Fondé en 1979, le village de Marinaleda en Andalousie est le dernier bastion prospère d’une Espagne ravagée par la crise. La recette de son succès ? La mise en place d’une coopérative agricole qui fournit du travail, un toit, et du pain pour tous.
2013 après Jésus-Christ. Toute l’Espagne est plongée dans la crise économique provoquée par la bulle immobilière de 2008… Toute? Non ! Un village peuplé d’irréductibles Ibères résiste encore et toujours. Dernière enclave prospère dans une Andalousie minée par un chômage à 36,5% – et 55% pour les 16-24 ans, Marinaleda emprunte pourtant moins à la résistance d’Astérix qu’à celle de Marx.
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Volontiers qualifié d’“utopie rouge”, ce petit village de 2 700 âmes fonctionne en coopérative agricole, et comme dans les rêves de Grand Soir, c’est la communauté qui prime. “Personne ne paie de prêt immobilier, on fait du sport dans le stade ‘Che Guevara’, et une fois par mois, les habitants se retroussent les manches pour nettoyer la ville ensemble lors des ‘dimanches rouges’”, raconte ainsi le journaliste britannique Dan Hancox, dans son livre The Village against the World (disponible en Grande-Bretagne).
“Pas de profit mais des emplois”
Marinaleda est née dans les années 1970. A l’époque (et comme aujourd’hui), l’Espagne connaît une double crise : politique, avec la mort du dictateur Franco, et économique. Le village andalou est durement frappé : 60% de chômage et la famine prennent à la gorge cette communauté agricole sans terre. A l’époque, les champs alentours appartiennent à des familles aristocratiques richissimes, qui préfèrent investir dans des plantations que l’on peut automatiser (comme le blé qui nécessite des machines pour la récolte), plutôt que des cultures qui nécessitent la main de l’homme. Trois décennies plus tard, les champs de blé sont devenus des champs d’artichauts et de tomates, et tous les habitants du village ont un travail et un toit.
“Nous croyons que la terre doit revenir à la communauté qui la travaille, et pas dans les mains mortes des notables”, martèle Juan Manuel Sánchez Gordillo. Instigateur de la révolution, Sánchez Gordillo gère le village depuis 1979, réélu sans discontinuer. Charismatique, excentrique, ce maire à la barbe de prophète fascine jusqu’au Venezuela où sont chantées ses louanges. Convaincu qu’un autre monde est possible, Sánchez Gordillo lance “une grève de la faim contre la faim” en 1980, occupe et organise des grèves dans les champs avoisinants jusqu’à ce que le gouvernement régional remette 1 200 hectares au village en 1991.
La coopérative est née. Exit le blé, on choisit des cultures qui emploient le plus de main d’oeuvre possible : olives, broccolis, poivrons, fèves, haricots… Les bénéfices ne sont pas distribués : tout est réinvesti pour créer plus de postes, notamment dans l’usine de conserves de légumes qui complète le travail agricole. “L’objectif, ce n’est pas de faire du profit, mais de créer des emplois”, insiste le maire. Le travail est réparti en fonction des saisons et des besoins, rémunéré 47 euros la journée de 6 heures et demie – soit le double du salaire minimum espagnol. Les travailleurs sont associés à chaque décision : quels légumes planter et quand. Réunis en assemblée générale, les “cooperativistas” font fonctionner le village aux côtés des petits commerçants, seuls représentants des entreprises privées.
“Andalous, n’émigrez pas, battez-vous !”
“Nous avons appris que ce n’était pas suffisant de définir ce qu’est une utopie, ni même de se battre contre les forces réactionnaires, raconte Sánchez Gordillo dans une interview accordée au journal El Pais en 1985, et cité dans le livre de Dan Hancox. Il faut construire ici et maintenant, brique par brique, patiemment mais sûrement, jusqu’à ce que nos vieux rêves deviennent réalité : qu’il y ait du pain pour tous, la liberté pour tous les citoyens, la culture, et être capable de lire avec respect le mot “paix”. Nous croyons sincèrement qu’il n’y a pas de futur qui ne soit construit sans le présent”.
Une philosophie qui a mené ce maire communiste non-encarté à soutenir toutes les initiatives de résistance à la crise économique. En août 2012, Sánchez Gardillo a ainsi lancé des occupations de terres militaires, la saisie d’un château, et a entrepris une marche de trois semaines dans le sud espagnol pour inciter les autres maires à ne pas payer leurs dettes municipales. Ce Robin des bois andalou a également dirigé des razzias dans les rayons de supermarchés, rafflant le pain, le riz et l’huile d’olive pour les donner aux banques alimentaires.
A l’heure où la crise entraîne l’expulsion de 40 familles andalouses par jour, le modèle communiste de Marinaleda commence à faire des petits. Ainsi du village de Somonte, une coopérative fondée il y a un an et demi sur le même modèle que Marinaleda. Mais ici, ils ne sont que deux douzaines à exploiter 400 hectares de terre. Probablement l’un des rares endroits, sinon le seul, qui réclame de la main d’oeuvre en Espagne. Sur les murs, des portraits de Malcolm X ou Zapata, et ce slogan : “Andalous, n’émigrez pas, battez-vous !”.
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