Le Consortium international de journalistes d’investigation continue sa traque aux personnalités détenant des sociétés dans des paradis fiscaux. Cette fois, focus sur la Chine et ceux que l’on nomme « les princes rouges », des proches d’anciens dirigeants communistes et responsables politiques. Décryptage en dix points.
1) Quels « princes rouges » ?
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Cette métaphore colorée rappelle une chose : l’élite dont on parle s’est enrichie à la faveur de ses liens avec le Parti communiste chinois. Dans cette affaire, ce sont quelque 20 000 noms, originaires de Chine, de Taïwan ou de Hong Kong, qui se trouvent liés à des compagnies offshore situées dans des paradis fiscaux. Après enquête, nombre d’entre eux ont des liens de sang, de mariage ou d’intérêt avec le pouvoir en place et/ou d’anciens dirigeants communistes.
2) Offshore what ?
Offshore Leaks signifie textuellement les fuites d’information émanant de paradis fiscaux. Des paradis où l’on trouve des fonds placés parfois légalement, mais le plus souvent à des fins de fraude fiscale, de blanchiment ou de détournement de fonds publics. Offshore Leaks est surtout le nom d’une vaste opération dont le premier volet, publié en avril 2013, concernait quasiment tous les pays du monde. La seconde étape vise « les princes rouges ». Elle a été initiée car, dans les fichiers récupérés, un nombre extrêmement élevé de Chinois – près de 20 000 – avaient été décelé.
3) Qui sort « l’info » ?
Un tel travail de vérification et de compréhension ne pouvait s’effectuer qu’en équipe. Ça tombe bien, c’est l’ICIJ – aka le Consortium international de journalistes d’investigation – qui est à l’origine de l’opération Offshore Leaks. Il s’agit d’un réseau indépendant de journalistes basés à Washington qui regroupe 36 titres de la presse internationale. On y trouve notamment le Washington Post, la BBC, Le Monde, Le Guardian… Coté français donc, allez lire l’enquête très fouillée, publiée par Le Monde, et réalisée par pas moins de six journalistes : Marina Walker Guevara, Gerard Ryle, Alexa Olesen, Mar Cabra, Michael Hudson et Christoph Giesen.
4) Le beau-frère du Mélenchon chinois
Passons au fond des révélations sur « les princes rouges ». Imaginez par exemple que le tonitruant Jean-Luc Mélenchon, actuel coprésident du bureau national du Parti de gauche, soit en réalité le président de la République française. Imaginez maintenant que l’on soit dans une société communiste n’autorisant qu’un parti unique (ce n’est pas le but de Mélenchon hein) glorifiant la lutte contre les inégalités sociales et les oligarques. Et là, on apprendrait que la grande sœur du président Mélenchon est casée avec un multimillionnaire. C’est en somme ce que révèle Offshore Leaks sur le beau-frère du président chinois Xi Jinping. Deng Jiagui, marié à la sœur du chef de l’État, s’avère être un promoteur immobilier chanceux. En effet, il n’a pas été atteint, en 2012, par la « vaste » campagne anticorruption de Xi Jinping. Deng Jiagui détient notamment 50% d’une société aux îles Vierges britanniques, un paradis fiscal.
5) Le fils chinois de Georges Marchais
Maintenant, imaginez qu’avant le président Mélenchon, Georges Marchais, défunt secrétaire général du Parti communiste français (de 1972 à 1994), ait été Premier ministre de 2003 à 2013. Et tac, on apprendrait que son fils a constitué de 2006 à 2008, sous son règne donc, la société Trend Gold Consultants aux îles Vierges avec l’appui du bureau hong-kongais du Crédit Suisse. C’est le cas de Wen Yunsong, fils de Wen Jiabao, ex Premier ministre chinois. Par la suite, en 2012, ce Wen Yunsong est devenu président de la China Satellite Communications Company, entreprise publique chinoise qui ambitionne de devenir le premier opérateur satellite d’Asie. Un peu comme si Nicolas Sarkozy qui, au lieu d’avoir échouer à placer son fils Jean à la tête de l’Epad (établissement public de La Défense), avait réussi à lui octroyer la présidence de la multinationale française Orange, ex France Telecom. Plus efficace quoi.
6) La fille chinoise de Georges Marchais
Imaginez maintenant que Georges Marchais, ex Premier ministre français hypothétique donc, ait également une fille. Et là boom… On apprendrait que cette dernière a touché des « honoraires » exorbitants via son mari et une société également située dans un paradis fiscal. C’est encore le cas du même ex Premier ministre chinois Wen Jiabao dont la fille se nomme Wen Ruchun, appelée aussi parfois Lily Chang. Selon le New York Times, la banque JP Morgan Chase a versé 1,8 million de dollars (1,33 million d’euros) d’honoraires de conseil à Fullmark Consultants, société que dirige Wen Runchun. Les autorités américaines ont d’ailleurs ouvert une enquête sur cette société et plus largement sur la manière dont la banque JP Morgan se serait servie « des princes rouges » pour augmenter son réseau et son influence en Chine.
7) A chaque dynastie son enrichissement
Les documents dévoilés par le Consortium international de journalistes d’investigation révèlent que des proches de quasiment tous les dirigeants chinois apparaissent dans leur enquête. C’est le cas pour Deng Xiaoping qui dirigea la Chine de 1978 à 1992, pour Li Peng qui fut Premier ministre de 1988 à 1998 et pour Hu Jintao qui fut président de 2003 à 2013. On trouve également Fu Liang, fils de Peng Zhen, l’un des « huit immortels chinois » du Parti communiste et membre de l’Assemblée nationale populaire dans les années 80.
8) Le facilitateur TrustNet
TrustNet est une société qui a aidé la société de Wen Ruchun (fille chinoise de Georges Marchais), la société de Fu Liang (fils d’un immortel) et bien d’autres à installer ou à créer leurs entreprises dans les paradis fiscaux. Il s’agit d’un cabinet qui organisait des réunions à Shanghai pour « signer des clients chinois » avec des grands cabinets d’audit internationaux. TrustNet s’appelle désormais PricewaterhouseCoopers. L’ICIJ explique que TrustNet a permis de constituer quelque 400 sociétés offshore pour des clients chinois. La banque UBS se serait également servi des services de TrustNet pour créer quant à elle près d’un millier d’entités offshore.
9) La femme la plus riche de Chine
Yang Huiyan, la Liliane Bettencourt chinoise, est la femme la plus riche de Chine. Son patrimoine est estimé à 8,3 milliards de dollars. Les bureaux d’UBS à Hong-Kong auraient assisté Yang Huiyan à créer en 2006 une société aux îles Vierges britanniques. Cette héritière n’a pas souhaité répondre aux questions du Monde.
10) Puits sans fonds
Il serait laborieux de détailler tous les liens de chacune des 20 000 personnes apparaissant dans ces paradis fiscaux. Dur d’estimer par ailleurs l’ampleur du phénomène. Ce qui est certain en revanche, c’est que l’élite communiste chinoise semble avoir un souci avec ces enquêtes de l’ICIJ. Le pays entier a été privé d’internet au moment de ces révélations dans la nuit du 22 janvier. Petit indicateur de l’ampleur de la corruption tout de même : en septembre 2013, un ancien dirigeant des chemins de fer chinois a plaidé coupable devant un tribunal pénal. Il était accusé d’avoir transféré 2,8 milliards de dollars sur des comptes bancaires offshore. Selon un rapport alors rédigé par la Banque centrale de Chine, des responsables publics ont détourné et fait sortir de Chine plus de 120 milliards de dollars depuis le milieu des années 1980. Cela dit, la liste HSBC de potentiels fraudeurs fiscaux français se changera peut être un jour en Offshore Leaks hexagonal…
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