Fraîchement paru sur iPhone et Android, le jeu gratuit (mais avec achats optionnels intégrés) « Pac-Man 256 » renouvelle intelligemment la formule qui a fait le succès de la série depuis le titre pionnier de 1980. Il faut dire que Pac-Man n’en est pas à sa première mutation.
Oubliez Metal Gear Solid, Halo et Tomb Raider. La star vidéoludique du moment est un vieillard qui fête ses 35 ans. Et qui trouve le moyen de surprendre encore sans rompre avec les principes même qui avaient fait de lui le porte-étendard de l’industrie naissante du jeu vidéo au début des années 1980. Cet été, il s’est même offert un passage sur le grand écran en apparaissant, avec son créateur Toru Iwatani, dans le film Pixels. Cela ne restera certainement pas comme son principal titre de gloire mais notre glouton rond comme un ballon et plus jaune qu’un citron ne devait pas s’arrêter là. Depuis peu, il est de retour parmi les jeux les plus téléchargés des stores iOS, Android et Amazon. Et, cette fois, c’est vraiment du grand Pac-Man.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Une précision : Pac-Man 256, puisque tel est son nom, s’appuie sur le modèle économique « free to play », ce qui veut dire que si on peut effectivement s’y adonner sans rien débourser, l’incitation à la dépense (pour acheter de nouveaux « crédits » dans une réinvention mobile de l’arcade d’antan) y est fréquente et on échappera aussi difficilement à quelques vidéos publicitaires. Deux options s’offrent alors au joueur : acheter la version complète de Pac-Man 256 pour le pratiquer en toute liberté – il lui en coûtera 7,99€ – ou faire de l’évitement du paiement une sorte de jeu en soi. A chacun de voir.
Pour saisir d’où vient Pac-Man 256, qui tire son nom du fameux bug qui rendait impossible la poursuite d’une partie au-delà du niveau 256 dans le jeu original – on y reviendra –, un petit retour en arrière s’impose. En schématisant un peu, l’histoire de la série Pac-Man se divise en quatre périodes. D’abord, en 1980 il y eut l’invention du jeu qui a tout changé, attirant les foules dans les bars et salles d’arcade avant de conquérir les foyers.
Puis vint la volonté de faire légèrement évoluer la formule, avec des changements parfois essentiellement cosmétiques, parfois plus profonds. Cela donna Ms Pac-Man (1982), Jr Pac-Man (1983) ou encore Pac-Mania (1987) avec ses niveaux réinventés en vue isométrique. Jusqu’ici, tout allait bien.
Et puis, dans les années 1990, les modes changent, Pac-Man semble douter de lui-même et devient un héros de jeux de plateforme. De Pac-In-Time (1994) à la saga spin-off Pac-Man World (trois volets officiels entre 1999 et 2005), le résultat n’a rien de honteux, mais l’ancien pionnier est devenu un suiveur. On prend encore plaisir à le fréquenter mais le cœur n’y est plus tout à fait.
Il ne fallait pourtant pas désespérer de Pac-Man qui n’allait pas tarder à recommencer à innover. C’est la quatrième phase de son histoire, d’autant plus enthousiasmante qu’elle semble prendre comme point de départ une interrogation à la fois très intelligente et très joueuse sur ce qu’est vraiment, profondément Pac-Man. Celle-ci a donné un jeu à plusieurs consoles dans lequel les joueurs se répartissent les rôles entre fantômes et glouton (Pac-Man Vs, 2003), un autre dans lequel on dessine nous-même notre Pac-Man (Pac-Pix, 2005) et, surtout, le génial diptyque sous acide Pac-Man Championship Edition (2007) – Championship Edition DX (2010), conçu par Iwatani lui-même, qui accélère le tempo et redistribue les cartes, pac-gommes et bonus apparaissant par à-coups dans un espace divisé en deux. Pac-Man 256 est son héritier direct.
Remarqué avec Crossy Road, sa réinvention entêtante d’un autre grand classique, Frogger, le studio australien Hipster Whale a donc pris comme point de départ le mythique niveau 256 du premier Pac-Man, injouable parce qu’une partie du labyrinthe, remplacée par une série de chiffres et de lettres de couleurs, y est inaccessible. Dans Pac-Man 256, ces signes forment une menace qui nous guette et nous poursuit. Ils apparaissent soudain et commencent à « ronger » une zone qu’il nous faut alors fuir sans tarder. Comme si la « matrice » se défaisait, comme si un Mr Robot vengeur avait hacké Pac-Man, comme si le jeu lui-même (et pas seulement le joueur) risquait la « mort ».
Mais ce n’est pas tout : Pac-Man 256 fourmille de petites idées. Notre héros dispose de nouveaux pouvoirs. Il grossit, fait exploser des bombes ou grille les fantômes au laser, mais tout cela reste instable, provisoire. Dans sa course au meilleur score, le joueur se fixe lui-même ses objectifs secondaires. Va-t-il relever le défi des 256 pac-gommes gobées successivement – la première fois qu’on y arrive, la fierté est totale – au risque d’attirer l’attention d’un fantôme ou bien choisir une route plus sûre ? Sera-t-on casse-cou ou gagne-petit, subtil ou direct, aventurier ou méticuleux ?
Pac-Man 256 est le jeu de la fragilité qui vient, qu’on repousse avec application mais sans jamais l’oublier totalement, pour s’installer dans un état de sérénité d’autant plus précieux qu’il est condamné à ne pas durer. On file, on ruse, on est conscient de tout. Pac-Man 256 est moderne et beau. Il nous dit qu’on est vivant, qu’avoir peur n’est pas grave et que rien n’est jamais vraiment perdu (ni gagné, d’ailleurs, ça va avec). On l’en remercie chaudement.
Pac-Man 256 (Hipster Whale / Bandai Namco), sur iPhone, iPad, Android et Kindle Fire.
{"type":"Banniere-Basse"}