Plongeant le joueur dans une Angleterre victorienne steampunk hantée par des loups-garous, « The Order : 1886 » est une tentative graphiquement somptueuse de marier le jeu vidéo au cinéma. Et une catastrophe sur à peu près tous les plans.
La plus grande menace à laquelle est confronté le joueur au cours de la première moitié de The Order : 1886, c’est le lycan, le loup-garou, un être hybride, donc, qui se jette sans pitié sur son personnage de néo-chevalier de la Table ronde plongé avec ses camarades Perceval et La Fayette (oui, La Fayette, ne demandez pas pourquoi) dans une sombre Angleterre steampunk que traverse aussi la figure de Jack l’éventreur. Mais il y a une autre hybridation dans cette affaire, celle que tentent les développeurs du studio californien Ready at Dawn en charge de la superproduction Sony de saison après une petite décennie de portages et de jeux de commande (Daxter, God of War : Chains of Olympus et Ghost of Sparta). Leur but : concilier les plaisirs du joueur avec ceux du spectateur.
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Ils ne sont ni les premiers ni, selon toute vraisemblance, les derniers à tenter de rapprocher le cinéma et le jeu vidéo. Mais The Order : 1886, aussi somptueux soit-il sur le plan graphique – on parle de technique, là, pas forcément d’esthétique – vient rappeler que ce n’est pas une affaire si évidente que ça. Et pas non plus toujours une bonne idée.
Une intrigue bancale et embrouillée
Mieux vaut passer rapidement sur l’intrigue, assez bancale et embrouillée. Il y est donc question d’un ordre de chevaliers qui lutte contre des loups-garous grâce, entre autres, aux gadgets que leur fournit Nikola Tesla – de Darwin à Edison, The Order est un festival de name-dropping. Nos héros défendent aussi les riches et les puissants contre une mystérieuse rébellion jusqu’au moment où – grosse surprise – ils réalisent que les méchants ne sont pas nécessairement ceux qu’ils croient. Et puis il y a un autre secret mais, celui-là, on ne le révélera pas.
Les controversés QTE
La plupart du temps, le joueur se colle tant bien que mal derrière le premier abri venu et mitraille les adversaires qu’on lui envoie (sans forcément saisir pourquoi). Ou bien il joue à cache-à-cache en se glissant derrière des gardes durs d’oreille pour les égorger avec une discrétion toute théorique – nos victimes poussent des râles, le sang gicle, c’est très laid. Ou encore il appuie sur la touche « triangle » ou la touche « croix » de la manette selon ce qui s’affiche à l’écran alors même qu’il se croyait devant une scène non interactive.
On appelle ça des QTE (« quick time events »). Depuis le pionnier Dragon’s Lair, ces derniers constituent l’un des outils les plus controversés à la disposition des game designers. Leur but est double : obliger le joueur à rester attentif à ces cinématiques (au lieu de se plonger dans un magazine le temps que ça passe) en l’impliquant dans leur déroulement – s’il échoue à presser « croix » au bon moment, il devra recommencer – mais, aussi, lui permettre d’effectuer des actions qui ne font pas partie du répertoire de base de son personnage (des mouvements complexes, des attaques puissantes…).
Les QTE ne sont pas un problème en eux-mêmes – le souvenir de certains exemples passés, de Shenmue à Resident Evil 4, nous donne encore de joyeux frissons. Pas plus, d’ailleurs, que la volonté d’injecter du cinéma dans le jeu vidéo pour faire de nous des mutants à l’identité instable entre gamer et spectateur, de frétillants loups-garous du grand spectacle numérique. Rien que dans l’écurie Sony, David Cage et ses camarades de Quantic Dream (Heavy Rain, Beyond Two Souls…) ou les membres du studio Naughty Dog (Uncharted, The Last of Us) y travaillent avec talent depuis pas mal de temps. Ils explorent les limites de l’interaction, cherchent des équivalents aux gestes réels, tentent des choses. C’est passionnant.
Le personnage: un étranger empoté
Et Ready at Dawn, dans tout ça ? Ready at Dawn nous fait envoyer des messages en morse via le pavé tactile de la manette PS4 parce que… Mais pourquoi, au fait ? Seulement parce que c’est possible, sans doute, comme de nous faire crocheter certaines serrures tout en décrétant que d’autres portes tout à fait banales ne s’ouvrent pas – elle font seulement partie du décor. Ou comme de nous imposer des QTE à contre-temps de l’action. Pas de logique visible, juste des partis pris gratuits. De l’arbitraire, ce qui, dans un jeu, est pire que tout. Pas de vraie prise en compte, non plus, de la dimension sensuelle de l’expérience. Le personnage est lourd, peu manœuvrable. Ce n’est pas un corps de substitution, pas un autre moi, juste un étranger empoté.
Le problème de The Order n’est pas qu’il soit trop cinématographique ou pas assez. Sur ce plan, rien n’est interdit et tous les dosages méritent l’attention. Son vrai problème, et il n’est pas le seul gros jeu dans ce cas, c’est que ce qu’il propose n’a pas de sens, de nécessité, de cohérence et qu’en mettre plein la vue ne suffit plus. Son vrai problème, c’est qu’il est idiot.
The Order : 1886 (Ready at Dawn / Sony), sur PS4, environ 55 €
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