Réponse : dans la pénombre, le long de peaux apparentes et derrière le micro tenu par North West.
Dans les paillettes post-genre du Glam Rock
Tels les New York Dolls déboulant sur scène dans le brouillard des fumigènes, les mannequins du défilé Rick Owens ont frappé de leurs boots à plate-formes géantes le podium du Palais de Tokyo.
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Dans leurs capes surdimensionnées faites à partir de doudounes Moncler, ces oiseaux de nuit évoquent la dégaine Glam rock des années 1970 – mais aujourd’hui elle est fabriquée avec les méthodes de l’upcycling. Chez Dries Van Noten, la tendance s’exprime dans les robes bleues nuit et vestes de velours aubergines portées par des mannequins outrancièrement maquillées de paillettes, tandis qu’elle s’invite dans les ensembles de cuir à même le corps chez Mugler ou les imprimés zèbres de EachXOther.
Le glamour offre un twist aux marques les plus classiques comme Saint Laurent, tandis qu’il permet à des labels plus underground comme Ottolinger de s’enchérir d’un vestiaire de soirée. L’extravagance et les prétentions du courant Glam rock furent analysées par le sociologue Dick Hebdige comme autant d’outils stratégiques qui permettaient aux individus de recomposer une identité androgyne hors des structures sociales communes. Bowie, Lou Reed, autant d’icônes stylistiques transgénérationnelles citées par des minets qui se détachent d’un monde prosaïque dystopique. Leitmotiv de la mode masculine de Heidi Slimane, qui leur rendit hommage dans le défilé Dior Homme intitulé Glam Rock en 2005, ce style dépasse le genre en 2020, et habille dans des robes de milles sequins les minettes Celine chaussées de sandales plateformes.
Dans le Post-porn
À l’occasion du défilé Off-white, c’est vêtue d’une robe blanche découpée au niveau abdominal que la mannequin Carolyn Murphy, 45 ans, fit immersion sur le podium, telle une réminiscence d’elle-même. En 1996, c’est une robe similaire qu’elle portait, alors égérie porno-chic de la campagne Gucci du texan Tom Ford. La toile ne manque pas de noter la référence dans le cadre d’un défilé contemporain qui articule couleurs néons et imprimé graffiti répondant aux codes street de Virgil Abloh.
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Le porno-chic sort de sa bulle bourgeoise et son vestiaire chic et érotique articulant pyjamas de velours portés en plein jour et des robes de soie sexy aux larges découpes aperçues chez Nina Ricci. Il revit dans les nuisettes aux couleurs sombres du défilé Atlein, les jupes crayons surmontées de blouses laissant apparaître des bustiers de satin chez Olivier Theyskens ou encore les robes en latex chez Kwaidan Edition et les ensembles pantalons tailles basses soutien-gorges de Mugler. Associé à des références racing pour la présentation Sakspotts, ce porno a été relu et réapproprié depuis sa naissance entre les mains de la très parisienne Carine Roitfeld et du photographe ère pré-me-too Mario Testino. Si la mouvance s’inscrivait en post-scriptum des années sida marquées par la sexualité morbide du style Grunge, elle revient alors que le réalisateur Harvey Weinstein est condamné. Pour une sexualité dans un monde meilleur ?
Dans la mini-jupe recyclée et revisitée
Des jupes en vinyle chez Kimehekim, dévorées par l’acide chez Ottolinger ou encore trapèzes chez Rochas : cette saison propose une anthologie du mini à travers les siècles. Lanvin ou Giambattista Valli et leurs élans sixties évoquent un André Courrèges pour qui la mini-jupe signait le futur et la modernité dans l’ère d’un prêt-à-porter plein de promesses en 1970. Symbole d’émancipation pour une poignée de femmes européennes, cet élément du vestiaire s’articule aux blouses Lavallière chez Chanel, et s’affiche dans les réinterprétations du vestiaire nigérien proposées par Kenneth Ize. Chez Louis Vuitton elles sont baroques, ou de cuir, et surmontent parfois des pantalons. Loin de ses débuts au goût rosé de Babydoll, la mini-jupe se fait le véhicule de voyages dans les époques à l’heure où la mode s’interroge sur la vitesse de ses cycles de renouvellement. Si Nicolas Ghesquière a décliné la mini-jupe pour évoquer le passé comme le futurisme dans ses années chez Balenciaga, elle est aussi ici un rappel du film Orlando dans lequel Tilda Swinton voyage dans le temps. C’est d’ailleurs le film qui sert de point de départ au prochain Gala du MET dont le thème About Time : Fashion and Duration a trouvé comme parrain….Nicolas Ghesquière.
Dans le retour de Kanye West
Les cheveux nattés avec des longues extensions, enveloppée dans une doudoune rose, North West, 6 ans, conclut au pied du parti communiste français le show Yeezy season 8 dont le designer n’est autre que son père, le rappeur Kanye West. “This is my new crew”, lance-t-elle au public dans lequel sa mère, Kim Kardashian, filme tout en applaudissant. Depuis 2016 et Yeezy season 4, Kayne West avait renoncé aux présentations préférant étudier la mode avant d’y revenir. Le show en accord avec le symbole du lieu, propose une mode qui se décline selon la conjecture de l’uniforme où se joignent crop-top et pantalon à la fois ample et moulant surmontés de larges bijoux dorés signés Colombe d’Humières. Dimanche, la tribu West-Kardashian embrassait déjà ces tonalités beiges, dans le théâtre des Bouffes du Nord où se tenait un Sunday Service – une cérémonie musicale reprenant les codes du Gospel initiée par Kanye West il y a un an, en Californie, et préfigurant la sortie de son album Jesus is King. Une façon d’articuler les cérémoniels de cultures et d’époques différentes dans un moment de partage.
Dans un noir monacal
Ainsi, cette saison, la mode se joue du sens littéral et symbolique de la communion dominicale. Après l’étape « Kanye West », c’est le film post-moderne de Demna Gvesalia pour Balenciaga qui s’inscrit sur le chemin des fervents de la mode. Des tenues monacales dans des velours, nylons ou lurex sombres envahissent un podium où les mannequins s’enfoncent « sur l’eau ». Chez Givenchy, entre le rouge et le noir des longues robes surmontées de manteaux de cachemire se cachaient des pendentifs religieux offrant un soupçon gothique à la collection.
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La prophétie des robes noires, qu’elles soient de dentelles romantiques ou en vinyle rock, fut le passage obligé de marques hétéroclites : Valentino, Givenchy, Sacai, Gauchère, Chanel…Une liste non-exhaustive qui laisse le fil Instagram des modeux marqué d’un monochrome sombre tel une œuvre de Pierre Soulages. Si ce dernier, est le peintre de la lumière, il semble lumineux d’utiliser cette couleur dans une ère où le vêtement se perçoit en deux dimensions via Instagram. Déjà en 2014, le New York Times notait qu’il était impossible d’apprécier les subtilités des collections de créateurs comme Junya Watanabe composée essentiellement de nuances de noir. Ainsi est-ce un appel pour revenir sur le lieu de communion de la mode qu’est le défilé, ou du moins réapprendre à regarder le vêtement ?
Dans le néo-Helmut Lang
Dans les années 90, en pleine ébullition du bling, s’est manifesté un contre-courant minimal influé en grande partie sur Helmut Lang. Intéressé par la technologie et les matières novatrices, il produisait des vêtements à la fois luxueux, utilitaires, et sans âge. En avance sur son temps, il employait déjà l’épuration poussée à l’extrême, les coupes droites et androgynes, le sportswear, les uniformes militaires et les costumes destructurés, sans fausse féérie ni paillettes, mais plutôt pensés pour un quotidien en mouvement. Un engouement si vif qu’il gagna le nom de Lang-o-mania. Puis ce fut au tour de Calvin Klein, Donna Karan, et dans un jeu d’imprimés plus audacieux, Prada, de sortir également de l’idée d’une femme objet et penser un vêtement avant tout pour les mouvements de celle qui le porte.
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Cette saison, Nina Ricci proposait des costumes en soie techniques oranges, entre workwear et vêtement formel ; Gauchère, des vestons se morphant en blazer, et des robes à la coupe droite et aux bretelles dites spaghetti ; The Row, des suits ton-sur-ton XXL. Chez Acne ou Kwaidan Editions, on découvrait des robes-chemises ergonomiques sur des jupes amples fendues, et chez Agnona des chemises aux détails militaires aux matières techniques. Une modernité qui ne joue pas sur le futurisme mais qui s’ancre dans le quotidien, pour que “la forme suit le fonction” dixit l’architecte moderniste Louis Sullivan – et non le contraire.
Dans le manteau comme pièce de résistance
Chez Giambattista Valli, c’est une cape militaire qui fait office de robe façon Yeye passée par l’armée, qui ouvre le show. Puis des redingotes se muent en robe années 40 ceinturées. Chez Coperni, les lignes Sixties sont maintenues dans des manteaux courts portés comme des minirobes.
Pour Marine Serre, cette hybride se joue dans un modèle en tweed à double boutonnage et pour Junko Shimada, pour une doudoune courte devenant une pièce essentielle d’un look, associée simplement à des collants d’un bleu pétaradant. Un reflet de la fluidité des tenues, et du chamboulement climatique, autant que la conscience d’être vu et Instagrammable à tout instant, en faisant d’un cocon protecteur l’affirmation de ses valeurs.
Dans la guerrière du futur
Pour sa première collection à la tête de Kenzo, Felipe Oliveira Baptista introduit des silhouettes la tête couverte de longues capuches-capes, capeline, dans des vêtements près pour affronter le désert, la planète Mars ou la troisième guerre mondiale.
Chez Sacai, le bomber est greffé à une robe-traine du même acabit ; Theyskens et ses vestons en cuir graphique évoquent une femme warrior – et des plus sexy par ailleurs ; chez Hermès, la tendance apparaît dans des trench-coat en cuir et chez Balenciaga dans des robes vinyles entre vamp et soldat.
En plus de souligner une fois de plus la panique écologique et la disparition des saisons, elle rappelle l’endurcissement et la militarisation des villes, découlant sur une tendance que certains surnomment déjà “Warcore”.
Dans la culotte apparente
Des panties en jean sous une jupe chez Marques Almeida, sous un modèle en tulle pour Dior ou Jourden, sous une robe en résille chez Gypsy Sport, ou en guise de bas de costumes chez Area : la culotte est de retour et s’annonce comme un élément fièrement affiché dans le vestiaire hivernal 2020. Ce qui rejoint une longue histoire de cache-cache avec les sous-vêtements, depuis les Visible Panty Lines (ou marque de culotte) à bannir jusqu’au string à faire fièrement dépasser de son jean taille base époque Paris Hilton. Quant aux soutien-gorges, ceux-ci aussi apparaissent occasionnellement, assortis, chez Pucci, Fendi, Marc Jacobs ou Koché et se portent avec l’assurance d’un corset.
Dans les plumes
Une tunique entière de plumes opalines pour Issey Miyake, une robe en tulle et pans de plumes camouflant les endroits stratégiques, ou sous la forme d’un blouson oversize chez Balenciaga, sous oublier un col XXL par Marine Serre. Malgré la disparition graduelle de la fourrure, les plumes elles demeurent et jouent avec une tradition ancrée dans l’aristocratie française, puis qui apparaîtra au tournant du 20ème siècle sur des boas et robes du soir. Un retour au retro qu’on remarquera dans le retour des looks façon Flapper Girls des années 20 ou qui élèvent la rigueur de formes des années 40 – et qui met en scène un signifiant féminin qui vient contrer l’androgynie par moment, la réinventer à d’autres.
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