“Faites un triangle avec vos deux mains. Ceci s’appelle un Yoni Mudra, ou temple sacré en sanskrit. Placez ce mudra sur votre bas-ventre. Fermez les yeux, concentrez-vous sur votre troisième œil et répétez trois fois ‘J’invoque mon pouvoir’ en visualisant une lumière blanche qui émane de votre utérus.” Ce cours d’initiation à la sorcellerie est donné, […]
Tirages de cartes, tarots et cérémonie de solstice d’été : la mode, la culture et divers groupes en lutte contre le système dominant se réapproprient la sorcellerie, purgée de ses connotations négatives, pour en faire un moyen de résistance pacifiste et alternatif.
“Faites un triangle avec vos deux mains. Ceci s’appelle un Yoni Mudra, ou temple sacré en sanskrit. Placez ce mudra sur votre bas-ventre. Fermez les yeux, concentrez-vous sur votre troisième œil et répétez trois fois ‘J’invoque mon pouvoir’ en visualisant une lumière blanche qui émane de votre utérus.”
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Ce cours d’initiation à la sorcellerie est donné, contre toute attente, par le Vogue US, qui depuis plusieurs mois livre des idées de mausolées en l’honneur de l’éclipse, des interviews de jeunes sorcières de Brooklyn et des cérémonies de solstice d’été. La publication a même lancé un événement, le “Witchy Week”, où prennent place des rituels autour de la pleine lune, des fabriques de potions et des cours de spiritualité.
Un nombre grandissant de créateurs suit le parcours de Vivienne Westwood
Elle n’est pas la seule. Si les magazines et les marques d’antan promettaient amour, gloire et minceur, une vaste tendance encourage aujourd’hui un cheminement transcendantal et ésotérique. Teen Vogue ou Nylon Magazine couvrent les meilleurs looks de festivals comme le Witchfest et proposent des tutoriaux de divination.
Dazed & Confused vient même d’annoncer l’arrivée dans sa rédaction de Lauren Bowker, sorcière autoproclamée et fondatrice du laboratoire de magie et mysticisme The Unseen, en tant que rédactrice en chef spécialisée en sciences alternatives. Sur Instagram, des It-sorcières comme The Hood Witch ou Fay Nowitz accumulent un following aussi modeux que cabalistique.
Quant aux créateurs, un nombre grandissant suit le parcours de Vivienne Westwood, qui consacrait déjà des collections entières au paganisme dans les années 1980, ou Alexander McQueen, fasciné par les puissances occultes. Aujourd’hui, Maria Grazia Chuiri, à la tête de Dior, injecte de nombreux clins d’œil à la passion de son fondateur pour le tirage de cartes, auquel il excellait ; Gucci se sert aussi de cette iconographie en guise d’ornementation. Quant à la jeune créatrice anglaise Clio Peppiatt, elle utilise une carte de tarot personnalisée en guise d’invitation à son défilé.
Une tendance présente dans la musique
Cette tendance est également visible dans la musique : FKA Twigs, Solange Knowles ou Erykah Badu citent toutes de nombreuses pratiques liées à la magie. Princess Nokia signe plusieurs chansons en l’honneur de sa pratique et sa croyance dans la sorcellerie, dont son hit Brujas – ou dans un autre morceau : “That girl is a witch and the girl has tricks”. Et la musicienne électronique afro-féministe Moor Mother innove dans le style trap.
Pour toutes ces femmes, ce courant est une façon de s’inscrire dans la continuité d’une histoire féministe métissée et doublement minorée. “Courtney Love ou Tavi Gevinson, Lorde ou Marina Abramovic… L’art et la culture sont marqués par des femmes symbolisant des sorcières dans l’inconscient collectif”, explique Elisabeth Krohn, fondatrice et rédactrice en chef du magazine culturel de sorcellerie Sabat Magazine.
« La sorcière est avant tout une figure militante qui cherche à chambouler le système »
Sa définition de la sorcière contemporaine ? “Quelqu’un qui célèbre la part de magie et le mystère dans l’univers, écoute son intuition, cherche des solutions et des prises de pouvoir hors de la logique cynique, rationnelle et viriliste dominante. La sorcière est avant tout une figure militante qui cherche à chambouler le système.”
Un hacking de la matrice, en somme, qui dénonce à la fois les maux de la société et les mythes qui la régulent, ajoute-t-elle ; dans un monde sans espoir, obsédé par la réussite capitaliste, cette vision de partage et de solidarité se fait l’antidote d’une crise profonde.
L’émergence de la sorcellerie souligne une volonté d’empowerment
Peu étonnant, donc, que ce courant explose à l’heure de Trump et des fake news. Si le président américain confectionne ouvertement ses propres vérités en étouffant celles des autres, l’émergence de la sorcellerie souligne une volonté d’empowerment hors des structures dominantes d’un pouvoir plus opaque que jamais. Ainsi, de nombreuses sorcières, dont le courant W.I.T.C.H., préparent des rituels contre le gouvernement des Etats-Unis – lors de la Women’s March ou plus récemment pour protester contre les rassemblements néonazis de Charlottesville.
“W.I.T.C.H. s’est fait connaître grâce entre autres à cette idée de connexion et de prière commune, accessible à n’importe qui, en appelant les sorcières du monde entier à s’unir contre Trump autour de rituels ou de prières”, explique Maddie Katze, qui se définit comme “gouine, fem, sorcière et féministe”.
Ou encore : “Leur philosophie consiste à s’allier contre les cultures dominantes qu’on soit queer, néo-païenNEs, raciséEs, migrantEs, femmes en s’affirmant sorcières, en inspirant la terreur et en canalisant les énergies de chacunEs afin de faire régner la paix, le progrès et la justice. Ce mouvement appelle à l’anonymat et trouve une visibilité sur les réseaux sociaux” (#witchesofinstagram).
“La ‘sorcière’ est un processus ancien d’ostracisation »
D’autres hashtags fleurissent, comme #MagicResistance ou #HexThePatriarchy, et relaient le discours d’un féminisme intersectionnel, militant, connecté et démocratique, qui remet à jour et s’attaque à l’un des plus grands stigmates historiques : celui de la femme comme sorcière.
Depuis Lilith, première épouse d’Adam évincée du Paradis pour avoir contesté sa domination, jusqu’aux procès des sorcières de Salem, cette figure est dangereuse puisqu’elle élabore des armes de résistances alternatives et terrifie pour sa remise en question de l’homme dominant.
“Sorcière”, “vieille folle” ou “hystérique”, la langue confine la femme insoumise à une figure de danger quasi diabolique. “La ‘sorcière’ est un processus ancien d’ostracisation de la femme rebelle, que de nombreuses femmes cherchent aujourd’hui à retourner et s’approprier”, analyse Sarah Lyons, journaliste féministe qui étudie notamment la figure de Lilith dans le féminisme.
Cette revendication émerge dans les années 1970, où les premiers groupes de recherches féministes créent des liens entre milieux universitaires et militants ; ils font de la “witch” une figure de proue d’une cause, et du slogan “Tremblez tremblez, les sorcières sont de retour” un véritable cri de guerre. Puis, dans les années 1980, la militante anticapitaliste et altermondialiste Starhawk théorise le néopaganisme et crée de nombreux covens (classiquement un clan de sorcière, devenu un rassemblement militant).
« On trouve notre propre force et on valide nous-mêmes notre pouvoir”
Aujourd’hui, cette science contestée mais engagée pourrait être un remède aux mots sociaux et intimes, une forme de croyance hors des dogmes religieux : “En apportant de nouvelles pistes de lecture de nos vies et de nos expériences grâce à nos propres grilles, en prenant soin des unes et des autres grâce à des remèdes naturels, des prières ou des rituels de bienveillance, on trouve notre propre force et on valide nous-mêmes notre pouvoir”, ajoute Maddie Katze.
Pourquoi diffuser cette pensée par le biais de vêtements, de bijoux ou de magazines ? Ces objets sont investis de valeurs et prennent un rôle transcendantal, à la façon de talismans modernes, pense Elisabeth Krohn. Ils deviennent les icônes d’une croyance qui ne divise pas, d’une force qui n’est pas à l’origine de guerres, de rassemblements qui ne forment pas d’oppression. La sorcellerie, le pacifisme de 2018 ?
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