L’ouvrage Gestion de la barbarie, traduit il y a quelques années en français, détaille par le menu la stratégie des jihadistes. Et apporte un éclairage parfois frappant sur les attentats qui ont frappé le monde ces derniers mois.
Il faut avoir le cœur bien accroché pour se lancer dans la lecture de Gestion de la barbarie. Sur les quelque 200 pages de ce livre, signé par un certain Abu Bakr Naji, la stratégie des jihadistes y est détaillée par le menu. L’ultra-violence est assumée, expliquée, théorisée. “Celui qui s’est engagé dans le jihad sait que ce n’est rien d’autre que violence, cruauté, terrorisme, terreur et massacre”, écrit l’auteur, qui prend le soin d’avertir son lecteur : “Il vaut mieux que ceux qui ont l’intention de se lancer dans l’action jihadiste par la douceur restent chez eux.”
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Cet ouvrage, apparu en 2004 dans l’Afghanistan d’après le 11 Septembre, a été écrit sous pseudonyme par un – ou plusieurs – cadres d’Al Qaeda. Destiné aux dirigeants du mouvement, il constituerait aujourd’hui l’un des livres de chevet des leaders de Daesh. “Dans la littérature jihadiste, c’est l’un des seuls écrits avec un langage aussi direct, presque journalistique. Il n’y a pas besoin de dictionnaire religieux pour comprendre le texte”, précise Hosham Dawod, anthropologue au CNRS et spécialiste de l’Irak.
Commettre des attentats
Dans ce manuel de l’utra-violence, la stratégie des jihadistes est présentée dans un plan en trois étapes. Il faut, tout d’abord, créer le chaos dans le territoire ennemi, en répandant une terreur “qui n’a pas de fin”. Ensuite, profiter de ce chaos pour jeter les bases d’un Etat et diriger par la terreur. Enfin, instaurer un califat islamique respectant la charia à la lettre.
Aucun détail n’est épargné au lecteur. L’auteur recommande par exemple de commettre des attentats, qualifiés “d’actions positives”, dans des centres de vacances ou sur des plateformes pétrolières. Les otages y sont considérés comme nécessaires et les actions, si elles le peuvent, se doivent d’être spectaculaires : il s’agit non pas de “raser” un bâtiment lors d’un attentat, mais de “l’engloutir complètement” pour impressionner l’ennemi. Aucun détail n’est laissé de côté. Comme par exemple, la question des agent de sécurité musulmans qui surveillent les sites visés pour les attentats. “S’ils sont des employés des régimes de collaboration et d’apostasie, nous les traiterons pour ce qu’ils sont : des traîtres”, résume l’auteur.
“Aucun succès pendant des années”
“Le titre, Gestion de la barbarie, n’est pas adéquat, précise Hosham Dawod. Il faudrait plutôt le traduire par ‘management de la sauvagerie’, dans le sens où le but est de ramener l’individu à une réalité pré-civilisationnelle”. Alors qu’aux États-Unis, l’ouvrage a été traduit par le chef du département Moyen-Orient de l’académie militaire de West Point (le Saint-Cyr américain), en France, c’est une petite maison, les éditions de Paris, qui a décidé de le publier, en 2007. “Nous publions essentiellement des livres d’histoire et de théologie, indique son directeur, Jean-Luc de Carbuccia. Il nous a semblé essentiel de le publier, dans le sens où il apporte un éclairage sur les événements”. L’éditeur a pris soin d’accompagner l’ouvrage d’un avertissement au lecteur et d’une préface de son ami historien, grand spécialiste du Moyen-Âge, Jacques Heers, décédé en 2013.
Longtemps, et dans l’indifférence totale, l’ouvrage a été distribué sur la Fnac et Amazon, au prix de 24 euros. “Ce livre n’a eu aucun succès pendant des années, précise Jean-Luc de Carbuccia. Mais après les attentats de janvier, nous avons dû en retirer quelques centaines.” L’ouvrage gagne en notoriété et les deux géants de la librairies décident de le retirer de leurs catalogues. “Nos stocks étaient écoulés, nous n’avons pas référencé l’ouvrage à nouveau”, se borne à expliquer la FNAC, qui précise que le dernier exemplaire a été vendu en 2010. Amazon de son côté l’a retiré le 5 juillet 2015, “après les premiers signalements de lecteurs”, indique la firme.
“Amazon a été lamentable, se désole Jean-Luc de Carbuccia. Les islamistes ont déjà toute l’histoire de leur organisation sur Internet. Ils n’attendent pas qu’un petit éditeur français édite leur programme”. Selon lui, l’ouvrage est au contraire indispensable. “C’est la meilleure source pour comprendre la nature intrinsèque du mouvement djihadiste”, précise-t-il dans la préface.
Pas de droits d’auteur
D’aucuns ont même voulu en faire le “Mein Kampf” de Daesh. “Gare aux analogies historiques, recommande Nicolas Pouillard, chercheur à l’Institut français du Proche-Orient (IFPO). Mein Kampf a été écrit par le leader d’un parti, alors que ce type de littérature court dans différents mouvements, parfois concurrents.” D’autant plus que, si le livre peut être lu par les cadres et les dirigeants de Daesh, pas sûr qu’il soit un levier de départ pour les jeunes recrues radicalisées. “Il faudrait mener une étude pour savoir qui, dans les jeunes qui partent en Syrie, a lu l’ouvrage, admet Nicolas Pouillard. Mais il serait plus judicieux de l’intégrer dans tous le corpus de lectures, de prêches et de documents mis à disposition gratuitement sur Internet. Et parfois bien plus accessibles.”
Jean-Luc de Carbuccia n’a en tout cas pas été contacté par la police pour connaître ses chiffres de vente ou le nom de ses lecteurs. Et surtout, “personne ne m’a jamais contacté pour me réclamer des droits d’auteur.”
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