C’est entre le tapis rouge du Dolby Theatre et celui de l’after party organisée que se décrypte la soirée des Oscars, qui s’est tenue ce dimanche 9 février. Deux tapis complémentaires ou deux faces antagonistes d’une société de l’image en crise.
Au cours de cette nuit des Oscars, les internautes ont aussi pu suivre sur les réseaux sociaux un défilé aux styles éclectiques. Au choix : Kylie Jenner, couchée dans sa limousine, incapable de bouger dans sa robe bustier brillant de mille sequins et cristaux signée Ralph and Russo. “Je ne pouvais pas vraiment m’asseoir mais ça valait le coup”, a-t-elle indiqué sur Instagram. Deuxième option : Joaquin Phoenix s’apprêtant à être oscarisé, presque banal dans un costume nœud papillon des plus classiques. Pourtant, c’est dans cette sobriété vestimentaire, que l’acteur transforme cette pièce de Stella McCartney en symbole politique. Après les Golden Globes et les BAFTA, il porte pour la troisième fois cet ensemble, refusant de se plier aux codes de l’inconstance du tapis rouge.
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Au cours des Oscars, le vêtement comme outil de communication politique discret, rencontre la parure ostentatoire. Les deux alimentent les flashs des photographes révélant l’existence de différents régimes de célébrité. “Les célébrités les plus hautes, celles reconnues pour un talent, peuvent tenir des discours sérieux sans avoir recours à des éléments d’apparats pour attirer l’attention. C’est le privilège de la star” explique Jamil Dakhlia, maître de conférence en sociologie des médias à la Sorbonne Nouvelle.
À quelque pas du Dolby Theatre où se tient la cérémonie, la soirée post-Oscars du magazine Vanity Fair rassemble un monde de wannabe composite où mannequins, chanteurs et stars de télé-réalité se croisent le temps de quelques verres, dans un rendez-vous où les maquillages sont plus épais, les bijoux plus clinquants et où la chair se dévoile. Dérisoire pour une cérémonie marquée par le sexisme, les discriminations raciales (#OscarSoWhite), et la crise écologique ? Ou est-ce que l’ostentatoire renferme un pouvoir politique inconsidéré ?
“C’est dans la mythologie euphorique, qu’émergent les problèmes profonds de la civilisation”, indiquait Edgar Morin dans son essai les Stars en 1957.
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Un nouvel Hollywood ?
La 92e cérémonie des Oscars s’inscrit au milieu de plusieurs tempêtes sociales et politiques qui dépassent le cadre d’Hollywood. Créée en 1929, la cérémonie est d’emblée un tremplin symbolique pour les acteurs et actrices qui s’expriment en tant que citoyens, à l’instar de Marlon Brando en 1973 – récompensé pour son rôle dans Le Parrain, il envoya à sa place une jeune actrice apache sur scène pour dénoncer la place réservée aux Indiens d’Amérique du Nord dans les films américains.
En 2020, sur le tapis rouge 100 % recyclable, Joaquin Phoenix ou Jane Fonda – qui reporte une robe Elie Saab vue à Cannes en 2014 – sensibilisent le public aux questions de la surconsommation vestimentaire. Au bras de Phoenix, l’actrice Rooney Mara mène elle aussi un combat : avec les actrices Penélope Cruz, ou Charlize Theron, elle s’empare du symbole de la robe noire, devenue la panoplie signifiante de la lutte pour la parité femme-homme depuis les Golden Globes 2018. Deux ans après l’affaire Weinstein, ce vêtement reste d’actualité alors que seulement 65 candidats sur 209 sont des femmes dans la course aux Oscars. Un fait que l’actrice Natalie Portman expose sur la lisière dorée de sa cape Dior haute couture, où étaient brodés les noms des femmes réalisatrices non-nominées.
“Ces revendications politiques s’effectuent dans des codes vestimentaires très classiques qui s’accordent à l’imaginaire d’une élite mondaine. Les robes portefeuilles ou sirènes surmontées de bijoux, bien que discrets, restent des parures haut de gamme. Le côté sobre et intemporel ravive l’image d’un ancien Hollywood tout comme les costumes en noir et blanc masculin, qui apparaissent comme une image nostalgique des débuts du cinématographe. Les codes varient peu et permettent aux « vrais » star de se démarquer de celles qui prétendent au titre” commente Jamil Dakhlia. Même les revendications les plus chics s’exercent, elles aussi, dans le cadre capitaliste qui régit Hollywood.
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Clinquant et politique
Créée en 1994 par le producteur Steve Tisch et Graydon Carter, rédacteur en chef de Vanity Fair à l’époque, la soirée post-Oscar, est imaginée comme le lieu de réunion des héros d’une époque où le carré VIP n’a plus lieu d’être puisque tout le monde est VIP, comme l’indique le site du magazine. Cette année Donatella Versace en robe turquoise croisait le jeune premier Timothée Chalamet ou Kanye West en veste de cuir. Spectaculaire, bling bling : les robes dorées se succèdent sur des vedettes interchangeables qui sont la promesse d’évasion de la réalité quotidienne. Pourtant c’est un lieu qui questionne les injonctions identitaires les plus politiques : Usher en costume de satin Balmain propose une nouvelle masculinité et Martha Stewart, 78 ans, en robe Baby doll Giambattista Valli, questionne la place des corps vieillissant dans l’industrie de l’Entertainement.
“La star est un produit spécifique de la civilisation capitaliste, qui répond en même temps à des besoins anthropologiques profonds qui s’expriment sur le plan du mythe. (…) Elles expriment à la fois l’euphorisation et la problématisation”, écrivait Edgar Morin. Ainsi, ces deux tapis constituent un couple siamois qui montre un équilibre entre le politique et le frivole. Rien n’a vraiment changé, donc.
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