Dans un contexte morose, la rentrée télé oublie les anonymes et fait place à des talk-shows ouverts aux spécialistes d’un monde inquiet.
Un mot – crise – et deux morts – Michel Polac, Jean-Luc Delarue – hantent cette année la rentrée télé. Indexée sur les difficultés financières des chaînes, particulièrement à France Télévisions, où il manque trente millions d’euros de recettes publicitaires, l’ambiance un peu glauque s’explique aussi par la disparition de ces deux figures de la télé française. Des incarnations générationnelles de deux genres de programmes mais aussi de deux modèles d’animateurs : la critique et l’interpellation pour l’un, l’écoute et l’empathie pour l’autre ; la culture et la politique pour l’un, l’intimité et le quotidien pour l’autre…
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Si Polac, plus âgé et effacé, semblait déjà enterré par le PAF, son ombre flotte pourtant sur de nombreux programmes de cette rentrée, à l’inverse de Delarue, dont les chaînes ont renoncé à perpétuer ce qu’il défendait, à part quelques émissions comme Toute une histoire sur France 2. Car la majorité des nouveaux magazines de cette rentrée misent avant tout sur la parole des experts qui s’apprêtent à peupler les plateaux pour éclairer notre époque. Comme si les télés s’intéressaient moins à la vie des gens qu’à l’avis de ceux qui font profession de les ausculter.
Conversation de salon entre spécialistes
Le très vieux modèle du talk-show, tiraillé entre deux versants, radicalise son cap vers la conversation de salon entre spécialistes, loin des personnes ordinaires. Le nouveau magazine de Bruce Toussaint, le vendredi sur France 2, Vous trouvez ça normal ?!, s’inscrit dans cette tendance du moment : une cohorte de chroniqueurs, journalistes, polémistes, humoristes dissèquent collectivement l’actualité de la semaine. L’incontournable Franz-Olivier Giesbert préempte le type d’émission censé s’ouvrir à la parole des intellectuels avec deux magazines, rien que ça – Le Monde d’après sur France 3 et Les Grandes Questions sur France 5.
Attentive à la production intellectuelle contemporaine, Élisabeth Quin reprend l’animation de l’excellente émission 28 minutes sur Arte : un éclairage pertinent de l’actualité par le biais des chercheurs en sciences sociales et exactes, enfin pris au sérieux à la télé, qui les ignore trop largement ailleurs.
Dans le nouveau magazine du week-end de Canal+, Le Supplément, Maïtena Biraben se livre de manière plus pop à cet exercice d’auscultation de l’époque à travers les analyses de journalistes et critiques avisés de la vie artistique, culturelle, politique, économique… Bref, cette rentrée télé se place sous le signe de l’expertise, déjà à l’oeuvre dans de nombreuses émissions existantes, comme si l’époque « insécure » exhortait les chaînes à mobiliser les masses éclairées, à défaut de creuser leur imagination.
Baromètre des inquiétudes ambiantes
La parole profane, horizon originel de la télé, se déploiera surtout cette année dans les divertissements et la téléréalité. Quant aux oeuvres télévisuelles, elles formeront pour beaucoup d’entre elles des baromètres encore plus saisissants des failles qui traversent nos temps actuels.
Les séries américaines (Game of Thrones, Homeland sur Canal+), françaises (Les Revenants sur Canal+, Ainsi soient-ils sur Arte), les téléfilms (Rapace, Clara s’en va mourir sur Arte, La Disparition sur France 2, Les Anonymes sur Canal+), les documentaires (Global gâchis sur Canal+, Noire finance, Chine, le nouvel empire, Les Moissons du futur sur Arte, Au coeur de la Maison Blanche, Barack Obama sur France 2) agiteront nos soirées automnales, collées aux inquiétudes ambiantes.
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