d’intéresser des gens qui s’y connaissaient, parce que j’étais le premier en France à écrire comme ça, et au-delà de la qualité ou non de mon travail, les critiques de gauche m’ont défendu pour emmerder ceux de droite. Et puis j’ai commencé à me demander à quoi servait d’écrire. Juste à avoir du plaisir ? Il faut commencer par se questionner soi… Philip Roth te raconte l’histoire d’un vieux mec qui n’arrive pas à baiser sa maîtresse : ça n’est pas sur le sexe, c’est l’histoire de la fin de vie d’un mec qui vit aujourd’hui. Carver, il écrit des histoires de mecs qui vivent dans des caravanes avec leur femme, et quand on lui demandait pourquoi il n’écrivait que des nouvelles, il disait qu’il avait besoin d’argent parce qu’il avait des enfants, donc pas le temps d’écrire des romans. Ça, ça veut dire quelque chose. C’est être ancré dans la vie réelle. Du coup, il m’a donné une image du monde qui m’a aidé. Je me souviens qu’à 20 ans je voulais prendre un bateau pour la Colombie parce que Cendrars l’avait fait… Or ce qui est génial, c’est que dans le monde dans lequel on vit, j’ai été obligé de prendre un avion. On était à cheval entre le fantasme et le réel. Aujourd’hui, il ne s’agit pas d’écrire sur un mec qui a tout perdu à la Bourse, mais on ne peut pas faire comme si le réel n’existait pas. Par exemple, on ne peut plus écrire de romans sans tenir compte de l’existence du téléphone portable dans nos vies. Même si tu n’en parles à aucun moment, il faut qu’on sente que c’est là. C’est ce que disait Hemingway : l’iceberg, même si tu n’en montres que le petit bout émergent, il faut faire comprendre qu’il y a tout le reste dans la mer.
Comment avez-vous évolué depuis trente ans ?
Les critiques disent souvent que je suis devenu pessimiste. C’est vrai que mes premiers bouquins mettaient en scène des types contents de vivre, alors que le personnage d’Impardonnables est déçu. Tu te trompes toujours sur les gens, et si les gens te déçoivent, c’est de ta faute, c’est que tu avais projeté quelque chose sur eux qu’ils ne sont pas. C’est ce qui est intéressant quand tu crées des personnages : la première vision que tu as d’eux, tu sais qu’elle est fausse, ils ne seront pas comme ça. Je me dis que je me trompe forcément. Cela fait partie des choses qui font que je n’ai pas eu une vie sentimentale éclatée. Il faut déjà toute une vie pour vraiment connaître une personne, saisir ce qui la fonde. Mon personnage se trompe sur sa fille, il croit qu’elle est autrement qu’elle n’est, d’où son incapacité à lui pardonner. Du coup, il se réfugie dans l’écriture : au moins là, il peut contrôler. Mais la vie est une succession de questionnements, c’est ce qui la rend excitante.