Retracer l’histoire des discothèques via leur architecture : c’est l’objet d’une riche exposition présentée à la villa Noailles, à Hyères.
Théâtres de nos frasques et pavanes nocturnes, les boîtes de nuit ont toujours fasciné pour les mondes secrets qu’elles pouvaient renfermer. Comme si la clôture sur soi augurait une échappée vers un hors-lieu forcément atypique et exaltant.
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Désormais souvent délaissées au profit d’autres types de lieux encore plus éphémères, ces drôles de boîtes qui ont traversé les soixante dernières années font aujourd’hui l’objet de nombreuses recherches.
C’est dans ce contexte que s’inscrit l’expo La Boîte de nuit orchestrée par Audrey Teichmann, Benjamin Lafore et Sébastien Martinez-Barat à la villa Noailles, à Hyères. Ils ont choisi l’angle de l’architecture pour nous faire (re)découvrir ces lieux.
Dès son apparition dans les années 1960, l’architecture des boîtes de nuit a ceci d’unique qu’elle transforme le rôle même de l’architecte. Qui ne se limite plus à la conception de l’objet bâti, mais s’étend à la conception de l’expérience vécue. Roland Barthes, grand adepte de la nuit parisienne et du Palace, dira que l’architecture des boîtes de nuit s’affirme comme “tout un dispositif de sensations destinées à rendre les gens heureux”.
Du Piper Pluriclub des avant-gardes italiennes de la fin des 60’s au projet inabouti MOS II du mythique Ministry Of Sound londonien, en passant par le Palace à Paris ou le Studio 54 à New York, chaque boîte de nuit semble conçue comme un ensemble à l’intérieur duquel le moindre détail compte en tant qu’élément d’architecture.
Ces hors-lieux n’en sont pas moins des espaces politiques et commerciaux, traversés par des enjeux sociaux. L’exposition, qui rassemble un très grand nombre de plans, maquettes, photographies, sculptures, œuvres graphiques, films et textes, les aborde donc également comme des laboratoires intimement liés aux mouvements de contre-culture, bien souvent en avance sur leur époque.
Entretien avec Audrey Teichmann, l’une des commissaires de l’exposition.
Qu’est-ce qui fait la spécificité de l’architecture des boîtes de nuit ?
Elle formule la promesse de quitter le monde tel qu’on le connaît pour un ailleurs. Un ailleurs qui est à la fois stimulant, parce qu’il excite l’ensemble des sens, et émancipateur, parce que justement il échappe à une réalité quotidienne et à tout ce qui va avec.
Il s’agit aussi très souvent de lieux qui représentent une échappée de toutes les questions de minorités ethniques et sexuelles. Plus spécifiquement, ce qu’il y a de marquant, c’est que cette architecture tend à s’invisibiliser, à ne pas apparaître comme telle.
La question initiale de notre projet était d’examiner en quoi il s’agissait d’architecture à proprement parler et pas simplement d’aménagement intérieur. Et nous nous sommes aperçus que c’est une architecture dans laquelle tout fait sens.
La boule à facettes ou le miroir de salle de bains par exemple, qui sont parfois l’œuvre d’architectes, ne sont jamais de simples miroirs mais permettent à l’espace de se métamorphoser et de refléter de manière spéculaire un autre espace.
Que racontent ces bâtiments ? Une époque ou les idéologies de ceux qui les conçoivent ?
Il y a quelque chose de l’ordre de l’utopie réalisée, mais c’est une question complexe car les choses ont beaucoup varié à travers les époques. Les années 1960 représentent une période expérimentale pour la boîte de nuit. Elle a alors des liens avec la culture performative propre à la scène artistique.
On peut dire que cela reflète une sorte de société, mais cela montre surtout qu’à un moment donné, pour une époque donnée, on peut créer un programme qui fait que cette population est dans un lieu clos et qu’elle a le sentiment illusoire – ou pas – de s’échapper. L’architecture des boîtes de nuit peut donc raconter négativement ce qu’un groupe social cherche à fuir.
Dans la culture disco des années 1970, par exemple, c’est une échappatoire à toutes les ségrégations. L’époque des rave parties des années 1990 dit beaucoup des sociétés qui vivent en marge, qui se réfugient dans des lieux métamorphosés de manière provisoire, sur la mobilité et la “dissolution” des lieux clos.
Et puis aujourd’hui, cela raconte bien sûr des rapports sociaux en délitement, les impacts des nouvelles technologies, des nouveaux réseaux de communication à distance, etc. Ce qui est intéressant, c’est de voir que l’architecture évolue avec toutes ces problématiques sociétales, que les utopies et les avant-gardes se sont métamorphosées, et les lieux avec.
Quelle est la fonction des boîtes de nuit ?
D’être émancipatrices. Avec cette exposition, nous invitons à explorer une architecture qui a vocation à être une boîte, un lieu clos qui a la capacité de nous amener autre part. Le nom même de boîte de nuit reflète la recherche d’un autre monde.
Les avant-gardes italiennes sont assez significatives à cet égard, puisque l’un des lieux emblématiques de la fin des 60’s est L’Altro Mondo, et “l’autre monde”, c’est en soi tout un programme, comme un couloir où le temps et l’espace se modifient. Et en même temps, ce sont des architectures souvent programmatiques qui ont aussi pour vocation de conditionner tout le déroulement d’une soirée.
La Boîte de nuit du 19 février au 19 mars, à la villa Noailles, Hyères (83)
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