Le tribunal correctionnel de Paris vient d’acquitter Charles Pasqua, le PDG de Total Christophe de Margerie et 18 autres personnes inculpées dans l’affaire “pétrole contre nourriture”. Détournements de fond, réseau d’influences, corruption… Retour sur un scandale vieux d’une vingtaine d’années.
Après dix ans de procédure, le procès du volet français de l’affaire pétrole contre nourriture vient d’aboutir à la relaxe de l’ensemble des prévenus, dont Charles Pasqua et Total. Retour sur une affaire de corruption qui mêle le régime de Saddam Hussein, des firmes étrangères, des diplomates, des politiciens et des hommes d’affaires en marge du programme humanitaire lancé par l’Onu en Irak en 1995.
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• La résolution 986 de l’Onu
14 août 1995, cinq ans après l’invasion du Koweït par l’Irak. Les Nations unies proposent des mesures permettant à l’Irak de vendre des quantités limitées d’hydrocarbures en échange d’équipements humanitaires et de produits de première nécessité pour sa population. A cette époque en France, Jacques Chirac vient de succéder à François Mitterrand. Aux Etats-Unis, Bill Clinton débute son deuxième mandat.
Le programme baptisé « pétrole contre nourriture » a pour but d’atténuer les effets néfastes des sanctions internationales sur le pays mis au ban de la scène internationale et sous le coup d’un embargo économique depuis la première guerre du Golfe (1991). Le Conseil de sécurité de l’Onu adopte ainsi la résolution 986 qui vise à « répondre, à titre de mesure temporaire, aux besoins humanitaires du peuple irakien jusqu’à l’application par l’Irak des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité”. Un an plus tard, l’Irak revient sur le marché du pétrole, sous le contrôle strict de l’Onu.
• Détournements, lobbying et pots-de-vin
Les Nations unies doivent s’assurer que les fonds dégagés par l’Irak via les achats de son pétrole soient bien transférés sur le compte en banque onusien – à la BNP de New York – chargé du financement du programme humanitaire : pour un milliard de dollars de pétrole vendu, 300 millions doivent être versés aux victimes de la guerre du Golfe, 20 à 30 millions doivent servir à renflouer les coûts du désarmement des installations militaires irakiennes et 130 à 150 millions de dollars doivent permettre d’aider les populations kurdes du nord de l’Irak – autonomes depuis la fin de la Guerre. Or, le régime de Saddam Hussein (au pouvoir depuis 1979) réussit à détourner massivement les fonds du programme à son profit grâce à des ventes parallèles et des surfacturations. Le régime irakien exige des compléments de prix du baril par rapport à ceux négociés avec l’Onu et livre des barils à des personnalités “amies”.
Mais les transactions opaques ne s’arrêtent pas là. Badgad monnaye des soutiens à la levée de l’embargo en échange de commissions indirectes à des diplomates, hommes d’affaires et multinationales. De cette manière, le président irakien offre des coupons de pétrole à ceux qui défendent sa cause sur la scène internationale.
• Le voile tombe à la chute du Raïs
Le 9 avril 2003, Badgad est prise par l’armée américaine. La fin d’une guerre éclair décidée par le président américain Georges W. Bush trois semaines plus tôt contre Saddam Hussein et les siens.
En janvier 2004, le quotidien irakien Dar Al-Mada publie une liste de 270 personnalités et entreprises ayant touché des pots-de-vins de Saddam Hussein depuis 1999. Le General Accounting Office (GAO) – l’équivalent américain de la Cour des comptes, rapporte quant à lui que le gouvernement du raïs déchu a détourné environ 10 milliards de dollars entre 1997 et 2002. La presse étrangère se saisit du scandale et publie à son tour les premières révélations.
En marge de l’affolement médiatique, le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, met en place une commission d’enquête indépendante présidée par l’ancien patron de la Réserve fédérale américaine Paul Volcker. Après 19 mois d’enquête, le rapport tombe comme un couperet : près de 2 200 entreprises originaires de 66 pays ont versé illégalement à Saddam Hussein des sommes correspondant à 10 % du montant de leurs contrats dans le cadre du programme.
• Charles Pasqua et Total inculpés
Le juge Philippe Courroye se saisit du rapport américain alors qu’il mène une enquête depuis 2002 contre Total, soupçonné d’avoir lui aussi d’avoir versé des dessous-de-table au régime baasiste pour contourner la mainmise onusienne sur le pétrole irakien. Il découvre par là-même les personnalités françaises impliquées dans l’affaire. Parmi elles : Charles Pasqua et son conseiller diplomatique Bernard Guillet sont visés. L’ancien ministre de l’Intérieur aurait obtenu près de 11 millions de barils de brut en deux ans. Pasqua dément avant d’être mis en examen aux côtés de son bras droit.
Sans preuves suffisantes, le parquet de Paris requiert le 25 octobre 2010, un non-lieu pour Charles Pasqua et Total, alors dirigé par Christophe de Margerie. Mais l’épos judiciaire est relancé le 28 juillet 2011 quand Serge Tournaire – le troisième juge d’instruction après Xavière Simeoni et Philippe Courroye en charge de l’affaire – décide de renvoyer à la barre 19 personnes physiques et une personne morale (Total). Les principaux chefs d’inculpation sont le trafic d’influence et la corruption d’agents publics étrangers.
• Le volet français de l’affaire de nouveau devant les juges
Suite de la procédure judiciaire début 2013 : le parquet requiert finalement 750 000 euros d’amende à l’encontre de Total, accusé d’avoir versé des rétrocommissions aux dirigeants irakiens via des sociétés-écrans et acheté du pétrole à des tarifs illégaux. Des responsables d’associations et d’anciens diplomates sont également pointés du doigt.
L’ensemble des prévenus viennent finalement d’être relaxés par la justice française. Pour autant, 14 autres sociétés passeront prochainement devant les juges lors d’un second procès.
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