En prison ou au commissariat, la « fouille à nu » ou « intégrale », qui impose de se déshabiller et de laisser les forces de l’ordre examiner ses parties intimes, est critiquée par deux institutions qui viennent de rendre leurs conclusions.
Tournez-vous, baissez-vous et toussez que je regarde si vous ne cachez pas de la drogue ou des armes dans votre anus. La pratique de la « fouille à nu » (pour la police et la gendarmerie) ou « fouille intégrale » (pour les services pénitentiaires) irrite le Comité contre la torture des Nations Unies, qui a livré ses conclusions le 14 mai.
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Chargé de faire respecter la Convention contre la torture et autre peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, l’organisme s’inquiète de certaines orientations de la politique pénale française et consacre un passage à la fouille, faisant savoir qu’il « demeure préoccupé par la nature intrusive et humiliante des fouilles corporelles, a fortiori internes ».
Le comité contre la torture recommande à la France de veiller « à ce que seules les méthodes les moins intrusives, et les plus respectueuses de l’intégrité physique des personnes soient appliquées ». Il préconise ainsi « la généralisation des mesures de détection par équipement automatique, de façon à supprimer totalement la pratique des fouilles corporelles ».
Au dépôt, fouilles en séries
L’avis onusien n’a pas reçu grand écho. Pourtant, il se double d’un rapport de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, rendu public ce mercredi, qui aborde également le problème des fouilles.
Au sujet des fouilles pratiquées par la police ou la gendarmerie en garde à vue, la CNDS constate « pour la neuvième année consécutive, la banalisation et le caractère quasi-systématique de la pratique des fouilles à nu. […] La commission reçoit régulièrement des réponses des autorités, qui, bien que partageant son analyse quand au caractère abusif de certaines fouilles, se contentent d’indiquer qu’elles procéderont à une nouvelle diffusion des instructions. »
Pour étayer ses recommandations, la CNDS s’appuie sur les cas concrets qu’elle a examinés. En 2007, une militante de France terre d’asile, soupçonnée d’aide au séjour irrégulier, était arrêtée à son domicile. Malgré la palpation d’usage, qui a permis de montrer qu’elle n’était pas porteuse d’objets dangereux, elle a été fouillée à nu une fois arrivée au commissariat.
La commission déplore également les fouilles à nu à répétition pour les personnes placées au dépôt du palais de justice de Paris, parfois en présence de plusieurs prévenus et dans certains cas injustifiées. En 2008, un homme de 63 ans, interpellé pour défaut de permis de conduire, a ainsi subi trois fouilles intégrales : à son arrivée au commissariat, après son transfert au dépôt et avant d’être présenté au parquet.
La CNDS rappelle que la fouille à nu, « pratique attentatoire à la dignité », doit être « proportionnée au but à atteindre – la découverte d’objets illicites et dangereux pour la sécurité des personnes (de l’intéressé, des agents et des tiers) – et que toute personne privée de liberté n’est pas susceptible de dissimuler de la drogue et des armes dans les parties intimes de son corps. »
Malgré la demande d’encadrement supplémentaire de cette pratique (mention dans la procédure, utilisation de détecteurs de métaux ou de scanners, mise en cause de la hiérarchie policière en cas de fouille abusive), la commission a été peu entendue. Le ministère de l’Intérieur a seulement concédé la fin des fouilles simultanées de plusieurs personnes dans la même salle et fait savoir qu’au dépôt du palais de justice de Paris, « l’acquisition d’un scanner permettant la détection d’objets à risque est à l’étude ».
Les détenus : quatre à cinq fouilles par jour
Ceux qui passent par la case prison n’en ont pas fini avec l’observation de leur derrière. Que ce soit lors de transferts au Palais ou lors de mises à l’isolement, la fouille intégrale est fréquente. La CNDS parle d’un « nombre excessif et systématique de fouilles à nu (entre quatre et cinq dans la même journée » qui « ne peut se justifier au regard d’impératifs de sécurité.
Elle recommande « que d’autres procédés remplaçant les fouilles intégrales soient développés, car le procédé actuellement en vigueur est en lui-même attentatoire à la dignité humaine, tant pour les détenus que pour les personnels chargés de le pratiquer ».
Dans Libération, le responsable de l’Observatoire international des prisons, Patrick Marest, réclame la fin de cette « pratique humiliante » « à l’efficacité nulle : un hélicoptère ne se planque pas à cet endroit et le shit prend d’autres voies pour entrer dans les établissements. […] Demande-t-on aux passagers des avions de tousser pour lutter contre le terrorisme ? »
La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 présente pourtant une avancée. Il y est précisé que « les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes. Les investigations corporelles internes sont proscrites, sauf impératif spécialement motivé. Elles ne peuvent alors être réalisées que par un médecin n’exerçant pas au sein de l’établissement pénitentiaire et requis à cet effet par l’autorité judiciaire. »
Reste à savoir comment elle sera appliquée. En juillet dernier, la France était déjà condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (arrêt Khider contre France), pour des fouilles répétées jugées abusives.
Photo: A la prison de Saint-Martin de Ré en septembre 2008 (Regis Duvignau / Reuters)
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