Pour Olivier Besancenot, du NPA, et Julien Bayou, porte-parole d’EE-LV, la mobilisation contre la loi El Khomri signe le réveil de la gauche. Les deux militants, qui se côtoient sur de nombreux terrains de lutte, débattent des conditions d’un renouveau politique.
L’un s’acharne depuis plusieurs mois à fédérer les différentes composantes de l’autre gauche, rêvant d’un Syriza à la française. L’autre milite inlassablement dans un parti révolutionnaire replié sur lui-même, persuadé que le renversement de l’ordre établi ne passera pas par des élections.
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Julien Bayou, 35 ans, porte-parole d’Europe Ecologie-Les Verts (EE-LV), cofondateur de Génération précaire et de Jeudi noir, et Olivier Besancenot, 41 ans, candidat aux élections présidentielles de 2002 et 2007 et militant au Nouveau parti anticapitaliste (NPA), se sont pourtant souvent retrouvés sur le terrain des luttes.
Ils se souviennent notamment de la semaine qu’ils ont passée en 2011 à Athènes, alors que la flottille pour Gaza – dont ils étaient membres – était bloquée à quai. Comment ces deux partisans d’une transformation écologique et sociale analysent-ils le vent de révolte qui s’est levé à gauche contre la loi El Khomri ? Sera-t-il l’occasion de retisser des convergences entre partis, et avec le mouvement social ?
Entre 200 000 et 500 000 personnes ont manifesté mercredi 9 mars en opposition à la loi Travail. Etes-vous satisfaits de cette mobilisation ?
Olivier Besancenot – C’est super enthousiasmant, et ce n’est que le début. Il y a un parfum de CPE assez prononcé : le mouvement de la jeunesse et des mouvements sectoriels en grève se sont rejoints dans la rue, dans un contexte où le PS est au pouvoir ! Ce sont des gens qui n’ont pas manifesté depuis longtemps ou dont c’est la première fois et qui se disent : “on va gagner”. Ça fait du bien.
Julien Bayou – Le mouvement a l’air de prendre et il est beaucoup plus protéiforme que celui contre le CPE. Ce sont des youtubeurs qui ont lancé le hashtag #OnVautMieuxQueCa, puis des militants syndicaux de base qui ont lancé l’événement Facebook appelant à la manifestation le 9 mars, qui s’articulait avec celle des cheminots. Le mouvement a devancé les organisations syndicales et les partis.
Olivier Besancenot – C’est un bon mélange de vieux et de neuf. Le mouvement populaire, du type de celui des indignés, ne prend pas le pas sur les organisations traditionnelles, et les organisations traditionnelles ne contrôlent pas le mouvement. Ça se marie bien.
Julien Bayou – L’autre truc enthousiasmant, c’est le calendrier : les manifs anti-CPE avait démarré deux mois après la présentation du projet de loi. La loi El Khomri n’a pas encore été présentée en Conseil des ministres et les gens sont déjà dans la rue. Si ça continue comme ça, on va passer un joli mois de mai.
Que faudrait-il pour que le mouvement porte ses fruits ? Celui contre le CPE avait fait plier le gouvernement Villepin, mais celui contre la réforme des retraites en 2010 n’avait pas eu le même effet…
Julien Bayou – On ne peut pas comparer. Ça peut prendre en fonction de l’entêtement du gouvernement, en fonction de ce que veulent construire ensemble les différentes forces à l’œuvre. Manuel Valls a déjà un peu reculé, mais le ras-le-bol est tel que ce n’est pas en enlevant une mesure qu’on redonnera confiance aux gens.
Olivier Besancenot – Quand Valls dit “On va reculer la présentation du texte de 15 jours pour que je vous l’explique”, il nous prend de haut mais surtout il sous-estime le côté unificateur qu’a le code du travail. Les salariés, les chômeurs, les précaires, les jeunes, ceux dans les TPE ou les grandes entreprises… tous ont compris que leur point commun, c’est le code du travail. Et ça, le gouvernement est en train de nous le retirer. Il y a quelque chose de profond qui remonte à la surface.
Julien Bayou – L’apathie depuis que Hollande est arrivé au pouvoir s’est transformée en réveil.
Pensez-vous que Hollande va s’entêter ?
Julien Bayou – C’est Valls qui pousse, pendant que Hollande tente de colmater les brèches. En s’attaquant à la déchéance de nationalité et en touchant au code du travail, Hollande s’attaque en fait à notre quotidien, notre vie de famille, nos loisirs. Ils ont voulu jouer à House of Cards sans en avoir le talent.
Olivier Besancenot – Pour qu’une mobilisation fonctionne, il faut que ceux d’en bas se rassemblent et que ceux d’en haut se divisent. La crise politique est telle que tout est envisageable. Le gouvernement va droit dans le mur, et il y va en roue arrière. C’est là que la mobilisation sociale a son importance : il y a une fenêtre de tir. On doit monter un front syndical, social et politique au-delà de nos divergences. On peut encore modifier l’histoire !
Julien Bayou – Alors qu’en 2006 personne ne tenait tête aux éditorialistes pro-CPE qui voulaient tout “déverrouiller”, aujourd’hui des intellos comme les Economistes atterrés, Thomas Piketty et d’autres proposent une réforme de protection de tous les statuts, avec protection sociale universelle et revenu universel. L’Allemagne a mis en place le Smic, les Etats-Unis l’augmentent, l’Angleterre revient sur le contrat zéro heure… Un autre imaginaire est possible et il ringardise les vieilles recettes.
Ce mouvement est-il l’occasion d’accélérer la recomposition de la gauche d’ici la primaire ?
Olivier Besancenot – Pour moi, la primaire, c’est à part. Il y a deux façons de recomposer la gauche. D’abord par le biais électoral, en agrégeant toutes les forces existantes et en créant cette fameuse représentation politique à gauche dont on se sent orphelin. Mais on a des orientations politiques trop différentes. Surtout, ce biais pousse à la personnalisation qui est un piège de la Ve République.
Et puis, la primaire a un vice de forme car elle laisse la porte ouverte au PS, ce qui revient à maintenir la possibilité de devoir coller des affiches pour des gens que tu as combattus pendant cinq ans. L’autre moyen, qui représente un espoir politique extraordinaire, c’est de recomposer la gauche par le biais des mouvements sociaux, pour faire en sorte que le neuf s’invite suffisamment pour être quelque chose de contraignant sur l’ancien.
Qu’est-ce que vous appelez le neuf ?
Olivier Besancenot – Tu ne peux pas savoir (sourire). Il y a des gens en train de se révéler et de prendre confiance dans leur propre force. En fait, on est en train de vivre notre mouvement des indignés. Les circonstances ne sont pas les mêmes qu’en Espagne ou en Grèce, mais on se retrouve dans cette même crise de la représentation.
Julien Bayou – En Grèce et en Espagne, un gouvernement soi-disant de gauche a mené une politique d’austérité sous la pression du FMI, puis un gouvernement de droite a fait la même chose. En France, on a eu le gouvernement de droite, et maintenant un gouvernement de gauche qui franchit toutes les barrières. La solution est dans la rue et dans l’émergence d’un mouvement qui pousse à la recomposition des forces existantes.
Olivier Besancenot – L’important, c’est que les organisations existantes soient à l’écoute de ce mouvement.
Julien Bayou – En soutien même. Il y a souvent une espèce d’arrogance de la part des partis qui s’imaginent toujours être à l’avant-garde. Mais on voit bien dans quel état ils sont, dans quel état les syndicats sont ! Une évolution est donc possible. Je n’oppose pas mouvement social et appareils, je pense qu’il doit y avoir une convergence.
Jusque-là il n’y avait que le FN qui captait les voix des déçus de la politique droite-gauche. Cela va-t-il changer ?
Julien Bayou – Les abstentionnistes se réveillent. L’intérêt pour la primaire le montre. Ils ne veulent pas choisir entre un Hollande et un Sarkozy. Je ne pensais pas que ce moment arriverait avant 2017 (sourire).
Olivier Besancenot – En 2010, la perspective électorale s’est rapidement invitée dans le mouvement. Les gens ont préféré se venger dans les urnes en envoyant Hollande contre Sarkozy. Ça, ce n’est plus possible. Le peuple de gauche est face à ses responsabilités : on doit les battre. Plutôt que de rester fixés sur les échéances électorales, nous devons imaginer des états généraux de l’urgence sociale, démocratique et écologique, où les forces présentes discutent du contenu avant de discuter de leur représentant.
Si une personnalité nouvelle émergeait du mouvement social, pourrait-elle à vos yeux incarner l’autre gauche ?
Julien Bayou – Si une personnalité émerge de ce mouvement, qu’elle est écolo-compatible, nous, les écolos, on sera heureux et fiers de la soutenir. Au passage, on aura travaillé notre périmètre politique commun. Les militants du NPA et les militants écolos se retrouvent “en contre” dans toutes les luttes, du soutien aux migrants à l’opposition aux grands projets inutiles. Il serait intéressant désormais de travailler les contours d’un “pour”.
Olivier Besancenot – La gauche politique comme la gauche sociale n’ont jamais été capables de réussir quoi que ce soit séparément.
Julien Bayou – Nous avons besoin d’actions communes et d’alliances de projet. Chez les écolos, on a touché le fond, il y a donc des possibilités de convergence sur tel ou tel sujet. Travailler avec Olivier, c’était pendant longtemps inenvisageable pour plein d’écolos.
Maintenant c’est possible, car nous sommes d’accord sur certains points, notamment sur la représentation, la proportionnelle, l’obligation des élus à rendre des comptes, pour en finir avec les Cahuzac et les Thévenoud. On a cependant une culture différente. Nous, on va dans les institutions parce qu’il y a une urgence climatique et sociale, et qu’il faut prendre les manettes.
Le mouvement contre la loi Travail est né en grande partie d’internet. Comment appréhendez-vous ces outils dans votre activisme politique ?
Julien Bayou – Génération précaire et Jeudi noir sont nés avant Facebook. Ce qui arrive maintenant est nouveau. Une pétition en ligne peut prêter à sourire, car un clic est un engagement peu coûteux. Mais cela permet de rendre visible et de connecter des gens qui seraient autrement isolés et impuissants. C’est déjà énorme. C’est à peu près l’équivalent d’une manifestation, mais cela prend moins de temps.
Cela devrait nous interroger sur le renouveau de la bonne vieille manif. Quand 1,2 million de personnes prennent très peu de temps pour cliquer, 60 000 personnes prennent beaucoup de temps pour finalement se contenter de défiler. D’un côté la pétition en ligne abaisse le seuil d’engagement, et de l’autre la manifestation n’est pas utilisée à plein. Nos mobilisations sont multiples et on peut développer ça dans les mois qui viennent.
Le NPA n’est pas réputé pour son activisme sur internet…
Olivier Besancenot – Je suis un dinosaure à côté de lui, j’avais un Minitel il y a encore un mois ! (rires) Chaque période a son support. Dès 1994, les zapatistes ont commencé à utiliser internet. Les révolutions arabes et le mouvement des indignés sont beaucoup passés par les réseaux sociaux. Je pense simplement qu’il ne faut pas opposer les supports : Instagram et aussi des bonnes barricades, malgré tout. (rires)
Julien Bayou – Il faut aussi prendre en compte l’essor de la vidéo. Il n’y a plus que ça sur Facebook. Si demain les youtubeurs organisent une chaîne où ils compilent des témoignages et des propositions, ils ringardiseront le discours de Valls. Ces outils ont une puissance de récit incroyable, on l’a vu avec le hashtag #OnVautMieuxQueCa. Les institutions du XIXe siècle pratiquées avec des règles du XXe sont déstabilisées par des gamins du XXIe siècle.
Les institutions résistent pourtant remarquablement bien, et en dépit d’un contexte qui devrait lui être favorable, la gauche radicale mobilise peu. Pourquoi ?
Olivier Besancenot – Paul Valéry disait : “La politique est l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde.” La classe politique dégoûte sciemment les gens de la politique, pour qu’ils ne s’y intéressent pas. Les gens se disent révoltés, mais préfèrent s’abstenir, ils ne se sentent pas concernés. Et puis il y a des moments magiques où ils se disent : on va se représenter nous-mêmes.
Julien Bayou – La manifestation du 9 mars, qui a réuni cheminots – et salariés en général – et organisations de jeunesse, en est un exemple.
On est encore loin du Grand Soir, non ?
Olivier Besancenot – On n’en est pas là, mais je n’ai jamais été inquiet à ce propos. La classe politique et médiatique est bardée de gens qui ont une vision définitive des choses. Ils prennent un instantané et pensent que c’est pour toujours. Cet unanimisme peut se craqueler à la première occasion.
Rappelle-toi l’image de la chemise du DRH d’Air France arrachée. Les mêmes qui disaient qu’il ne se passait rien étaient paniqués : la question sociale est revenue et a mis un grand chassé dans la porte. Le problème c’est qu’un contexte de lutte n’entraîne pas forcément un changement dans le rapport de forces politique. Pour bousculer cet ordre des choses, il faut être disponible à la période.
Julien Bayou – Au niveau de l’écologie, des révolutions invisibles ont lieu. Les parents veulent de la bonne bouffe pour leurs enfants, les agriculteurs bio se développent, malgré la chape de plomb de la FNSEA. La lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est un vrai vecteur de changement : cela fait cinquante ans que ça dure, il y a une transmission générationnelle.
Olivier Besancenot – Notre-Dame-des-Landes est l’exemple parfait d’un mélange réussi entre le vieux et le neuf : des tracteurs, et les réseaux sociaux (rires).
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