C’est le marathon le plus long du monde, 23 dégustations sur le parcours rendant les trajectoires incertaines. 25e édition du Médoc le week-end dernier, sur le thème du cirque, on y était.
Au 38e kilomètre, on s’est arrêté pour manger des huîtres, avec un petit coup de blanc. Plus de cinq heures qu’on courrait, sous le cagnard, ça commençait à tirer sur les pattes. On est reparti. Cinq cents mètres plus loin, c’était entrecôte, des petits morceaux, et retour au vin rouge. Y’en a qui ne s’arrêtaient même plus, marchaient comme des zombis, ils faisaient moins les marioles sous leurs déguisements de clown ou de panthère. Nous, on la ramenait pas trop non plus, il y aurait bientôt un arrêt pour le fromage, un autre pour les glaces et puis le bayonne, non le bayonne c’était juste avant les huitres, et puis repartir à chaque fois, se remettre à courir. Sport de cons ! Au kilomètre 42, c’est presque dans la poche, plus que 195 mètres, le tapis rouge, les cris, les chants, le passage sous le portique et les applaudissements.
Le marathon du Médoc s’élançait pour sa 25e édition ce 12 septembre, autour de Pauillac, à 70 kilomètres au nord de Bordeaux, dans les vignobles qui bordent la rive ouest de la Gironde. 8750 participants sont venus de 40 pays, d’Australie, de Nouvelle Zélande, du Japon, pour une course qu’il faut accrocher à son palmarès au même titre que New York ou Paris. Le doyen a 84 ans. Le parcours longe ou traverse une soixantaine de châteaux, embrassant les appellations prestigieuses de Saint-Julien, Pauillac, Saint-Estèphe et Haut-Médoc. 3600 bénévoles assurent la logistique, sourire compris. Le Médoc se court déguisé, c’est obligatoire. Des centaines de clowns, de félins, de dresseurs – rapport au cirque, thème retenu cette année – sont ainsi lâchés dans les chemins. Il y a même des girafes. Et puis deux types en costume noir, chemise blanche, n¦ud papillon ; des vikings, des majorettes, des Village People, casquette en cuir réglementaire et short en jean ras les boules ; un gorille, fourrure noire de la tête aux pieds, masque en plastique avec trois petits trous pour les yeux et la bouche, par 34° à l’ombre. Sans ombre. Il ira jusqu’au bout. Au début, tout le monde parle, rigole, se prend en photo. La plupart des gens sont venus en groupe, avec leur public. Des pirates malouins, grimés, édentés, pousseront leur gros vaisseau jusqu’à l’arrivée malgré des difficultés pour franchir les grilles de certains châteaux. Des militaires propulsent la maquette – 5 mètres à vue de nez – d’un Mirage 2000. Des cages à porteurs emmènent des tigres en peluche, taille réelle.
Au 1er kilomètre, premier arrêt dégustation. Il y en aura 23. Des tests « ¦no-sportifs », ils appellent ça. Nous, on attendra le deuxième, pour faire sérieux. Parce qu’on les voit tout de suite les gugusses qui sont pas venus pour user les godasses. S’attardent au buffet, se croient au cocktail. Pas les premiers, bien sûr, pas ceux qui jouent la gagne (Nathalie Vasseur, 2h49’50 », neuvième victoire consécutive, David Antoine, 2h25’31 », quatrième succès), ni ceux qui sont venus « faire un temps » : eux carburent à la Volvic et aux fruits secs. C’est ce qui se dit, on ne les a pas vus, ils étaient loin devant. Nous, on respecte l’esprit. On déguste. Nous, c’est le gang des Nantais, déguisés en voleurs de couleurs, rapport à une pub des années 80 pour Kodak. Combinaison rayée rouge et blanc, bonnet entonnoir, noir, sur la tête. Manquent juste les palmes et le masque. Le relief du parcours n’appelle pas la performance, offrant par moments la vision d’une interminable file colorée qui serpente dans les vignes. Dans les châteaux, les jardins sont soignés, l’accueil se fait en musique, entre jazz, rock et baloche – soixante groupes sur le parcours.
On déguste sur des pelouses parfaites, dans de vrais verres, ou l’on fait tourner le vin avant de le humer puis de le boire, genre connaisseur. Celui-là tu le trouves comment ? L’organisation estime qu’une barrique environ se vide à chaque château. Quelques centilitres chacun. On peut se resservir, pour être sûr. L’ambiance est courtoise, bon enfant, estivale. Un formidable rassemblement de gueules à jus, tout de même ! Attention, on picole monsieur, mais on s’entretient, on fait du sport. On s’amuse. Aux points de massage, les jambes meurtries de ceux qui se sont mis dans le rouge – et de ceux qui y sont tombés – sont soulagées. La croix rouge veille au grain. Pas vu de prêtres. Après trente kilomètres, on entend plus grand monde, juste les encouragement du public qui scande les prénoms inscrits en gros sur chaque dossard, vas-y Robert, allez Rachel ! Les gosses qui tendent la main pour qu’on la leur claque. Encore une charrette devant nous, des gars des filles qui courent pour récolter des dons et faire connaître Clitoraid.org, une association qui lutte contre l’excision et propose, avec l’aide de médecins bénévoles, de reconstruire le clitoris des femmes mutilées : l’hôpital du plaisir est en construction au Burkina Faso. « Faites un cadeau, offrez un clitoris« , c’est leur slogan, sur les banderoles.
Et ça court et ça trottine, et ça boit des coups. L’on apprend au passage que les rosiers rouges en tête des rangs de merlot ne sont pas là pour faire joli, pour distraire de ces étendues vertes à perte de vue. Sensibles aux maladies qui pourraient ruiner la récolte, ils servent de signaux d’alarme.
Si un rosier bat de l’aile, les sulfateuses entrent en action pour traiter les vignes. Les enjeux sont énormes. Après 5 heures quarante de course, on a franchi la ligne, heureux, à peine bourrés, les cannes un peu raides. Les petites bières après l’arrivée, pour se remettre en ligne, c’était parfait.
Merci à Catherine et à Snoop pour leur délicieux accueil, et aux autres venus nous soutenir.