Longtemps délaissée par les éditeurs de jeux vidéo, la saison chaude est devenue depuis quelques années une période extrêmement riche en sorties variées. Voici onze titres récents qui méritent qu’on les visite avec, entre autres choses réjouissantes, des samuraïs esthètes et des vampires cruels, des courses de kart endiablées et des classiques réédités, des petits Rambo néo-rétro et un voyage humide au pays de l’ultra-moderne solitude.
Dragon Quest Builders 2
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Cela aurait pu n’être qu’une imitation opportuniste du phénomène Minecraft, relooké aux couleurs vives de la plus populaire, du moins à domicile, des séries de jeux de rôle japonaises. Au même titre que son prédécesseur de 2016, dont il affine la formule en y opérant quelques changements fondamentaux (notamment la possibilité d’explorer son univers en compagnie de trois camarades), Dragon Quest Builders 2 est pourtant beaucoup plus que cela. Mieux : si Minecraft, avec ses décors faits de blocs et son incitation à s’adonner joyeusement à la construction (ainsi qu’à la destruction, l’une ne va pas sans l’autre), lui donne incontestablement une direction générale, c’est de la saga Dragon Quest même, et plus généralement du jeu de rôle en tant que genre que proviennent certaines de ses meilleures idées.
Agir sur le monde, le transformer et, ne serait-ce que provisoirement, y trouver un foyer, voilà des désirs qui, plus ou moins explicitement, ont toujours été présents dans Dragon Quest, et c’est la force de ces spin-offs de leur donner une réalité aussi tactile, précise, concrète. Et ce, sans tourner le dos à la grande aventure – c’est un aller-retour constant du micro au macro, du refuge au cosmos, de soi aux autres. Le premier Dragon Quest Builders était déjà merveilleux. Le deuxième est encore mieux.
Sur PS4 et Switch (Omega Force / Square Enix, de 45 à 60€)
Bloodstained : Ritual of the Night
Les moins attentifs pourraient s’y tromper et se féliciter du retour en grande forme de l’une des sagas majeures de l’histoire du jeu vidéo japonais : Castlevania. Ils n’auraient pas tout à fait tort car Bloodstained : Ritual of the Night, qui était attendu de pied ferme depuis son passage triomphal par le site de financement participatif Kickstarter en 2015, est ce qui se rapproche le plus d’un nouveau Castlevania. Mené par Koji Igarashi qui fut impliqué dans certains des épisodes les plus mémorables de la série, dont Symphony of Night, le projet peut d’ailleurs être vu comme une double opération de réappropriation : de Castlevania, donc – que son éditeur Konami semble avoir un peu oublié, à l’exception d’une (très recommandable) compilation Switch récente – mais aussi, et plus généralement, de ce qu’on a coutume d’appeler le « Metroidvania« , un genre, ou plutôt une manière de faire découvrir un monde, particulièrement en vogue chez les développeurs indépendants, de Hollow Knight à Steamworld Dig, de Yoku’s Island Express à Guacamelee, ou encore Dead Cells. L’idée, pour aller vite, est que le joueur devenu cartographe amateur s’immerge dans un espace labyrinthique dont les chemins se débloquent au fur et à mesure que son personnage gagne des compétences (celles de sauter plus haut, de nager, de détruire les obstacles, etc.).
Jouer à un « Metroidvania », c’est chercher sa route en tombant régulièrement sur des passages dont on sait que, s’ils nous sont interdits pour le moment, on pourra les emprunter plus tard. Ce peut être frustrant. Quand le « Metroidvania » est réussi, c’est pourtant le contraire : chaque impasse provisoire est la promesse exaltante de futures découvertes.
Ce qui plaît particulièrement dans Bloodstained, c’est le sentiment qu’Igarashi ne revient pas au genre qu’il a contribué à populariser pour donner des leçons à ceux qui s’y sont essayés après lui. Bien au contraire, le jeu se révèle plein d’allant et bourré d’idées, aussi riche que sophistiqué et non pas tourné vers le passé mais bien d’aujourd’hui. En cas de fortes chaleurs, on ne saurait trop conseiller la fréquentation de ses architectures gothiques éminemment rafraîchissantes.
Sur PS4, Xbox One, Switch et PC (Artplay / 505 Games), environ 40€
Blazing Chrome
Blazing Chrome, c’est un peu pareil que Bloodstained, sauf qu’il est brésilien et non japonais. Là aussi, le modèle est ancien et en provenance de l’éditeur nippon Konami qui, comme pour Castlevania, vient d’ailleurs de lui consacrer une compilation tournant sur la Switch. Blazing Chrome doit énormément à Contra, série de jeux du type run & gun qui tenait à ses débuts de la déclinaison vidéoludique des films d’action des années 1980, ceux de Stallone et de Schwarzenegger, là où Castlevania se nourrissait plutôt des films d’épouvante divins de la Hammer. Mais la logique, ici, est plutôt celle du jeu de fan et de l’exercice de style rétro, ce dont ne témoignent pas seulement les graphismes mais également la bande son, notamment la synthèse vocale crachouillante dont tout a été fait pour qu’elle sonne d’époque.
Un peu réticent au départ, on se laisse vite gagner par le sens du tempo et l’art pyrotechnique de Blazing Chrome. Si l’expérience se révèle hautement référentielle, le plaisir n’est jamais ironique – on ne joue pas au second degré. Proche dans l’esprit de certains titres de l’éditeur américain Devolver Digital (Broforce, The Messenger…), le plutôt ardu Blazing Chrome gagne étrangement à s’extraire du (de notre) temps et de ses enjeux esthétiques comme technologiques. Par son approche, disons, maniériste, il retrouve ainsi une forme assez réjouissante de pureté ludique.
Sur PS4, Xbox One, Switch et PC (JoyMasher / The Arcade Crew), environ 17€
My Friend Pedro
Si les Américains de Devolver Digital ont souvent été présentés comme les punks du jeu vidéo, My Friend Pedro pourrait bien, dans le sillage du tout aussi chouette Ape Out paru l’hiver dernier, marquer leur passage au post-punk. C’est, en tout cas, dans lequel le style et l’ambiance prennent le pas sur l’énergie, le bruit et la fureur. Jeu de tir hautement stylisé que l’on pourrait voir comme un cousin 2D de l’injustement oublié The Club (ou, dans le catalogue de Devolver, comme le chaînon manquant entre Not A Hero et OlliOlli), My Friend Pedro est constitué d’une série de niveaux pensés comme des parcours à accomplir avec autant de style, de grâce, d’élégance que possible.
Atteindre la sortie avec le dénommé Pedro – dont le meilleur ami se trouve être une banane – n’est qu’une (toute petite) partie de l’objectif car l’essentiel est dans l’enchaînement, dans les figures, les sauts, les acrobaties. Et si les têtes (en pixel art) éclatent, si on n’en finit pas de repeindre les murs, ce n’est pas du sang : c’est du rouge (copyright Jean-Luc Godard). Pas un carnage, mais de la danse. Et tant pis si, par le passé, d’autres jeux de Devolver se sont révélés plus amples, plus variés, plus viscéraux. Dans l’instant, My Friend Pedro est souvent fort beau.
Sur Switch et PC (DeadToast Entertainment / Devolver Digital), environ 20€
Muse Dash
Au départ, Muse Dash était un jeu mobile. Pour beaucoup, il s’agit, sinon d’une marque d’infamie, au moins d’un motif de soupçon : peut-on vraiment prendre au sérieux un jeu qui, à l’origine, a été pensé pour le vulgaire marché des téléphones portables ? Avec Muse Dash, la réponse est clairement oui, car ce jeu de rythme déguisé en beat’em up (parce que c’est au fond un peu la même chose ?) se révèle un pur délice kawaii (bien que made in China).
Deux touches suffisent pour faire courir, sauter et frapper notre petit personnage en suivant le tempo de ses morceaux inévitablement parfaits d’electro-pop asiatique. On jurerait qu’il danse – il y en a même qui disent qu’ils l’ont vu voler. L’important, c’est bien connu, est de participer, et c’est exactement le sentiment exaltant que provoque Muse Dash : celui d’en être, de trouver notre place dans ce joyeux défilé, cette cérémonie costumée. Et comment ne pas chérir un jeu qui, lorsqu’on y atteint le niveau 5, nous annonce qu’on a débloqué la chanson Pancake is Love ?
Sur Switch, Mac et PC (PeroPeroGames / X.D. Network), environ 30€. Également disponible sur iOS et Android.
Samurai Shodown
Ne pas se fier à l’absence de chiffre au bout du titre : Samurai Shodown n’est pas un vrai nouveau venu mais le douzième volet d’une des grandes sagas du jeu de combat nippon qui, dans les années 1990, fit les beaux jours de la mythique console / machine d’arcade Neo Geo. Apparue dans le sillage du phénomène Street Fighter II, elle se distinguait de ses rivales de l’époque par deux partis pris qui valent encore pour le reboot d’aujourd’hui : le choix de faire combattre ses héros à l’arme blanche (plutôt que seulement avec leurs pieds et leurs poings et avec Soul Edge / Soul Calibur) et un ancrage revendiqué dans l’histoire de son pays d’origine.
L’intrigue, assez prétexte mais non dénuée de charme, du nouveau Samurai Shodown prend ainsi place dans le Japon de 1787 mais, pour nous, c’est le Japon tout court qui compte : sa langue, son folklore, ses costumes, son ambiance, ses cerisiers en fleur… Si l’on plisse un peu les yeux entre une esquive et un coup de couteau, on pourra même s’imaginer évoluer dans une estampe d’un maître japonais. Samurai Shodown est aussi un jeu dans lequel aucune position dominante n’est jamais acquise avec certitude avant la fin et qui, plutôt que sur les combinaisons de touches à mémoriser et reproduire, mise sur le placement, la riposte et l’observation. Une (fort belle) philosophie, quasi.
Sur PS4, Xbox One (SNK), environ 50€. A paraître sur Switch et PC.
Sea of Solitude
Papo & Yo, That Dragon, Cancer, voire Rime : c’est à cette famille de jeux sensibles et, pour certains, largement (bien que métaphoriquement) autobiographiques que ce rattache l’ambitieux Sea of Solitude dont la principale autrice, l’Allemande Cornelia Geppert, ne cache pas ce qu’il doit à son parcours personnel. Il est donc ici question d’un sentiment ultra-moderne de solitude dont l’héroïne peine à se libérer et qui se matérialise essentiellement sous la forme d’une ville envahie par les eaux où rôdent d’horribles monstres prêts à la (c’est-à-dire à nous) dévorer. Il est question d’ombre et de lumière, de pureté et de corruption, de pas mal de choses très explicites et peu nuancées.
Dans son propos comme dans son système de jeu – de la plateforme mâtine d’exploration façon Ico au bord de l’eau –, Sea of Solitude manque malheureusement de légèreté et de mystère. On pourra dire que ce n’est pas illogique pour un jeu sur (entre autres choses) la dépression. Admettons. En l’état, Sea of Solitude est un jeu qu’il est difficile d’aimer autant qu’on le voudrait – mais, quand même, une proposition ludique singulière qui mérite largement qu’on s’y arrête un peu.
Sur PS4, Xbox One et PC (Jo-Mei Games / Electronic Arts), environ 20€
Collection of Mana
L’effet rejoint celui que l’on peut ressentir en découvrant un film muet des débuts du cinéma sur un écran moderne. Avec ses gros pixels, son affichage monochrome et sa manière à la fois directe et presque vaporeuse de raconter une histoire, Mystic Quest (alias Final Fantasy Adventure aux Etats-Unis et Seiken Densetsu au Japon) apparaît d’emblée clairement comme un jeu d’un autre temps par le double effet de son âge réel (28 ans) et de la puissance limitée, même pour l’époque, de la machine pour laquelle il avait été conçu (la première GameBoy).
C’est précisément ce qui lui donne sa force aujourd’hui au-delà de toute nostalgie : cet élan primitif, cette croyance au fond plus idéaliste que naïve en l’effet que peuvent produire un mot, une silhouette grossière, un léger scintillement sur l’écran. En jeu vidéo comme dans les autres arts, on gagne toujours à fréquenter les primitifs. Ses suites Secret of Mana (1993), l’un des plus beaux jeux de rôle nippons de sa génération, et Trials of Mana (1995), resté jusqu’ici inédit en Europe, complètent cette superbe Collection of Mana sur laquelle certains pourraient bien passer tout l’été, et on ne saurait leur donner tort.
Sur Switch (Square Enix), de 30 à 40€
Crash Team Racing : Nitro-Fueled
Chez ce cher Crash Bandicoot, en revanche, on fait tout pour cacher son âge. Deux ans après le luxueux remake des trois premières aventures bondissantes de ce rival historique de Mario et Sonic, sa quatrième apparition sur les écrans, également due à l’époque aux surdoués de Naughty Dog qui nous donneront plus tard The Last of Us et Uncharted, a droit au même traitement. Sauf que Crash Team Racing n’était pas un jeu de plateforme mais une course de karts conçue sous l’influence criante de Mario Kart – avec aussi, pour son mode aventure, quelque chose du mésestimé et néanmoins brillant Diddy Kong Racing.
Soigneusement relooké et complété par de nouvelles options, personnages et circuits (empruntés au Crash Nitro Kart de 2003), cette nouvelle version fidèle à l’esprit et surtout aux sensation de l’original, tient merveilleusement la route aujourd’hui et confirme que, pour les pilotes de karts virtuels, il y a une vie en dehors de Mario Kart. Avec son système de boost, le côté « ça passe ou ça casse » (pas d’autre objectif que la victoire dans son mode de jeu principal) et aussi, paradoxalement, son encouragement à la découverte (des routes, des décors, des personnages…) au-delà de la seule compétition, Crash Team Racing séduit en prouvant à nouveau qu’il est beaucoup plus qu’un clone des enivrantes virées sur circuit de Mario et ses amis. Vingt ans plus tard, il possède toujours l’essentiel : une personnalité bien réelle.
Sur PS4, Xbox One et Switch (Beenox / Activision), de 30 à 40€
Catan
Utiliser une console pour s’adonner à un jeu de société, quelle drôle d’idée ! Et pourtant, il y a bien des raisons de charger Catan sur sa Switch avant de s’enfuir en vacances, même si l’on n’est pas un spécialiste de l’école des jeux à l’allemande que Les Colons de Catane a amplement contribué à faire connaître. Un jeu de société transposé sur console, c’est comme une pièce de théâtre filmée : cela peut s’opérer sobrement, avec une grande attention au texte / aux règles, ou au contraire sur-mis en scène, sur-joué, comme si la pièce / le jeu ne suffisait pas et qu’en changeant de médium, il était indispensable d’en faire plus (et souvent trop).
Toutes proportions gardées, disons que Catan sur Switch suit plutôt l’exemple de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet que celui du très oublié Roger Coggio et que c’est le jeu du grand Klaus Teuber, sa vérité et ses logiques profondes, qui s’offrent ainsi directement au joueur (avec, en bonus, un didacticiel précieux pour ceux qui, comme nous, comprennent ce genre de choses un peu lentement). Seule, l’absence, difficilement compréhensible sur une console portable, d’un mode multijoueur local, entache vraiment cette adaptation.
Sur Switch (Asmodee Digital, environ 20€)
Super Mutant Alien Assault
« Put everything on Switch » (« Mettez tous les jeux sur la Switch ») est devenu un mot d’ordre des forums (et, par ricochets, un bot Twitter humoristique) que bon nombre de développeurs et d’éditeurs semblent avoir décidé de suivre à la lettre. On ne sait pas exactement qui a demandé une version Switch de Super Mutant Alien Assault, dont la version PC remonte à 2015, mais qu’il en soit chaudement remercié.
Créée sous l’influence du hit indé du début des années 2010 Super Crate Box et reposant sur le principe du Rogue-like avec ses niveaux générés aléatoirement et, donc, différents à chaque partie, l’œuvre de l’Australien Chris Suffern frappe par sa manière de nous placer dans un état d’inconfort. Ses espaces fermés à défendre de la menace extra-terrestre sans jamais se laisser endormir sont comme des pièges au milieu desquels on se débat. Même la distribution des armes dont on disposera obéit à une logique de loterie, de tirage au sort. C’est intense et exaltant. Parfait pour la Switch.
Sur Switch (Cybernate / Fellow Traveller, environ 9€). Également disponible sur PS4, Xbox One, Vita et PC.
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