Déchirer ou brûler le drapeau tricolore. Siffler la Marseillaise ou représenter une Marianne nue. Peut-on tout faire avec les symboles de la République ?
Un homme en train de s’essuyer les fesses avec le drapeau tricolore. La photo, primée le 6 mars dans la catégorie « Politiquement incorrect » d’un concours organisée par la Fnac de Nice a fait grand bruit. La question n’est pas vraiment de savoir si on peut utiliser le drapeau tricolore comme du papier toilette ou si la photo est d’un goût douteux. Mais plutôt si l’on peut être condamné pour ce genre de provocation.
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Selon l’article 433-5-1 de 2003 du Code pénal, la réponse est oui : « Le fait, au cours d’une manifestation organisée ou réglementée par les autorités publiques, d’outrager publiquement l’hymne national ou le drapeau tricolore est puni de 7 500 euros d’amende. » Et le texte ajoute que « lorsqu’il est commis en réunion, cet outrage est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. »
Choqué par la photo, le préfet de Nice avait donc saisi le procureur de la République de Nice.
Sauf qu’en 2003, dans la foulée de cette loi, le Conseil constitutionnel avait émis une réserve à cette disposition, considérant que « sont exclus du champ d’application les œuvres de l’esprit ».
C’est là que le bât blesse. L’artiste, auteur de la photo, ne saurait donc être poursuivi. Une réserve qui n’a pas échappé au procureur de la République de Nice, Eric de Montgolfier, lequel avait d’ores et déjà classé le dossier sans suite. Seulement, mercredi, la ministre de la Justice a indiqué vouloir faire « évoluer » la loi si elle ne prévoit pas de sanctionner « un acte aussi intolérable ».
« La liberté d’expression prime toujours »
Un emballement qui fait bien rire l’avocat Emmanuel Pierrat. La loi de 2003 sur l’outrage au drapeau et à l’hymne national a été votée après le match de foot France-Algérie, au cours duquel la Marseillaise avait été copieusement sifflée. « Autrement dit, on a voté dans la précipitation une loi démagogique. Et, à ma connaissance, depuis, elle n’a pas servi. »
Il poursuit : « Devant un juge, il y a de grandes chances que la loi ne tienne pas. En droit, on prend toujours en compte l’élément matériel et l’élément intentionnel. Dans le cas d’un drapeau brûlé par exemple, l’élément matériel, c’est le fait de brûler le drapeau. L’élément intentionnel, le fait d’outrager le drapeau. C’est vague… Il faudrait prouver qu’il y a une intention haineuse, ce qui semble compliqué. Et dans le cas de cette photo, le côté artistique l’emportera toujours, » juge l’avocat.
D’autant que, jusqu’à preuve du contraire, dans une démocratie, la liberté d’expression est un droit. « En France, la liberté d’expression prime toujours, tranche Emmanuel Pierrat. La déclaration universelle de 1789 fait partie intégrante de notre Constitution. Dans la hiérarchie législative, cette loi imbécile sur l’outrage au drapeau ou à l’hymne national est toujours inférieure. »
En cas de condamnation, les recours sont nombreux
Mais admettons qu’en dépit de tout cela, le photographe soit quand même condamné, il existe des recours. En Cour de cassation puis devant la Cour européenne des droits de l’homme. Et, elle ne plaisante pas avec la liberté d’expression. L’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme précise, en effet, que la liberté d’expression « vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction de la population. »
Conclusion : la loi vous interdit de piétiner, déchirer ou de vous essuyer les fesses avec le drapeau tricolore. Ou de huer la Marseillaise. Mais dans la pratique, les risques d’avoir des ennuis avec la justice sont minces.
« On voit bien qu’une loi contre l’outrage à la Marseillaise n’a pas de sens, sourit Emmanuel Pierrat. Il faudrait enlever des bacs la version de Gainsbourg et toutes les parodies. Sans compter que la version officielle a déjà été amputée de deux couplets, ce qui signifie qu’elle a déjà été outragée ! »
Photo tirée du quotidien Métro
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