La Boucherie de Paris rencontrait les Grrriottes Girrrls de Lyon samedi soir dans un gymnase de Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis). On y était, on vous raconte.
Hot-dog en main, on se cale sur un banc en bois près d’une famille et d’une bande de copines dans le gymnase de Noisy-le-Grand pour assister à notre premier match de roller-derby. Né aux Etats-Unis dans les années 30, popularisé dans les années 60 puis tombé en désuétude, le roller-derby a fait son grand retour au début des années 2000. C’est le film Bliss de Drew Barrymore et sa plongée dans ce sport-spectacle féminin (voire féministe), rock’n’roll et violent, qui l’a ensuite propulsé en France aux alentours de 2010. Depuis, on dénombre une soixantaine d’équipes dans l’hexagone, dont la Boucherie de Paris, fondé en mars dernier, et les Grrriottes Girrrls, créé à Lyon en mai 2011.
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Patins à roulettes et peintures de guerre
Les joueuses, en mini-shorts et bas résilles troués, le visage orné de peintures de guerre, commencent par un tour de piste sur leurs patins avec leurs équipes respectives, alors que résonnent les Spice Girls puis Queen. Car la musique est une composante essentielle du roller-derby, au même titre que le speaker, qui commente les actions et présente chaque fille par son pseudo avant le début du match. Moment jubilatoire s’il en est, où l’on apprend que l’une s’appelle Eva T’encolé 1, une autre X’Zema, et une troisième Miss Fit.
Notre voisine, Manon, qui s’est mise au derby il y a trois mois, et qui est venue soutenir les Grrriottes Girrrls, se charge de nous expliquer les règles du jeu. Parce qu’il ne s’agit pas seulement de se pousser violemment en fonçant à toute vitesse sur des patins à roulettes. Les deux « jammeuses » (une par équipe) qui portent des casques étoilés, doivent passer au travers du groupe de « bloqueuses ». Ce « pack » est composé de joueuses de chaque équipe, chargées de défendre leur « jammeuse » et de bloquer celle de l’équipe adverse à coups d’épaules et de hanches (les seuls autorisés). A chaque fois qu’une « jammeuse » parvient à passer le « pack », elle rapporte quatre points à son équipe. Mais le passage ne se fait pas en douceur. A peine le match entamé que les gadins commencent. Manon, elle, est habituée :
« Les bleus, tu ne les comptes pas. Mais tu apprends à tomber. »
Et la jeune femme de retrousser son jean pour nous montrer sa jambe couverte de bleus. Pour autant, elle tient à ce que le roller-derby ne soit pas résumé à une baston entre filles. « Il y a énormément de stratégie, c’est ça qui fait tout le jeu ! » explique-t-elle, avant de rappeler que les joueuses portent de solides protections à la tête, aux genoux, aux coudes, ainsi qu’un protège-dent. Le roller-derby est très réglementé : tous les coups ne sont pas permis et dix-huit arbitres, en patin ou à pied, surveillent les joueuses.
« Hacher le jambon »
Au fil du match, le speaker s’amuse à lire des tweets envoyés aux deux équipes. Un twittos encourage les Grrriottes Girrrls à faire de la chair à pâtée avec les Bouchères, un autre les invite à « hacher le jambon« . Un humour grand-guignolesque qui fait, aussi, toute la saveur de ce sport solidement ancré dans la culture psychobilly, qui lui a transmis ses pin-up, son goût pour les films d’horreur de série Z, et son amour du rock’n’roll flamboyant, sexuel et spectaculaire. On repère d’ailleurs sur la piste une joueuse lookée comme Betty Page, même coupe noir corbeau même lèvres sanguinolentes, et une de ses coéquipières les bras ornés de tatouages colorés.
Mais le spectacle se joue aussi du côté du public, aussi déchaîné que s’il regardait du catch. A chaque fois qu’une joueuse se prend une gamelle, sifflets et encouragements fusent, tandis que les bancs tremblent sous les pieds des spectateurs qui martèlent le sol en rythme. Les passages par la case prison (pour une faute dite « majeure », la sanction est d’aller sur le banc de touche pendant une minute), les « power jams » (quand l’une des jameuses est en prison) et les coups se succèdent. L’ambiance est frénétique. C’est finalement les Grrriot Girrrls qui l’emportent au bout d’une heure de match, à 209 contre 120 pour leurs adversaires, moins expérimentées qu’elles.
« C’est un vrai sport »
De retour dans les vestiaires, les joueuses de La Boucherie sont malgré tout contentes de leur match et espèrent en refaire un très vite, même si l’organisation d’une rencontre leur demande beaucoup d’investissement. Car l’esprit DIY (Do It Yourself) règne toujours sur le derby, sport non reconnu par la Fédération française de rollers sport et qui repose donc sur l’entraide et la bonne volonté des joueuses et de leurs coachs. « Quand on fait du roller-derby on ne s’inscrit pas à un club de fitness, on crée un projet associatif que l’on va porter » explique Charlotte alias Creepy Charlie qui explique y avoir trouvé « une deuxième famille« . Si la jeune femme de 27 ans reconnaît s’être mise au derby « comme 90% des filles après avoir vu Bliss », elle ne le voit pas comme une simple mode et attend avec impatience que ce sport soit officiellement reconnu par la FFRS. « Ce n’est pas que des mini-shorts et du catch ! On s’entraîne super dur, on monte des stratégies. C’est un vrai sport » assène-t-elle. Pour l’instant, les équipes de roller-derby françaises, qui n’ont selon les joueuses par un très bon niveau, empruntent leur mode de fonctionnement à leurs consoeurs américaines, reconnues par leur fédération et réputées pour être les meilleures joueuses du monde.
Mais l’officialisation de ce sport ne risque-t-elle pas d’entacher son côté sauvage et rock’n’roll ? « Plus ça va et plus le côté sportif va primer. Le côté punk-rock lui s’estompe » assure Creepy Charlie, qui n’attache pas beaucoup d’importance au décorum entourant le derby, que les médias retiennent un peu trop à son goût. Un avis que partage Sabine Noble, nouvelle recrue de La Boucherie de Paris, qui n’a pas encore de pseudo (mais qui serait bien tentée par « Frida K.O ») :
« On a une volonté de ne pas se complaire dans l’esthétique fantasmatique bas résilles et compagnie. »
L’arrivée d’équipes masculines dans le monde du derby (la France en compte trois) fait aussi pencher la balance du côté sportif. Mirage et Capt’n Wynne, qui font partie de la Panam Squad, une équipe masculine, se désintéressent des origines féministes et rock’n’roll de cette activité qu’ils ont décidé de pratiquer par intérêt sportif. « Les mecs commencent pour le patin alors que les filles viennent au derby pour le derby » explique Mirage. Même si garçons et filles se donnent des coups de main, s’entraînent mutuellement et assistent à leurs matchs respectifs, toutes les joueuses ne voient pas l’arrivée des équipes masculines d’un très bon oeil. C’est ce que nous confie Sabine, qui, elle, a peur que « les mecs gagnent toute la reconnaissance et les filles rien », « que ça devienne comme le foot féminin dont personne n’en a à foutre« . Et si bientôt on se rendait à un match de roller-derby comme on se rendrait à un match de basket ? Fuschia d’Enfer, membre de La Boucherie, nous rassure : « on n’est pas prêtes d’abandonner nos mini-shorts ! »
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