Après l’agression au couteau d’un demandeur d’asile du square de la Chapelle à Paris le 25 juin, les migrants et leurs soutiens alertent sur la situation d’extrême vulnérabilité et d’insécurité dans laquelle se trouvent les quelques 200 réfugiés du quartier, toujours sans logement.
« Je voudrais mourir, mais je ne sais pas comment ». Les larmes aux yeux, Mustafa achève son témoignage devant une poignée de journalistes, sous un soleil de plomb, le 26 juin devant la Halle Pajol, dans le 18e arrondissement de Paris. Il a fui le Darfour (Soudan) en proie à la guerre civile, aux déplacements de populations et aux violations des droits de l’homme, en espérant trouver un ciel plus clément en France. La mine déconfite, son maigre corps enveloppé dans une veste à rayures verticales, il raconte le périple qu’il a vécu avec d’autres migrants :
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« Des gens ont perdu leur famille, ont traversé la Méditerranée sans savoir s’ils allaient s’en sortir. Ils ont pensé qu’ils auraient des droits en France, ce grand pays. Pourtant la France ne nous respecte pas en tant qu’hommes », assène-t-il, découragé.
« C’est là que j’habite »
A quelques pas de là, une cinquantaine de migrants occupent un petit espace devant la bibliothèque Vaclav Havel de la Halle Pajol, dans le dénuement le plus total. Des matelas usés et des sacs de couchage miteux sont étalés à même le sol. « C’est là que j’habite », ironise Jacob, un Libyen arrivé il y a trois mois, qui a appris le français dans des cours du soir pendant 6 ans.
A 11h, un groupe d’une dizaine de migrants part vers les douches municipales avec deux soutiens, tandis que d’autres lavent le trottoir. A la suite de l’évacuation du campement de la Chapelle le 2 juin par la police, certains s’étaient déjà regroupés là avant d’être violemment évacués par les CRS le 8 juin.
Faute d’hébergements, ils sont revenus dans les Jardins d’Eole, proches de la Halle Pajol (d’autres se sont installés près de la gare d’Austerlitz). Le 19 juin, l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (Ofpra) et la ville de Paris ont proposé des solutions d’hébergements à 226 d’entre eux, dans six centres à Paris et Pantin (Seine-Saint-Denis). Mais tous n’y ont pas eu accès.
« Impréparation » et « opacité »
« Impréparation » et « opacité » sont des mots qui reviennent régulièrement dans les bouches des migrants et de leurs soutiens ce 26 juin à l’évocation de cette opération présentée comme « humanitaire ».
« Ils ne nous ont pas prévenu et n’ont pas laissé le choix aux migrants, qui étaient sommés de monter dans des bus sans connaître leur destination ou d’être évacués par la force », rapporte Louis, membre du comité de soutien aux migrants de la Chapelle et bénévole à la Cimade. Résultat : certains, absents à ce moment-là, n’ont pas eu le droit à un hébergement et demeurent à la rue. D’autres en reviennent, car les conditions d’accueil varient en fonction des centres d’hébergement.
C’est le cas de Jacob, qui décrit une chambre où « 16 personnes » étaient entassées, où les toilettes étaient bouchées, la communication sur leurs perspectives absentes… On lui a tant de fois promis en vain un hébergement pérenne qu’il a rebaptisé le directeur de l’Ofpra, « Directeur général du mensonge ».
« Ce dont on est sûr, c’est qu’on n’est pas en sécurité »
Les migrants et leurs soutiens ont d’autres motifs de griefs : la situation des réfugiés présente tous les ingrédients pour que des drames périphériques éclatent.
« Ce dont on est sûr, c’est qu’on n’est pas en sécurité. Des soutiens nous protègent, mais c’est insuffisant. Des rôdeurs se mêlent à nous, nous dérangent. Je suis sûr qu’un jour, on va se retrouver avec un ou des cadavres », affirme Jacob d’une voix faible, la tête baissée.
La veille, un demandeur d’asile du square de la Chapelle a été agressé au couteau, il est toujours hospitalisé à Lariboisière. Le drame serait survenu « lors d’une rixe entre Érythréens », selon Houssam El-Assimi, membre du comité de soutien, qui insiste bien sur les circonstances qui ont généré ces tensions.
« Un an et demi que des gens dorment dans la rue »
Ces circonstances désespèrent Sheriff, un Soudanais désormais hébergé aux Symphonies (18e), qui revient la journée à la Halle Pajol, pour manger notamment grâce à l’aide des associations :
« Les droits de l’homme ne sont plus respectés au Soudan, on pensait qu’ici ils le seraient, pourtant ça fait un an et demi que des gens dorment dans la rue. »
Seule perspective pour les migrants toujours à la rue : la mairie leur a proposé d’occuper un terrain vague à la Chapelle. « Un manière de les rendre invisibles en les sortant de Paris », grince des dents Houssam El-Assimi. C’est tout l’enjeu du travail quotidien du Comité de soutien aux migrants de la Chapelle, qui voit venir avec inquiétude le moment où les bénévoles partiront en vacances. Dans un communiqué de presse diffusé ce 26 juin, et sombrement intitulé « Faudra-t-il un mort à la Chapelle ? », ils écrivent :
« Si nous souhaitons être visibles, c’est pour être protégés des agressions, pour poursuivre le travail juridique, sanitaire et pédagogique entrepris. C’est pour résister et exister ensemble ».
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