Le maire UMP de Villejuif a décidé de débaptiser le parvis Georges Marchais de sa ville, suscitant l’indignation de personnalités de gauche comme de droite. Au-delà du leader communiste, député de la circonscription pendant 24 ans, c’est la mémoire d’une banlieue rouge qui est visée.
Dix-sept ans après sa mort, Georges Marchais fait l’objet d’une polémique à Villejuif (Val-de-Marne). En 2013 la maire communiste Claudine Cordillot inaugurait un parvis portant son nom, actant une décision datant de 2008. Cette toponymie n’avait rien de surprenant : le secrétaire général du Parti communiste français (de 1972 à 1994) a été député de la circonscription de Villejuif pendant 24 ans, et – que l’on soit d’accord ou pas avec ses idées – a marqué le paysage politique français. Mais le nouveau maire UMP de la ville, Franck Le Bohellec, est revenu sur cette décision le 17 décembre 2014 : le parvis serait renommé Georges Mathé, du nom du fameux cancérologue villejuifois et résistant gaulliste mort en 2010.
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La famille de Georges Marchais et le groupe communiste au Conseil municipal ont déposé un recours en annulation devant le tribunal administratif, le 17 février. Le 23 décembre, Olivier Marchais, le fils du leader communiste, avait pris la parole lors d’un rassemblement sur le parvis en question en ces termes : « Quelle arrogance, quel mépris après seulement neuf mois de mandat! Vouloir faire disparaître la mémoire d’un homme et avec lui, la mémoire collective, l’histoire d’un territoire, de la banlieue rouge ».
Purger la ville de sa mémoire communiste
Dans le contexte local, la décision du nouveau maire est en effet lourde de sens. Après 89 ans de communisme, la ville a connu un changement de majorité historique aux élections municipales de 2014. La liste communiste a été battue par une alliance hétéroclite d’UMP, de centristes (Modem et UDI), de socialistes dissidents et d’écologistes en rupture avec leur parti – dont Alain Lipietz, opposant historique à Georges Marchais de son vivant. « Si cette ville a changé de majorité c’est grâce à une union basée sur l’anticommunisme », explique la sénatrice communiste du Val-de-Marne Laurence Cohen, auteur d’une tribune dans L’Humanité contre le changement de nom du parvis. Cette décision semble confirmer la nature de ce ciment idéologique : il s’agit bien de purger la ville de sa mémoire communiste ostensiblement rappelée par le nom des rues et des espaces publics.
« Le communisme municipal a pris l’habitude de marquer son emprunte par une imagerie et une toponymie de gauche populaire et républicaine, explique l’historien du communisme Roger Martelli. Dans la tête du nouveau maire, je suppose qu’il s’agit de casser ces symboles ». Robert Ménard, élu maire de Béziers en 2014 sur une liste soutenue par le FN s’est déjà illustré en la matière, en rebaptisant en décembre 2014 la rue du 19 mars 1962 (date des accords d’Evian) rue du commandant Hélie Denoix de Saint-Marc, du nom d’un putschiste de la guerre d’Algérie.
Le procédé ne date pas d’hier : « Le premier modèle du genre a été Sartrouville en 1989 », rappelle Roger Martelli. A cette époque, le centriste Laurent Wetzel remporte la mairie de la ville, dirigée depuis trente ans par un maire communiste. Il lance alors une vaste entreprise de « dé-bolchevisation du paysage urbain », en faisant voter par le Conseil municipal la débaptisation des rues Hô Chi Minh, Karl-Marx, Lénine, Marcel-Cachin, Maurice-Thorez, Benoît-Frachon, Paul-Vaillant-Couturier, Jacques-Duclos, Marcel-Paul, Ambroise-Croizat et…19-Mars-1962. La décision de Franck Le Bohellec relève du même processus de nettoyage mémoriel.
Une décision « inutilement provocatrice et arrogante »
Elle soulève cependant des réticences voire l’indignation de nombreuses personnalités politiques et de la société civile, au-delà des rangs communistes. Ainsi le conseiller municipal UDI de Villejuif, président de l’Alliance Centriste Val-de-Marne, Jean-François Harel, s’est fendu d’un communiqué le 21 décembre jugeant « maladroit sinon insultant » ce changement de nom :
« Etant donné ce changement historique de majorité municipale en mars dernier, cette décision est juste inutilement provocatrice et arrogante ».
Il a été rejoint par le député radical du Val-de-Marne Roger-Gérard Schwartzenberg, qui la considère quant à lui « inconvenante et contraire à la dignité de la vie publique » :
« La solution d’équité et de sagesse serait que la municipalité de Villejuif revienne sur sa décision très inopportune et redonne le nom de Georges Marchais à la place qu’elle a à tort débaptisée ».
Saisi par Liliane Marchais, la veuve de Georges Marchais, le préfet du Val-de-Marne Thierry Leleu a indiqué avoir contacté par courrier le 20 février le maire de Villejuif « en rappelant la nécessité d’agir pour l’intérêt général » et en l’invitant à « trouver un compromis acceptable avec les deux familles » et « reconsidérer, par là même, sa position ».
« Le maire de Villejuif fait une double erreur historique »
La fille de Georges Mathé, Catherine Gaston-Mathé, a fait savoir qu’elle « souhaitait qu’une solution soit trouvée pour honorer les deux Georges et rassembler ainsi toutes les sensibilités françaises ». Elle prend ainsi à contre-pied le maire, qui pensait avoir trouvé en Georges Mathé le contre-symbole parfait – un résistant gaulliste – à Georges Marchais. C’est en tout cas l’interprétation d’Olivier Marchais, le fils du dirigeant communiste :
« Franck Le Bohellec fait une double erreur historique : d’une part il veut effacer le nom de Georges Marchais alors qu’il est intimement lié à l’histoire de Villejuif, et d’autre part il veut l’opposer à Georges Mathé alors qu’en dépit de leurs convictions politiques divergentes ils ont travaillé ensemble pour développer la recherche médicale contre le cancer à Villejuif ! »
On ne peut par ailleurs pas reprocher aux communistes d’avoir fait du zèle en faisant entrer précocement et abondamment dans la toponymie le nom de Georges Marchais. En 2004 encore, aucune place, rue ou grand équipement ne portait son nom. Ce n’est qu’en 2012 qu’une place en son honneur fut inaugurée à Champigny-sur-Marne (ville où il a vécu et où il est enterré), suivi par le parvis de Villejuif en 2013. Quand à Georges Mathé, la municipalité l’a honoré comme il se doit dans l’espace public villejuifois, comme le rappelle l’ex-maire communiste de la ville Claudine Cordillot : « Lorsque Georges Mathé est décédé en 2010 nous avons donné son nom à une résidence étudiante et à la salle commune de la pépinière Biopark ».
Au-delà de l’adversité politique
Après plusieurs sollicitations de la famille de Georges Marchais adressées au maire et restées lettres mortes, un recours en annulation a été déposé devant le tribunal administratif. Il pointe notamment un vice de forme, puisque sur l’ordre du jour du Conseil municipal du 17 décembre, il n’était pas indiqué qu’un lieu allait être débaptisé mais seulement que le nom de Georges Mathé allait être attribué à un espace public sur le territoire de la commune. Hier les amis de Georges Marchais ont reçu un soutien inopiné, celui du journaliste à Europe 1 Jean-Pierre Elkabbach :
Au Maire de Villejuif: Ne touchez pas à la Place Georges Marchais ! Son nom appartient à l’Histoire politique du pays.
— JP Elkabbach (@JP_Elkabbach) 26 Février 2015
Georges Marchais est resté dans les mémoires notamment pour son franc-parler et ses coups de gueule à la télévision, en particulier avec ce journaliste.
Il a également été l’artisan de l’eurocommunisme et de l’union de la gauche dans les années 1970. Comme le rappelait son fils le 23 décembre :
« En tant que député, au service des populations, durant 24 ans, Georges Marchais est légitime. Ce parvis rappelle, simplement, ses actions, ses engagements. Cette reconnaissance va bien au-delà de l’adversité politique, elle est Républicaine ».
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