Ce dingue de littérature, qui a fait le tour du monde à 24 ans, est le père de Nike. Loin de l’image du businessman froid et calculateur, plus proche d’un illuminé passionné, Phil Knight se raconte dans une autobiographie surprenante.
« Je voulais laisser une trace dans ce monde« . Dès la onzième page de son autobiographie, traduite en français aux éditions Hugo Doc, Phil Knight, 78 ans, se rappelle ce qui l’a toujours animé et partage les rêves de grandeur du gamin de l’Oregon qu’il était. La narration de son histoire débute en 1962, alors qu’il revient dans sa terre natale après l’obtention d’un master en administration des affaires à la fameuse université Stanford. L’empire Nike naîtra 10 ans plus tard.
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« Les années 1960, l’âge d’or de la contestation, battaient leur plein et j’étais la seule personne en Amérique qui ne s’était jamais rebellé« , écrit Phil Knight. Et le Phil Knight de l’époque, âgé de 24 ans, ignore qui il est et n’a pas plus d’idée sur la personne qu’il veut devenir. Il n’a rien connu, n’a même « jamais eu de petite amie« . Mais il est intimement convaincu d’une chose : il est grand temps de donner un sens véritable à sa vie.
Aller au Japon et vendre des chaussures
Loin des poncifs du discours plat de l’entrepreneur à succès qui détaille, étape par étape, la route vers la fortune, Phil Knight signe un récit empli d’une émotion qui étonne. Passionné de grande littérature (à plusieurs reprises, au fil des 448 pages du livre, il va d’ailleurs citer Voltaire, Hemingway ou Dos Passos), il avoue s’être notamment rêvé romancier célèbre, et on devine le soin qu’il a dû mettre à rédiger cette autobio :
“J’avais toujours soupçonné que le secret du bonheur, l’essence de la beauté, de la vérité ou de tout ce qui vaut la peine d’être vécu, repose quelque part dans ce moment pendant lequel la balle est en suspension, quand les boxeurs sentent que la cloche va bientôt sonner, quand les coureurs s’approchent de la ligne d’arrivée et que le public se lève comme un seul homme. Il y a une sorte de clarté exubérante dans cette demi-seconde qui détermine les vainqueurs et les perdants. Et je voulais gagner. C’est ça que je voulais que ma vie soit au quotidien.”
Et c’est effectivement cette fameuse « clarté exubérante » qui semble avoir éclairé le chemin choisi par Phil Knight. Il aura toujours suivi son intuition, certes faillible mais empreinte d’une fraîcheur insouciante, qui le pousse par exemple à entreprendre un tour du monde, seul, avec une escale toute particulière au Japon pour trouver une entreprise de chaussures qui accepte de s’associer avec lui.
Pourquoi le Japon, pourquoi les chaussures ? Il l’explique aussi précisément que naïvement : “Passionné par le monde des affaires, je savais que les appareils photo japonais avaient révolutionné ce marché, dominé jusque-là par les Allemands. J’avais donc soutenu que les chaussures de course japonaises pourraient faire la même chose.” Dans un devoir rendu en fin de master, il a donc élaboré ce projet fictif qu’il a présenté à ses camarades de promotion, « ce qui a semblé les ennuyer profondément« . Son prof lui a toutefois accordé une excellente note, et il n’a jamais abandonné ce qu’il appelle dans son livre, son « Idée Folle« .
Le fameux rêve américain
Aussi féru de littérature que de sport (ses quatre passions dans la vie sont d’ailleurs “les livres, le sport, la démocratie et l’entrepreneuriat”, dans cet ordre), Phil Knight pratique à bon niveau la course à pied. Rompu à l’effort et habitué au dépassement de soi, il ne se dégonfle pas quand il se retrouve devant des dirigeants de l’entreprise Onitsuka à Kobe qui produit les Tigers, et s’improvise patron d’une société alors inexistante qui aimerait vendre leurs chaussures de course sur le sol américain. Les Japonais acceptent de lui envoyer des échantillons destinés à la vente. Phil Knight se rue au bureau American Express le plus proche pour écrire un lettre à son père : « Cher Papa, urgent. Fais un virement de 50 dollars à Onitsuka Corp de Kobe« .
Nike, plus de 30 milliards de dollars et jouissant d’une implantation et d’une notoriété mondiales, a donc écrit sa genèse grâce aux 50 dollars qu’un père a prêté à son fils. Qui va rentrer de son tour du monde (la description sur 5 pages des différentes villes visitées et des joyaux culturels qui l’ont marqué est assez fantastique), et attendre ses échantillons comme un enfant qui attend son premier Noël.
Il va d’abord les vendre depuis le coffre de sa voiture, en parcourant l’Oregon à la recherche de coureurs et d’entraîneurs. Il va ensuite les vendre dans son salon, à force de bouche à oreille : « Mon père, incrédule, les mains dans les poches, ne ratait pas une miette de la transaction« , puis se mettre à la vente par correspondance. Le jeune Phil finit par abandonner son boulot alimentaire de commercial pour se consacrer à plein temps à sa toute petite entreprise qui le passionne, qu’il a appelée Blue Ribbon, et qui compte sa sœur comme première employée, en charge du secrétariat.
Pour ne pas vous spoiler la vertigineuse ascension de l’homme et de son Idée Folle, ni les moments décisifs où le fameux rêve américain prend un air de cauchemar, voici dans un résumé ultra condensé ce sur quoi Phil Knight écrit dans son livre : la difficulté de traiter avec un Japon en pleine reconstruction post-Seconde Guerre mondiale, l’horreur des banques, l’amour, la concurrence avec Adidas, les avocats, les déménagements dans des locaux toujours plus grands, l’idée des semelles dites gaufrées, l’idée des semelles avec les bulles d’air, donc l’innovation constante et la création la plus pure, l’importance de l’esthétisme et de la publicité, la passion, la révolution, la folie, l’insomnie. L’ascension du mont Fuji, aussi. La mort horrible de l’un de ses deux fils, alors très jeune, en 2000. Les polémiques autour des conditions de travail des usines Nike. Et l’histoire de la naissance du nom « Nike« , évidemment.
Bonus extract
Et toujours cette intuition, cristallisée dans une courte anecdote. Nike essaie de pénétrer durablement le monde du tennis, et galère franchement un peu. En 1977, plus aucun joueur pro ne porte ses produits. Phil Knight se rend donc à Wimbledon, et raconte cet échange avec des responsables de la Fédération américaine :
» – Nous avons quelques très bons jeunes joueurs, Elliott Telsher est peut-être le meilleur. Gottfried est remarquable lui aussi. Mais ne perdez pas de temps avec le gamin du court 14.
– Pourquoi ?
– C’est une tête brûlée.
Je me suis donc rué au court 14… et suis tombé instantanément amoureux de ce lycéen aux cheveux bouclés originaire de New York. Son nom : John McEnroe.”
L’Art de la victoire, autobiographie du fondateur de Nike, de Phil Knight, chez Hugo Doc
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