Les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, un mouvement bénévole créé en 1979 à San Francisco, distribuent des capotes dans les rues de Paris tout au long de l’année pour sensibiliser les jeunes aux risques des maladies sexuellement transmissibles. Rencontre avec Sœur CliTotem, Sœur Rose et leurs camarades.
« Suivez le gode ! » crie Sœur Maria-Cullass, brandissant un godemichet rose en plastique, et lançant une nouvelle maraude. Nous sommes dans le Marais, un samedi, à 20h. Tous les mois, le samedi soir, une équipe de bénévoles de Solidarité Sida déambule dans le Marais. L’objectif de ces maraudes : sensibiliser au problème du SIDA et des IST la communauté LGBT fréquentant les bars du quartier, distribuer des préservatifs, mais aussi ouvrir des espaces de paroles, lors de courts entretiens individuels.
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En 2014, 12 000 préservatifs masculins, 2 000 préservatifs féminins, 10 000 dosettes de gel diffusés ont été distribués, et 168 entretiens ont été réalisés. Une fois sur deux, ces bénévoles de Solidarité Sida sont rejoints par ceux et celles d’une autre association : les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence. Les habitués de Solidays connaissent bien les Sœurs: chaque année elles font leur « Messe », sur scène. Un spectacle vivant, drôle et émouvant, qui présente leur mouvement et leurs combats de sensibilisation contre le SIDA, et l’homophobie. Le mouvement des Sœurs a été créé en 1979 à San Francisco, et compte aujourd’hui une vingtaine de couvents aux Etats-Unis et en Europe.
Ce soir là, ce sont les sœurs du Couvent de Paname, avec une sœur du Couvent d’Oc (Montpellier) qui arrivent en groupe vers le BHV. Elles ne passent pas inaperçues. La plupart portent de grandes cornettes, des paillettes sur un visage maquillé de blanc, parfois de faux-cils, parfois du rouge à lèvres. Sur un badge de l’une d’elles, on peut lire : « aimez-vous les uns dans les autres. »
Les capotes partent à une vitesse folle
Premier arrêt : le Cox, bar gay réputé du Marais. « C’est important pour nous d’aller directement au contact des gens, dans la rue, explique Sœur Rose. Avec Solidarité Sida, on est les seules à le faire« . Elles sont accueillies sur la terrasse du bar par des sourires, et des regards pleins de curiosité. « Est-ce que vous avez tout pour ce soir ?« , demande Sœur Maria, en abordant les noctambules. Jonathan, bénévole de Solidarité Sida, accompagné de Laura, se faufile discrètement parmi les groupes d’amis, avec un panier en osier, type panier d’ouvreuse de cinéma. Les capotes partent à une vitesse folle:
« Même si c’est un public qui est informé, il y a un vrai phénomène de lassitude, vis à vis du préservatif, constate Jonathan. Ce soir, on offre des capotes à des personnes qui vont peut être avoir un rapport sexuel, mais qui n’en avaient pas sur eux ».
Il est question de plastique, mais aussi de pratiques. « Ce qui nous unit toutes, c’est l’envie d’être attentif aux autres, et de dire aux gens : soyez heureux avec votre corps, et votre sexualité, quelles que soient vos pratiques« , explique Sœur Maria-Cullass. Elle a 59 ans, une barbe rousse, des petites lunettes, et le visage maquillé. « Et en même temps, poursuit-elle, même si on a une identité de groupe qui est forte, chacune a une identité propre, par exemple je suis plus réservée que Sœur Rose« .
Celle-ci acquiesce :
« Nous ne sommes pas des travestis. Regardez, moi je suis en pantalon, d’autres ont de longues robes, celle-ci est habillée comme si elle faisait le tapin : c’est parce que nous sommes différentes qu’on peut approcher des gens différents. »
Le contact primordial avec le public
Et parce qu’elles sont en contact direct avec le public, elles sont au cœur des problèmes contemporains:
« Lors de notre dernier concile, on s’est dit qu’il y avait un vrai problème avec les drogues, explique Sœur Rose, l’air grave. Y’a des gamins, ils prennent de la MD comme des smarties, tous les samedis soirs. Or le problème de la drogue est directement lié aux risques sexuels : sous drogues, la capote, tu l’oublies vite. Dans le milieu gay, il y a aussi le problème du slam (pratique qui consiste à s’injecter par voie intraveineuse des produits psychoactifs, le plus souvent de la méphédrone, dans le cadre de rapports sexuels- NDLR). Mais il y a peu de prévention, peu d’information, sur ce sujet. C’est terrible. »
Quelques mètres plus loin, devant l’Open Café, tandis que deux bénévoles de Solidarité Sida sont en entretien individuel, une sœur aborde les clients attablés en terrasse. Elle s’appelle Sœur CliTotem, et c’est une femme. « Les gens ne le remarquent pas forcément, au départ, s’amuse-t-elle. Quand on est sœur, on est dégenérée« . Elle se félicite de la féminisation récente du Couvent de Paname, et du très bon accueil des sœurs au sein des bars lesbiens. « C’est essentiel car elles sont parfois très peu informées sur les IST« .
Pourquoi avoir rejoint le Couvent, plutôt qu’une autre association ? « Je les ai vues aux Solidays, au moment du Mariage pour Tous et des Manifs pour Tous, et j’ai eu envie de militer comme ça. Avec des paillettes, du rire, et de la tendresse. J’en avais marre d’être contre, j’avais envie d’être pour, d’œuvrer pour les autres. »
Sœur Bacchanale, Sœur Paprika
La marche continue, et des passants s’arrêtent pour les prendre en photo. Sœur Rose vient se réapprovisionner en capotes auprès de Kevin, de Solidarité Sida, et fait le point :
« Je suis contente, y’avait une mère et sa fille, et la mère m’a laissé parler à sa fille pendant cinq minutes. Je lui ai filé des préservatifs féminins et masculins. »
Une pluie orageuse vient interrompre quelques minutes la maraude. Le temps pour les Sœurs et les bénévoles de faire une pause cigarette, abrités sous le auvent d’un bar. On se compte : « – Où est Sœur Bacchanale ? – Elle est là, avec Sœur Paprika !« . Chacun et chacune fait attention à ce que personne ne soit isolé, pendant les maraudes. Car si ce soir l’accueil est très sympathique, il y a parfois des réactions plus agressives.
« Quand on rentre à 5h du mat, on se fait discrètes« , avoue Sœur Rose. Sœur Maria-Cullass se souvient avoir été insultée une fois, par un homme gay, qui lui reprochait violemment de se moquer de la religion catholique. « On peut susciter de l’incompréhension, voire du dégoût, il faut l’accepter. Je l’avoue, la première fois que j’ai vu les sœurs je me suis dit ‘quelle bande de tarlouzes !’ Et puis je les ai rencontrées », dit-elle avec douceur. Silence ému parmi les Sœurs. « Oui enfin on est quand même des tarlouzes« , lance en riant Sœur Rose.
« Péchez dans la joie, mais avec Saint-Latex ! »
Après un stop vers le Bears’den, direction l’Imprévu, où le MAG Jeunes LGBT (Mouvement d’Affirmation des Jeunes Gays, Lesbiennes, Bi et Trans) fête ses 30 années d’existence. Une jeune femme, qui semble avoir à peine 20 ans, arrive, visiblement bouleversée, vers un groupe de trois sœurs :
« Non mais je suis tellement heureuse de vous rencontrer ! Je suis fan de vous, de tout ce que vous faites ! Je n’arrive pas à croire que je vous rencontre enfin. »
« Alléluia ! », lance une Sœur, avant de la prendre dans ses bras. Le champ lexical clérical, souvent parodié, traverse tout le discours du mouvement. Mais ne les traitez surtout pas de « fausses sœurs », vous les vexerez. « Les sœurs, ce sont des laïques consacrées, nous on est de sacrées connes laïques« , lance Sœur Rose dans un grand éclat de rire. Quand on les quitte un peu avant minuit, on surprend Sœur Bacchanale, qui tendant une capote à un couple, les bénit : « Péchez dans la joie, mais avec Saint-Latex ! » Quelques heures avant la messe dominicale, on est déjà tentés de leur dire, à toutes, qu’elles ne sont pas seulement des sœurs, mais des saintes. Amen.
Camille Emmanuelle
Pour plus d’informations :
• Sur Solidarité Sida : www.solidarite-sida.org
• Sur le Couvent de Paname : www.couventdepaname.org
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