Un documentaire choc, diffusé mercredi sur France 3, donne la voix aux victimes de prêtres pédophiles et dénonce une « mafia ».
Glaçant et bouleversant. Dès les premières minutes du film, on a compris que rien ne serait éludé. Trois témoignages précis et méthodiques ouvrent le documentaire. « J’avais 10 ans. J’ai été victime d’agressions sexuelles de la part du frère Ange, à l’école Saint-Félix. » A l’image, des adultes tiennent des photographies sépia. Cet enfant de chœur souriant, c’est eux à l’âge du traumatisme, quand bascula leur vie par la rencontre d’un prêtre pédophile.
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La force du documentaire Pédophilie, un silence de cathédrale de Richard Puech¸ diffusé mercredi soir sur France 3, c’est sa franchise et sa pudeur au moment d’évoquer la dizaine de cas de viols et d’agressions sexuelles sur ces enfants, devenus grands tant bien que mal.
Les scouts, un « vivier » pour pédophile
Comme un symbole, la majorité du film se déroule à Lyon, capitale des Gaules mais aussi du catholicisme hexagonal. Au cours de l’année 2016, éclate « l’affaire pédophile de trop, qui fait vaciller l’Eglise de France », indique le journaliste. Le prêtre Bernard Preynat est accusé de plusieurs dizaines d’agressions sexuelles. De 1970 à 1991, il dirige un groupe de scouts, « un vivier dans lequel le prêtre aurait puisé pendant plus de vingt ans ».
« J’avais environ 12 ans, j’ai été violé par le père Preynat. » Christian, aujourd’hui 56 ans, a croisé la route de prêtre en 1973. Au premier jour d’un camp de scout, Bernard Preynat entraîne l’innocent adolescent sous sa tente. « Il voulait que je lui caresse son sexe, raconte-t-il. Il m’embrassait, après il m’a fait des fellations. Il a attiré ma tête vers lui et il fallait que je fasse la même chose. »
Mis en examen 45 ans après
Bernard Preynat finira « exfiltré » par l’archevêque lyonnais au début des années 1990, quand les parents d’une victime menacent le diocèsede porter plainte. Pour autant, ce n’est que 25 ans plus tard que la justice se saisit du dossier « Preynat ». Vingt-trois ans après la lettre de ses parents au diocèse, la jeune victime de l’ecclésiastique se rend compte que ce dernier est encore en poste au sein de l’évêché. Pire, il travaille toujours au contact d’enfants. L’ancienne victime adresse alors un courrier au cardinal Barbarin, actuel archevêque de Lyon. Un courrier resté lettre morte.
C’est alors qu’avec deux autres anciennes victimes, retrouvées grâce à internet, ils montent une association, La Parole libérée, avec deux buts : permettre au plus grand nombre de victimes de parler et obtenir justice en attaquant Bernard Preynat. Pour la première fois en France, plusieurs personnes attaquent à visage découvert le même prêtre dont ils disent avoir été les victimes. En plus de la plainte contre le chef scout, qui a été mis en examen et a avoué les faits, une seconde est déposée contre le cardinalBarbarin pour non-dénonciation.
Fléau national
« C’est là où ça a pris une tout autre mesure. Parce que c’est là où on a ouvert une boîte nationale avec des gens qui nous ont écrit de tous les diocèses, puis internationale. Ça nous a vraiment dépassés », avoue Bertrand Virieux, l’un des créateurs de la Parole libérée.
L’affaire Preynat est un séisme et « révèle un fléau national, bien au-delà de Lyon », indique le journaliste qui parle de dizaines d’affaires, parfois très anciennes. La Parole libérée montre ainsi la voie pour que d’autres victimes se fassent entendre. En leur donnant la parole, le documentaire révèle un système ecclésiastique dont le but est d’étouffer méthodiquement chaque affaire. Avec un schéma bien connu : quand un prêtre est dénoncé par une famille, sa hiérarchie le transfère dans une autre paroisse pour éteindre la polémique. La justice n’est jamais alertée.
« Tu sais ce qu’il te reste à faire, frère Ange »
C’est ce qui est arrivé à Audrey, Bretonne de 38 ans. A dix ans, elle est victime de frère Ange, directeur d’une école privée tenue par les moines de la congrégation des frères de Ploermel. Le professeur, raconte Audrey, plaçait les filles à l’arrière de sa classe. Pendant les heures de cours, il marchait parmi elles, caressait leur poitrine, leur ventre, « parfois plus bas », se souvient la jeune femme.
Ses parents tentent de faire sortir l’affaire, mais sont victimes de menaces, non seulement de la part du clergé, mais aussi des autres parents, dans cette très catholique Bretagne. De son côté frère Ange est reçu par sa hiérarchie.
» Devant ses responsables, il a donc avoué les faits, se souvient Audrey. On lui a dit « tu sais ce qu’il te reste à faire, frère Ange » et il a dit « oui donc je m’en vais ». Et après, ils l’ont muté dans une école mixte, avec plus de 400 élèves, dans un autre département. «
Mafia
L’Eglise « a du mal à se mettre à genoux, à demander pardon et à faire passer la justice », estime Christian Terras, directeur du magazine catholique Golias, « Le Canard Enchaîné de l’Eglise ». Il donne ainsi l’exemple de cet évêque condamné par la justice pour ne pas avoir dénoncé un abbé pédophile mais accueilli « en héros » lors d’une réunion épiscopale. « Quand à la perversion d’un prêtre, on trouve la perversion d’un système, on est vraiment dans ce que j’appelle une mafia, » ajoute-t-il.
Au fur et à mesure des témoignages, le film rend compte d’une « emprise physique, psychologique et spirituelle » de l’Eglise sur ses anciennes victimes. Ces relations sexuelles placent la vie de ces enfants « dans la duplicité ». Ainsi, le documentaire montre, en creux, la difficile lutte de ces derniers pour se reconstruire. De la « peur de devenir comme (l’agresseur) » en devenant parent de l’un, à une sexualité homosexuelle refoulée et clandestine d’un autre. « La sexualité qui devrait être heureuse comme dit l’Eglise, là elle devient un calvaire, » explique l’une des victimes.
Ainsi, Victoria, née Sébastien, a eu besoin de changer de sexe pour tourner la page. « Je me suis couché garçon et je me suis réveillée fille. La transsexualité a sauvé ma vie parce que ça m’a permis de rejeter mon corps qui avait été violé. J’ai voulu faire disparaitre mon sexe d’homme, parce qu’au moins, on ne le touche pas, le père Poulichen [son agresseur] et les autres. »
Pédophilie, un silence de cathédrale, de Richard Puech, diffusé le 21 mars à 20h55, 95 minutes.
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