120 battements par minute de Robin Campillo raconte la formidable épopée d’Act Up et sort en une période opportune où l’homophobie connaît de nouvelles flambées criminelles. Et fait de la parole la matière d’un pur film d’action.
On a beaucoup affirmé depuis le précédent Festival de Cannes, où 120 battements par minute remportait le Grand Prix du jury – et une salve fiévreuse d’ovations à chaque projection –, que le film de Robin Campillo s’imposait comme un formidable geste d’intervention. Le film tombe juste. Et si, comme nous le raconte longuement dans ce numéro Robin Campillo, le projet a connu une germination lente, nul doute que son timing à détente longue était le bon.
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Parce qu’il est particulièrement opportun de raconter comme une épopée un moment à la fois tragique et héroïque des combats LGBT (à l’heure où dans divers endroits du globe, l’homophobie connaît de nouvelles flambées criminelles). Parce que, plus largement, Act Up s’est inventé un espace où la politique et l’amour, les actions militantes et le mode de vie (ensemble, tout le jour et toute la nuit, des amphis des Beaux-Arts aux dance-floors parisiens) étaient intimement noués.
Vivre, aimer, se battre, jouir tout ensemble, c’était l’être au monde des militants de cette association, au fonctionnement de bande. Ses radiations utopiques se propagent jusqu’à aujourd’hui. Et d’aucuns ont pu voir non sans émotion revenir lors de Nuit debout l’année dernière une forme de sociabilité dans l’action politique, mais aussi des protocoles de parole, directement hérités de l’association de lutte contre le sida.
Le film magnifie les vertus de la contestation, la force qu’il faut pour renverser les perspectives, remettre en cause des rapports de force séculaires qu’on pensait intangibles (le partage entre les professionnels de la santé censés savoir et les malades censés subir, toute la chaîne du biopouvoir…).
Mais évidemment, cette épopée du courage, de l’insolence et de l’imagination en politique ne serait pas à ce point foudroyante si elle ne s’incarnait pas dans une forme de cinéma aussi originale, maîtrisée que parfaitement adéquate. Parmi les légères réserves qui ont pu s’exprimer autour du film ces derniers mois, on a pu entendre qu’il valait davantage par son sujet que par sa mise en scène. Qu’il souffrirait d’un défaut de cinéma.
Le reproche est aussi inapproprié qu’injuste. 120 battements… trouve l’énonciation parfaite pour incarner ce qu’il veut dire. Celle d’un grand film parlant, où la discussion est une sorte d’enzyme, de levure, de pâte qui peu à peu engendre l’action.
C’est une idée magnifique d’avoir serti chaque scène d’intervention militante d’un flot de paroles – généralement contradictoires –, qui l’anticipe ou la débriefe. De sorte que chaque image paraît tractée par un flux verbal ininterrompu qui opère sur le film comme un incubateur. Avec une maestria inouïe du flow, Campillo fait de la parole la matière d’un pur film d’action. C’est logiquement l’événement majeur de notre rentrée cinéma.
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