Filiation, adoption, PMA et… frilosité du gouvernement: la ministre déléguée chargée de la Famille, Dominique Bertinotti, n’écarte aucun des sujets soulevés par le projet de loi sur le mariage pour tous.
Mi-décembre, plusieurs manifestations ont eu lieu en faveur du mariage pour tous. Faut-il que les partisans de cette réforme que vous défendez se fassent entendre davantage au moment où les opposants ont été très audibles ?
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Oui, il est indispensable dans un débat que l’on puisse entendre de façon équitable à la fois ceux qui s’opposent – je crois qu’on les a bien entendus – et ceux qui soutiennent cette mesure. Au-delà du soutien, il faut expliquer l’importance de cette loi. Ce n’est pas seulement une loi qui concerne les couples de même sexe qui choisiront de se marier mais, je le dis très clairement, c’est une loi qui représente une avancée pour tous et pour l’ensemble de la société. À l’occasion de cette loi, deux coups de projecteurs sont donnés. Le premier sur la réalité de la famille : il n’y a plus un modèle mais des modèles familiaux. Aujourd’hui, un enfant sur cinq vit dans une famille monoparentale, un enfant sur neuf vit dans une famille recomposée, un enfant sur deux naît hors mariage. On voit bien que la révolution des familles a eu lieu, de manière silencieuse, sans grande annonce. Dès lors, nos concitoyens ne nous demandent pas de porter un jugement sur la pertinence de tel ou tel modèle familial mais d’offrir à tous les mêmes droits et les mêmes devoirs. Il y a une attente des familles à l’égard de l’État pour les reconnaître dans ce qu’elles sont, tout en leur offrant un cadre juridique pour les parents et pour les enfants. En ce sens, c’est une mesure d’égalité qui plaide pour l’ensemble des familles. Le deuxième coup de projecteur met l’accent sur la question de la filiation. À la filiation biologique est venue s’adjoindre une filiation sociale, l’une n’étant pas exclusive de l’autre. Aujourd’hui vous avez des enfants élevés par des parents biologiques et par des parents, on va dire, sociaux. On voit bien que cette loi ne crée pas des situations nouvelles. Elle entérine et s’adapte à des situations que nos concitoyens ont choisies.
Pour vous, plus qu’une révolution, c’est une adaptation. Dès lors, pourquoi autant de réticences ? Et pourquoi a-t-on autant entendu les opposants ?
Je comprends que pour des raisons diverses, cela puisse être dur pour certains. Mais nous ne pouvons plus dire qu’il y a un modèle dominant qui serait le modèle de référence pour la société. La réalité de ce que vivent nos concitoyens montre le contraire. La loi pointe donc la dissociation entre le mariage, la procréation et les sentiments. Autrefois, il fallait se marier pour procréer. Aujourd’hui, vous pouvez procréer sans être marié, vous pouvez vous marier et ne pas avoir d’enfant, vous pouvez vous marier et ne pas aimer votre conjoint. Ces blocs étaient étroitement liés dans un ordre bien précis. Les gens les ont gardés mais ils les ordonnent comme ils le souhaitent. Et c’est ça, la grande nouveauté par rapport à Mai 68. Aujourd’hui, il faut donc entendre que nos concitoyens sont toujours attachés à la volonté de faire famille mais ils nous disent clairement que c’est eux qui choisissent la façon de le faire. Ils demandent à l’État, au travers du code civil, de leur assurer une égalité des droits. Ce n’est pas spécifique à la société française.
Vous insistez beaucoup sur cette notion de transmission, qui pour vous semble être au coeur de la réforme…
Exactement. J’ai entendu au travers des auditions menées conjointement en septembre avec Christiane Taubira, la garde des Sceaux, cette revendication totalement légitime de se dire qu’il y avait aussi un désir de transmettre des valeurs, un héritage culturel, un héritage familial, un patrimoine. Les couples hétérosexuels ont aussi, dans le fait d’avoir des enfants, cette volonté de transmettre. Au nom de quoi peut-on signifier à des couples de même sexe le refus de transmettre ? Au nom d’une sexualité différente ? Ça n’est pas tenable. C’est aussi ça qu’il faut faire entendre. Et pas simplement un débat « je suis pour, je suis contre ». Aujourd’hui, j’espère que cette loi créera une forme d’indifférenciation vis-à-vis de l’homosexualité. Et je le dis : quand on n’accorde pas les mêmes droits aux Blancs et aux Noirs, c’est du racisme. Quand on n’accorde pas les mêmes droits aux femmes et aux hommes, c’est du sexisme. Je pose la question : quand on n’accorde pas les mêmes droits aux hétéros et aux homos, comment vous appelez ça ? Est-ce que ce n’est pas de l’homophobie ? C’est pour ça que c’est une loi sociétale. Raison pour laquelle je la porte sans ambiguïté et sans réserve.
Est-ce que l’Église est prête à l’entendre, elle qui est très présente dans les manifestations ?
Plutôt qu’Église, je dirais hiérarchie ecclésiastique. Or elle est arc-boutée sur une vision qui n’existe plus et elle devrait s’interroger sur les combats qu’elle mène et qu’elle a toujours perdus : l’interruption volontaire de grossesse, la contraception, le Pacs, le préservatif, etc. La répétition de ces échecs devrait l’interpeller. Et une partie des fidèles désirent sûrement qu’il y ait cette interrogation chez les responsables des Églises car ils connaissent la réalité autour d’eux.
Que pensez-vous des dernières déclarations de François Hollande sur la procréation médicalement assistée ? Ne se défausse-t-il pas sur les parlementaires pour décider ? Est-ce un signe de frilosité ?
Rien de nouveau. Il y a à la fois cette volonté de respecter le travail parlementaire et la capacité des parlementaires à déposer des amendements sur la PMA. La procréation médicalement assistée avait déjà fait l’objet de plusieurs amendements et travaux parlementaires. Ce n’est pas quelque chose que l’on sort du chapeau. On trouve déjà cent députés signataires en faveur de cet amendement, ce qui témoigne d’un mouvement favorable pour la PMA. Je pense que plutôt que de parler de frilosité, il faut y voir une volonté de reconnaître la liberté des parlementaires et de leur travail.
En même temps, on ne sent pas d’engagement de l’exécutif en faveur de la PMA, que ce soit chez le Président ou chez le Premier ministre…
S’il y avait eu un engagement, ça aurait été dans la loi. C’est pour ça que j’insiste sur la notion de la filiation. Sur la procréation médicalement assistée, elle existe en France et est autorisée pour les couples mariés, médicalement reconnus stériles. Et j’estime qu’à partir du moment où on raisonne en terme de filiation et qu’il y a aussi des parents qui ne sont pas systématiquement des parents biologiques – comme c’est le cas dans le cadre de la PMA autorisée en France -, on peut se poser légitimement la question : pourquoi ne l’ouvre-t-on pas aux couples de même sexe ?
Mais la frilosité existe déjà au sein du gouvernement. Par exemple, Christiane Taubira, elle aussi en charge de ce dossier, semble beaucoup moins engagée que vous…
Je ne pense pas ; et l’important est de réaffirmer que cette loi sur le mariage pour tous est une avancée pour tous. Au travers de cette question de l’ouverture du mariage aux couples de même sexe, on pose la question de la reconnaissance de la diversité des familles et de leur égalité de traitement, ainsi que celle de la filiation qui ne se résume pas à la conception entre un homme et une femme. On ne naît pas père ou mère, on le devient.
La droite appelle à une grande manifestation contre la réforme, le 13 janvier. La redoutez-vous ?
Je ne crains pas les oppositions. Dans tout débat de société, elles existent. Mais j’espère que les opposants le feront pour de bonnes raisons et que des responsables politiques de droite ne seront pas motivés par des raisons politiciennes qui n’ont rien à voir avec le fond. Je rappellerai les propos de Nicolas Sarkozy sur le Pacs en avril 2007 : « On s’est trompé sur le Pacs. (…) Oui, nous sommes passés à côté du Pacs. (…) La droite doit évoluer et ne pas se caricaturer. » Du coup, allons sur le terrain de l’argumentation ! Ayons un vrai débat ! Parlons du fond ! Je pose la question : qui défend aujourd’hui le mieux la valeur famille ? Je n’aurai pas l’outrecuidance de dire que c’est moi, mais quand même…
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