Dans une analyse argumentée des forces qui gouvernent le champ journalistique, Patrick Champagne met en lumière la double dépendance qui accable la presse contemporaine.
On sabre rarement le champagne pour la presse en ces temps incertains : les journalistes s’interrogent tous sur leur avenir, les journaux sont achetés et revendus par de grands groupes financiers, le pluralisme est menacé… Si les motifs de cette inquiétude sont largement documentés, à défaut d’être résolus, les règles qui déterminent structurellement le jeu journalistique restent plus floues.
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Le sociologue Patrick Champagne comble ce manque dans son nouvel essai, La Double Dépendance – Sur le journalisme, qui propose une lecture critique (bourdieusienne, s’il en est) des forces invisibles qui dominent le champ journalistique. A partir d’études de cas précis – la médiatisation des quartiers en difficulté, la fausse agression du RER D, l’histoire du médiateur du Monde, l’affaire du sang contaminé –, Champagne cherche à éclairer les forces qui “travaillent continûment le champ journalistique et lui donnent à un moment donné sa configuration singulière”.
« Impossible autonomie”
Rappelant avec raison (d’agir) que “le journaliste n’existe pas”, Champagne souligne que ce qui existe, “ce sont des journalistes qui occupent des positions déterminées (pigistes, rédacteurs, reporters, éditorialistes…) dans des journaux (quotidiens, hebdomadaires, télévisions, radios…) qui constituent ce qu’il faut bien appeler un champ journalistique”.
En dépit de cet éclectisme de positions individuelles, il existe bien un champ autonome du journalisme. Mais cette autonomie reste sans cesse “menacée par des stratégies d’instrumentalisation opérées depuis d’autres champs, notamment les champs politique (à des fins de propagande) et économique (comme support de publicité)”. L’histoire du journalisme se confond en partie avec l’histoire de cette “impossible autonomie”, ou “l’histoire sans fin d’une autonomie toujours à reconquérir parce que toujours menacée”.
« Contradiction structurale”
Car le champ journalistique est toujours “au service d’autres champs” ou “rend service aux autres champs”. C’est ainsi que le journalisme est aujourd’hui, plus encore qu’hier, soumis à une “double dépendance” : celle du capital économique et celle du capital symbolique. Cette “contradiction structurale” entre ces deux espèces de capital accompagne la profession dans l’exercice de sa mission : fabriquer, autant que restituer, un événement.
Cette contradiction se manifeste ainsi lorsque les pratiques journalistiques les plus conformes aux attendus des chartes du journalisme sont en même temps “le plus souvent loin d’être les plus rentables économiquement”. Chaque média bricole, comme il l’entend, à partir de cette dépendance infernale : une loi d’airain du journalisme qui souffre autant du manque d’air que de l’obsession du gain.
La Double Dépendance – Sur le journalisme (Raisons d’agir), 186 pages, 8 €
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