« Le Seum », qu’est-ce donc ? Un mot arabe qui signifie « le venin ». Mais c’est aussi la pastille assassine du « Petit Journal » de Cyrille Eldin. Cent-vingt secondes de comique colérique qui prouvent que l’esprit Canal n’est pas mort.
« Aujourd’hui j’ai un seum honteux, une hchouma (honte) plutôt qu’un seum en fait, car je viens de me rendre compte qu’après 200 000 ans d’existence, le mâle de l’espèce homo sapiens est toujours assez universellement un gros connard« . La voix- en off – tranche sec. Le phrasé fuse comme une balle. La parole possède l’hystérie des cartoons. Le Seum est le « venin » quotidien qui pénètre jusqu’à la gangrène Le Petit Journal depuis la rentrée 2016 – ou Le Journal Petit comme Cyrille Eldin souhaitait le renommer. Chaque soir, l’actualité se « seumarrize » en deux minutes chrono. La diatribe a ses cibles. Pire, elles pullulent : les cyniques puissants, le Pape François, les islamophobes, les climatosceptiques, les politicards machistes, le tout-médiatique. Et si à l’heure de l’infotainment ce programme qui ne cherche jamais à être agréable était l’uppercut nécessaire à la chaîne des Guignols ?
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Zapping furax
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Le seum, c’est un flow excessif, une voix qui se brise. Son possesseur est un spécialiste de la moquerie sérielle. Avec ses gestes affirmés – du style à ponctuer ses propos avec le revers de la main droite – et ses logorrhées à couloirs, l’acteur de théâtre Mica Smadja a comme un air d’Amalric.
L’homme de l’ombre oeuvrait déjà pour Canal du temps de Bruce Toussaint et Michel Denisot, au détour de la mini-série pop-parodique Mica et Benj et des vannes décalées de Louise Bourgoin. Si sa nouvelle pastille est courte comme un épisode de Bloqués et adopte une nervosité post-Bref, elle évoque surtout par son lyrisme rentre-dedans les billets d’humeur de Pierre-Emmanuel Barré sur France Inter. « Le seum c’est du mille à l’heure » nous confirme l’énervé Mica, partageant avec Cyrille Eldin son goût pour l’improvisation et la course à bout de souffle, au sein d’une émission largement contestée, « un laboratoire, un système expérimental où l’on tente de fabriquer des formes un peu nouvelles, différent de l’approche journalistique et informative de Yann Barthès ».
« Mon personnage est un anonyme, masqué sous sa rage quotidienne et trépignante, un nerd humaniste qui pourrait très bien vivre chez sa mère et fabriquer son truc dans son garage, le nez collé sur des écrans toute la journée » détaille-t-il. Conceptuel, le « seum » est ce hater aux vocalises enflammées que l’on est tous un peu, parfois. A force d’insultes et de raccourcis intellectuels illustrés en vingt-cinq extraits de vidéo à la minute, les effets zinzins de cette « mitraillette d’images » vantée par l’auteur tendent vers la catharsis pure et dure. Vincent Bolloré, Donald Trump, Nicolas Sarkozy (surnommé « Nicolald Trumpzy »), Marine Le Pen, Emmanuel Macron et François Fillon font office de guignols gesticulants au sein de ce petit théâtre irréel. La vraie victime (consentante ?) de ce barouf est le citoyen français, râleur maladif pourri par « cette fascination érotique pour la pseudo virilité ultraviolente en politique ».
http://www.dailymotion.com/video/x4uyut2
De la comédie sulfateuse, vous l’aurez compris: l’orateur ne fait pas dans la dentelle et, en troll polémiste digne de ce nom, incendie « Voldemort Poutine » (alias « Vladimir Raspoutine, le dictateur de la Russie et bombardeur d’Alep ») ou Boris Johnson, parangon de « ceux qui détruisent une union supranationale par carriérisme cynique », quand il n’entrecoupe pas sans vergogne d’images d’archives des années trente celles, bien actuelles, du Front National. Une propagande délirante et ouvertement parodique, au service d’une nuance sacrifiée à l’intelligence du spectateur, capable de recul critique. « En redoublant de vitesse et d’énervement, il s’agit d’annuler l’idée de vitesse elle-même, car mettre autant d’images à un tel débit incite le public à prêter attention au discours » explique l’artiste. Bouton PAUSE recommandé.
La télé, c’est que de la télé ?
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Si Mica Smadja, habitué des planches, insiste sur son désintérêt pour la sphère médiatique, cela ne l’empêche pas entre deux gorgées d’allongé de définir sa fiction comme « une sorte d’aboutissement explosif des médias en général, ce système où le flux est si rapide qu’il est à la limite du perceptible, saturant les spectateurs d’images et de mots afin de provoquer une réaction de rejet et d’étouffement ». De la nausée non-cryptée, emplie d’associations d’idées, d’affects et de points Godwin. Cet entremêlement faussement aléatoire de séquences pourrait être le bâtard du Zapping. A l’instar de l’émission de Patrick Menais, les images du Seum (enfant malade, bombe nucléaire, fornications, Trump) reflètent la télévision, et peuvent choquer un jeune public.
La futilité de ce miroir aux alouettes
Le complexe du zappeur s’incarne dans l’épisode « La télé, c’est que de la télé« , qui paraphrase Touche pas à mon poste et raille la rixe entre Hanouna et Guillon afin de fustiger « tous ces animateurs qui font l’économie du monde » et succombent à l’égocratie. Le seum est cet état de ras-le-bol bien contemporain, qui nous envahit lorsque le nom de Delormeau occupe plus d’espace numérique que le virus Zika. « La télévision française me renvoie à la télévision italienne du début des années 2000, on ne peut plus différencier une émission politique, une pub, un film porno. Tout est criard, agité et hurlant » analyse Mica. Alors que Donald Trump s’apprête à investir la Maison Blanche, Le Seum nous invite à ouvrir grand les yeux et à prendre conscience de la futilité de ce miroir aux alouettes, socle du bullshit, de cette « télé qui s’engueule avec la télé qui parle de la télé, si bien que le non-événement dévore l’événement« . Les éructations du PAF ? Beaucoup de bruit pour rien.
Puisque comme le suggère l’orateur en appelant Shakespeare à la rescousse en un dernier souffle, « nous sommes de l’étoffe des songes, et nos petites vies sont entourées de sommeil »…
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