Au lendemain des attentats de Copenhague, Manuel Valls a parlé d’ »islamo-fascisme » pour évoquer la montée du terrorisme islamique. Interrogé par les Inrocks, le chercheur Jean-Yves Camus revient sur le sens de cette expression qui vit une soudaine popularisation et analyse sa pertinence scientifique.
Au lendemain des attentats qui ont fait deux morts à Copenhague, Manuel Valls s’est exprimé au micro de RTL pour lancer un appel à l’unité pour combattre « l’islamo-fascisme ». Mais quel sens revêt ce néologisme controversé, fréquemment employé à la droite voire à l’extrême droite du champ politique ? Pour Jean-Yves Camus, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et directeur de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès (ORAP), c’est une définition « politiquement opérante mais scientifiquement bancale ».
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Pensez-vous que l’expression « islamo-fascisme » employée par Manuel Valls soit adaptée à la situation ?
Jean-Yves Camus − Il y a des termes qui peuvent paraître appropriés dans le langage politique mais qui scientifiquement le sont beaucoup moins. C’est le cas de l’emploi de ce néologisme. Si l’on entend par « islamo-fascisme » l’expression que l’islam radical est un totalitarisme, je pense que c’est correct. Je n’ai aucun doute sur la nature totalitaire de l’islam radical. Par contre, s’il s’agit d’exprimer une similitude entre les projets politiques de l’islamisme et du fascisme dans leur acception historique, c’est beaucoup plus compliqué.
Quelle est l’origine de ce terme ?
Ce néologisme qui est apparu dans les années 90 n’a pas été inventé par des universitaires mais par des journalistes ou des experts généralistes comme le journaliste britannique Christopher Hitchens.
Ce terme est-il porteur de confusions ?
Nous sommes dans des contextes géographiques et historiques totalement différents. Il n’y a pas de parti-État, il y a un embrigadement général de la population, mais sous des formes totalement différentes. Le projet de forger un homme nouveau peut sembler un point de convergence mais, dans le fascisme, il s’émancipe des pesanteurs de l’histoire, alors que dans l’islamisme radical, c’est un homme du retour à la pureté des origines. C’est une définition politiquement opérante mais scientifiquement bancale.
En janvier 2015, après les attentats contre Charlie Hebdo, plusieurs personnalités avaient déjà employé ce terme comme l’universitaire tunisien Mezri Haddad ou le député écologiste Noël Mamère. Cette popularisation vous gêne t-elle ?
Elle me gêne car l’expression « islamo-fascisme » revient à dire que l’on ne peut mesurer un phénomène totalitaire du XXIe siècle qu’à l’aune du fascisme. On colle toujours ce sparadrap du fascisme sur toutes les politiques génocidaires ou totalitaires commises après 1945, comme si elles avaient un lien de parenté idéologique. Mais il suffit de citer le génocide rwandais ou celui des Khmers rouges pour s’apercevoir qu’il n’y en a aucune. Bien sûr, on peut toujours trouver un général rwandais qui a lu Mein Kampf, mais ça ne suffit pas à établir une connexion. On doit pouvoir réfléchir à des formes de totalitarisme de manière totalement novatrice par rapport à ce qu’est le fascisme. Il faut sortir de la vision européocentrée que nous avons du totalitarisme, car elle nous empêche de percevoir le monde dans sa globalité et dans sa complexité.
Propos recueillis par David Doucet
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