A l’occasion de notre numéro spécial ”Comment ça va, la France ?”, la cinéaste nous parle de son expérience de manifestante.
“Comme plein de gens, depuis des mois, j’ai l’impression d’avoir été abasourdie, et d’être en colère aujourd’hui. Ma sensation générale est que l’on assiste avec ce gouvernement à un changement radical de paradigme. Il apparaît aujourd’hui très clairement qu’il y a une volonté d’affaiblissement ou de rupture avec le modèle français tel qu’on le connaît depuis, au minimum, la fin de la Seconde Guerre mondiale et tout ce que le Conseil national de la Résistance a instauré. On n’avait jamais vu ça. De la gauche à une droite encore assez fortement sous héritage gaulliste, personne ne remettait en cause frontalement ce modèle.
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https://www.youtube.com/watch?v=T9uRZI556Ps
Il y a tellement d’endroits qui sont attaqués ou affaiblis en même temps, ou juste non réparés là où ils devraient l’être (notamment les hôpitaux), qu’on est dépassés : le système de santé, les retraites, les suppressions de postes à Radio France, etc. Tout est énorme. Mais comme ça se passe dans des endroits différents, soit ça provoquera une complète convergence, soit l’attaque est tellement forte de tous les côtés que les gens ne sauront plus très bien comment faire plier le gouvernement.
Je suis très attentive à la grève de Radio France, parce que c’est la culture qui est attaquée. C’est dément – sans parler du fait que le gouvernement ne fait rien, par ailleurs, en faveur de l’écologie… On a depuis des dizaines d’années une télévision publique catastrophique et une très bonne radio publique. Je n’ai plus la télévision.
“Le gouvernement n’écoute pas l’épuisement de ceux qui travaillent dans les hôpitaux”
J’écoute la radio plusieurs heures par jour, exclusivement Radio France. Et je me reconnais dans cet endroit culturel français de service public. On est content d’avoir cette radio, et, comme par hasard, elle marche en termes d’audience ! C’est quand même extraordinaire ! Eh bien le gouvernement décide de nommer quelqu’un pour casser ça… C’est clair : il faut casser Radio France, donc ce qui tisse du lien entre les gens qui vivent en France.
Dans le cinéma, on s’y attend depuis l’arrivée de Dominique Boutonnat à la tête du CNC (Centre national de la cinématographie – ndlr), l’année prochaine ils vont remettre à plat toutes les aides sélectives et automatiques. Quand on voit ce qui se passe quand ce gouvernement se lance dans un chantier, il est évident qu’ils vont prendre des décisions catastrophiques.
Alors que le système français, créé après 1945 en réaction au plan Marshall pour maintenir vivace le cinéma français face aux Américains, est une réussite absolue ! Ça marche très bien, c’est très lisible. Même s’ils disent qu’il y aura concertation, ils vont rester sourds à tout dialogue, quel que soit le dossier, parce que c’est leur méthode.
La culture est évidemment très importante, mais ce n’est rien par rapport à la question des hôpitaux. Quand j’étais jeune, on savait qu’on avait le meilleur système de santé du monde ! En trente ans, les différents gouvernants ont réussi à tout affaiblir, et le gouvernement actuel n’écoute pas l’épuisement de tous ceux qui travaillent dans les hôpitaux.
C’est complètement dingue ! Ils ont un dessein politique qui a l’air d’être assez clair, même si on a parfois du mal à le décrypter tellement il est sidérant : aller vers la privatisation et développer encore plus le libéralisme. Macron a l’air de penser que c’est sa mission, et que, quelle que soit la réaction des gens en face, il le fera. Ça va aller dans le mur, à un moment donné.
“ Un flic m’a dit : ‘Non, vous ne sortez pas, ça vous apprendra à aller aux manifestations…”
La question des violences policières et des ordres qui sont donnés de nasser les manifestants et à l’occasion de les frapper, les éborgner, est folle. Une fois, j’ai voulu sortir d’une manif en faveur du climat avec une centaine de personnes parce que les flics commençaient à balancer des lacrymos. Un flic m’a dit : ‘Non, vous ne sortez pas, ça vous apprendra à aller aux manifestations…’ Je lui ai répondu : ‘Je suis en train de manifester pour vos enfants, monsieur, pour leur avenir. Je ne suis pas en train de rigoler. Vous croyez que ça m’amuse de passer mon samedi après-midi à manifester ?’
Il y a deux ou trois jours, je sors pour me rendre à un rendez-vous et je me retrouve place de la République. Il y avait une manif de pompiers, c’était l’émeute. Des fumigènes et des grenades assourdissantes à un niveau de folie, des pompiers qui affrontent assez violemment des CRS.
A chaque instant, dans Paris, tu peux tomber sur une scène de manifestation très musclée sans que tu t’y attendes… J’aurais été folle de rejoindre ces pompiers casqués qui se battaient avec des CRS casqués. Mais tu as quand même ce genre d’élan : ‘Il faut sauver ces pompiers !’ On a vu que des pompiers ont sauvé des fins de manifs en se mettant frontalement devant les flics !
Qui va finir par gagner ? C’est très difficile de le savoir. La réaction de tous ces corps de métiers qui cherchent et trouvent de nouveaux systèmes de lutte, de résistance, est très belle ! Parfois, je suis optimiste parce que les gens sont en train de se repolitiser, de se confronter à de nouvelles formes de lutte, dans un climat de réconciliation. Dans les manifs, il n’y a plus cette espèce de climat délétère qu’on ressentait il y a peu, ce rejet des élites où tout était un peu mis dans le même panier, y compris les artistes.
Beaucoup de corps de métiers disent la même chose en venant d’endroits très différents, des Gilets jaunes à l’Opéra de Paris. On a tous vécu, pendant les manifs, ou autour, dans les cafés, des moments où les gens se remettent à se parler. Et c’est assez joyeux.”
Dernière série Le Bureau des légendes saison 4
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