Environ 60% des Français partent en vacances chaque année. Mais pour certains, l’idée d’un départ est une véritable source d’angoisse. Simple stress ou réelle phobie ?
Les vacances, tout le monde en rêve. On les prépare plusieurs mois à l’avance, impatient de partir. L’objectif ? Prendre du plaisir. Pourtant, certains en ont peur. C’est le cas de Marine, étudiante de 20 ans, qui est agoraphobe. “Depuis trois ans, je n’arrive pas à partir de chez moi. Quand je suis loin de mes repères, je fais des crises d’angoisses, j’ai mal au ventre, je tremble. A mon âge, j’aimerai pouvoir être heureuse de partir ! » D’autres ont peur de l’avion ou de rester inactif, et ça leur pourrit la vie. Pensées négatives, crises de panique, perte du sommeil : on est loin du bonheur idéalement apporté par les périodes de congés prolongés.
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Julien, employé bancaire de 24 ans, s’imagine chaque année une montagne de problèmes. Une forme de névrose. “J’appréhende comme un malade les vacances d’été. Comme avec un calendrier de l’Avent, je compte les jours avant mon départ », confie-t-il. A partir de là, il prépare son voyage dans les moindres détails. Ses billets de réservations sont imprimés et tirés à plusieurs exemplaires “juste au cas où ». Il sait déjà précisément de quoi sera remplie sa valise. “J’ai peur que ça ne se passe pas comme prévu. C’est une période de stress incroyable », soupire le jeune homme.
Je savais bien que j’avais oublié un truc…. La fishpie dans le four ? #vacances #depart #stress #speed
— peggy s. (@thefripe) 3 juin 2016
Pas le droit à l’erreur
Depuis l’après-guerre, les vacances ont structuré l’espace temps de notre société. “Avant, ce n’était qu’une petite fenêtre dans la vie ordinaire », explique Jean Viard, sociologue spécialiste des vacances et du temps libre. Dans les années 50, on passe de deux à trois semaines de congés payés par an, le réseau autoroutier se développe et le bikini fait son apparition en juillet 1946. Les départs se multiplient et le “tourisme de masse » monte en puissance. “Les vacances marquent l’année et sont devenues centrales dans la vie des gens », poursuit Jean Viard. Et la pression augmente quand près d’un tiers des Français savent qu’ils ne partent qu’une seule fois dans l’année. Pas le droit à l’erreur. Les congés doivent être réussis, sinon il faudra attendre l’été suivant.
“Tout le monde est stressé lors d’un départ en vacances, c’est normal », tempère le professeur en psychiatrie Michel Lejoyeux. On redoute l’aléa et on espère que tout se passera comme prévu. “Pour aborder ces moments avec plus de sérénité, il faut avoir des moments de déconnexion dans l’année. Il y a pour cela le temps libre et les weekends », ajoute le Pr Lejoyeux.
En manque de travail
Pour certains, de véritables phobies peuvent être à l’origine de blocages plus contraignants, qui empêchent de profiter sereinement des vacances, voire même de partir. “Je n’ai jamais pris l’avion de ma vie », lâche Sylvie, femme au foyer de 52 ans. “Impossible de franchir le cap, je me suis toujours débrouillée pour l’éviter ». Son unique solution : la voiture ou le train. Et pour ne pas pénaliser son fils de 23 ans, la quinquagénaire confie qu’elle le laissait – lorsqu’il était plus jeune – entre les mains de sa tante, pour lui permettre de s’envoler vers le Portugal ou la Belgique.
Ceci est peut être mon dernier tweet, je vous aimais bien… Ou juste je vous aimais… C’est selon… #peurdelavion
— LaFilledelaCom (@laFilledelaCom) 10 novembre 2015
Il y a aussi ceux qui n’arrivent pas à décrocher. “L’addiction au travail pose souvent problème », raconte le Pr Lejoyeux, qui s’occupe également des questions d’addictologie à l’hôpital Bichat-Beaujon à Paris. ”Certaines personnes n’existent que par le travail. Et lorsqu’elles stoppent momentanément leur activité, elles ressentent une sensation de manque ». Un phénomène qui se développe. La peur du vide et de l’ennui nous empêche parfois d’arrêter de consulter nos mails et de lâcher notre téléphone portable. Le repos est relayé au second plan. “Je n’arrive pas à ne rien faire », raconte Michel, quadragénaire qui travaille dans le bâtiment. “Au contraire, ça m’angoisse, je tourne en rond », poursuit-il.
“Une école de la vie »
Certains font l’impasse sur leurs vacances. Comme Sylvie, qui a renoncé à décoller pour les Etats-Unis il y a deux ans, effrayée par l’avion. Si nous sommes environ 10% en France à avoir horreur de voyager, la conscience de passer à côté de quelque chose dérange. “En vacances, on se déplace, on découvre et on apprend des choses. D’autre part, cela permet de régénérer nos relations sentimentales », explique Jean Viard, sociologue spécialiste des vacances. “C’est une école de la vie ! » affirme-t-il.
Emilie, étudiante de 21 ans, a peur des voyages. Mais elle a trouvé une technique pour s’éloigner. “J’ai commencé par partir deux jours et une nuit, puis la fois suivante trois jours et deux nuits ». Par « graduation », elle a réussi l’an dernier à se rendre chez ses grands-parents pendant une semaine complète, à 300 km de chez elle. “Une petite victoire, mais je suis toujours hyper stressée plusieurs jours avant le départ », nuance-t-elle.
D’autres arrivent à vaincre leurs peurs. Après une longue période d’angoisse et de stress, notamment lors de vacances en Australie, Sébastien Mulliez a décidé d’en découdre. “J’ai passé les deux pires semaines de ma vie à Melbourne », écrit-il sur son blog dédié au partage de son expérience. “Je voulais tout le temps aller chez le médecin, j’imaginais les pires scénarios […]. J’ai même été jusqu’à passer une IRM du cerveau, comme ça, pour vérifier ». Après quoi, Sébastien a rencontré une dizaine de thérapeutes, lu une centaine de livres, arpenté les salons de bien-être et s’est même lancé dans la méditation. Aujourd’hui, il affirme être serein et contrôler ses émotions : les vacances ne sont plus un problème.
“Les émotions ne sont pas des maladies ! » lance le professeur en psychiatrie Michel Lejoyeux. Nos modes de vie actuels – avec pour mots d’ordre vitesse, rentabilité et performance – n’arrangent pas les choses. Ce à quoi il faut ajouter le poids des réseaux sociaux. Vous imaginez passer l’été sans mettre de photos de vos vacances ? Cette image où vous êtes souriant et détendu, sous le soleil, avec une mer bien bleue en toile de fond.
“Les vacances ont inventé une partie des codes sociaux d’après-guerre », explique Jean Viard. “Aujourd’hui, on est stressé parce qu’on veut perdre des kilos avant de partir, parce qu’on veut arriver déjà bronzé à la plage ou parce qu’il faut absolument avoir le short et le maillot de bain adéquats », continue le sociologue. Etre prêt avant même d’avoir commencé, c’est aussi ça les vacances en 2016.
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