Patriarcale à ses prémices, militante dans les années 1970, la gynécologie a une histoire complexe aux enjeux contradictoires. Alors qu’une pénurie de gynécologues médicaux inquiète, que nous dit l’évolution de cette discipline sur l’inégalité entre les sexes face à la médecine ?
Des villes privées de gynécologues, des tarifs exorbitants, voire des femmes qui renoncent à être suivies… Dans une enquête publiée fin décembre, Le Monde tirait la sonnette d’alarme : entre 2007 et 2017 le nombre de ces spécialistes de l’intimité féminine a chuté de 41,6% en France, de sorte qu’il n’en reste aujourd’hui plus que 1136 en activité. D’ici 2025, on estime qu’ils ne seront plus que 531.
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“L’accès de plus en plus difficile aux gynécologues médicaux met en danger la santé de millions de femmes”, déplore ainsi Noëlle Mennecier, coprésidente du Comité de défense de la gynécologie médicale (CDGM). C’est, en effet, la gynécologie médicale qui est concernée par cette baisse d’effectif. C’est-à-dire les médecins qui se chargent, habituellement, de suivre les femmes pour la prise de contraception, les frottis, l’accompagnement de la ménopause ou les troubles bénins. A distinguer du gynécologue obstétricien, qui se consacre prioritairement à l’accouchement et aux actes chirurgicaux.
Déserts médicaux
En cause, les nombreux départs à la retraite qui, faute de remplaçants, vident certains lieux de leurs praticiens. Selon les chiffres rapportés par Le Monde, on en compte à peine 4,2 pour 100 000 habitants dans la Creuse, 4,32 en Dordogne ou 4,37 dans l’Ain, contre 28,6 à Paris.
Conséquence de ces déserts médicaux, certaines patientes doivent attendre des mois pour obtenir un rendez-vous, se rendre à des consultations parfois très éloignées de leur lieu de vie, ou se tourner vers d’autres professionnels de santé. Une septuagénaire résidant dans un petit village de l’Eure avoue ainsi à nos confrères avoir “renoncé à être suivie, après presque un demi-siècle de visites de contrôle annuelles”, lorsque sa gynécologue est partie à la retraite.
Une “appropriation du corps des femmes”
Cette pénurie serait-elle le produit d’une inégalité entre les hommes et les femmes face à la santé ? Historiquement, la gynécologie a été conçue pour contrôler le corps des femmes : “La médicalisation du corps des femmes au XIXe siècle tend à le considérer comme ‘physiologiquement pathologique' », c’est-à-dire fondamentalement dysfonctionnel, explique Muriel Salle, historienne de la médecine et co-auteure de Femmes et santé, encore une affaire d’hommes ?.
“Lorsque l’on crée la gynécologie, ce n’est pas tant pour prendre soin des femmes que pour veiller à ce que les corps soient féconds afin de mettre au monde des enfants au service de la Nation”, ajoute-t-elle.
Lors de son institutionnalisation en 1963, la gynécologie dite médicale est en revanche une spécialité universitaire qui s’inscrit dans un combat militant contre “cette appropriation du corps des femmes”, et “avait plutôt vocation à en prendre soin”.
Une discipline en mutation
Déchirée historiquement entre patriarcat et engagement féministe, qu’en est-il de la gynécologie aujourd’hui ? Muriel Salle nuance les probables risques causés par cette disparition des gynécologues médicaux pour la santé des femmes : “Il faudrait beaucoup plus communiquer sur ce que les sages-femmes peuvent faire”, avance-t-elle. Comme il est spécifié sur le site du Conseil national de l’Ordre des sages-femmes, ce corps de métier est, en effet, en mesure d’effectuer le suivi de la femme en bonne santé, comme la prescription d’une contraception, les frottis, les dépistages, et orienter le cas échéant vers un spécialiste.
Une passation qui, d’un point de vue idéologique, n’est cependant pas anodine pour l’historienne : “On peut se demander dans quelle mesure nous sommes en train de déléguer la santé des femmes à une profession qui est perçue comme étant hiérarchiquement de moindre valeur puisque moins rémunérée ? Ce déplacement pose question symboliquement.”
Stéréotypes de genres
Renoncer au cliché de la femme souffreteuse n’est pas seulement un impératif d’ordre moral. Clara de Bort, directrice d’hôpital et spécialiste des droits des patients, souligne les conséquences de cette vision normée sur la santé : l’hyper-médicalisation féminine n’est pas synonyme de « sécurité », rappelle-t-elle : “On ne parle pas assez des dangers liés aux effets indésirables de certains actes médicaux ».
Par ailleurs, il est impératif de se dégager, plus généralement, des stéréotypes genrés qui peuvent entraver les diagnostics, selon la spécialiste : “L’exemple que l’on cite de plus en plus fréquemment est l’accident cardiaque. Si l’on mentionne souvent une douleur dans le bras gauche, elle peut survenir dans les reins chez les femmes. Moins bien diagnostiquées – à cause d’une grille de lecture des pathologies est plutôt masculine – elles sont les premières victimes des maladies cardiovasculaires”.
Un constat alarmant traduit en septembre 2016 par un court métrage de la Fédération Française de Cardiologie afin d’informer le public sur les symptômes féminins de l’infarctus.
“Les médecins sont eux mêmes victimes de ces stéréotypes malgré leur volonté de bien faire. Et, du côté des patients, il existe un abord différent des hommes et des femmes par rapport à leur propre santé”, avertit Clara de Bort.
“Les femmes font plus attention à leur santé, notamment parce que culturellement ce sont souvent elles qui prennent en charge celle des enfants. L’espérance de vie des hommes est d’ailleurs inférieure. Ce sont finalement eux qui finissent par payer le prix de cette inégalité”, conclut-elle.
Communication et éducation
Au cœur du problème, la nécessité de trouver un équilibre entre l’hyper médicalisation qui vulnérabilise la femme et un suivi de qualité. « Il ne faut pas oublier qu’autrefois la mort en couche était presque de l’ordre d’un sur quatre », rappelle Muriel Salle. En revanche, l’historienne encourage une communication plus importante à destination des patientes.
Non seulement sur les possibilités médicales qui leur sont offertes mais également pour favoriser une meilleure connaissance de leur propre corps. “Alors que dans les 1970 il y avait un certain militantisme qui incitait, par exemple, les femmes à observer leur sexe par le biais d’un miroir. Or, on s’aperçoit qu’aujourd’hui beaucoup continuent à méconnaître leur corps”, regrette-t-elle. Rappelons à cet égard, qu’à la rentrée 2017, seules Les éditions Magnard offraient une représentation scientifiquement correcte du clitoris dans les ouvrages de SVT (sciences de la vie et de la terre) étudiés par les collégiens. Soit un manuel scolaire sur huit…
Une prise de conscience qui s’adresse, par conséquent, aussi bien aux patients qu’aux professionnels de la santé selon Clara de Bort et Muriel Salle. Cette dernière milite en faveur d’une sensibilisation des « médecins à la question des genres ». Mais là encore, l’universitaire met en garde contre les discours univoques. « Il faut certes sensibiliser aux différences qui existent biologiquement et culturellement entre les hommes et les femmes, quand c’est pertinent, mais il faut aussi marquer leurs similitudes, ce qui les rassemble », ajoute-t-elle, anticipant les possibles dérives d’une médecine genrée qui deviendrait « une fois de plus, un instrument hiérarchique. »
Vers une nouvelle génération ?
Une situation complexe, aux enjeux multiples dont s’empare néanmoins la nouvelle génération de praticiens. « Le nombre de postes à l’internat en gynécologie médicale augmente chaque année », raconte Laurie Jonquière. Interne en gynécologie médicale à Paris, la jeune femme fait partie des futurs médecins qui défendent la nécessité d’une discipline dévouée à la santé des femmes sans pour autant sombrer dans l’effet pervers de la pathologisation.
« Je suis complètement d’accord avec le fait que les sages femmes et les généralistes puissent assurer le suivi physiologique de la femme », admet-elle. Cependant, la gynécologie médicale « fait appel à des connaissances globales de la femme et à des compétences pratiques qui nécessitent une spécialisation. La diversité des pathologies gynécologiques rencontrées nécessite une formation spécifique transversale (PMA, imagerie, endocrino gynéco, dermatologie vulvaire, oncologie gynéco, IVG..) », explique-t-elle avant de conclure : « C’est une réelle chance d’avoir accès à ce corps médical. »
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