La place Taksim à Istanbul (Turquie) est, depuis le 31 mai, le théâtre de manifestations violemment réprimées par la police. Des événements relayés en premier lieu sur les réseaux sociaux.
Le hashtag #Occupygezi figurait parmi les 10 « tendances » de Twitter pendant une bonne partie de la journée samedi 1er juin. Il faut dire que depuis le début des manifestations sur la place Taksim, à Istanbul (Turquie) le 31 mai, les informations ont été principalement relayées via les réseaux sociaux. C’est, par exemple, via Twitter que les médias du monde entier ont appris samedi que l’accès à Twitter et Facebook était bloqué, au moins aux abords de la fameuse place. Une information confirmée notamment par le correspondant de CNN en Turquie:
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
(« Je ne peux plus tweeter de photos avec mon téléphone et notre connexion à Internet est morte. Si le réseau est coupé, ça va vraiment être un Tahrir turc »).
Comme on se noie un peu dans la masse d’informations relayées sur Twitter, un Tumblr a été créé afin de compiler des images des manifestations et, surtout, de leur violente répression.
Car si l’ampleur des manifestations n’est pas encore véritablement connue, les violences policières, elles, sont exposées aux quatre coins de la toile. Blessés graves, gaz lacrimo à outrance, manque de soins… le récit des événements est alarmant et contraste, à première vue, avec le motif des protestations. Tout est parti d’une manifestation de militants majoritairement écologistes contre un projet d’urbanisation très controversé visant à raser le parc Gezi pour y reconstruire des casernes et y implanter un centre commercial. Tout ça pour un parc ? Bal Onaran, professeur d’histoire de l’art et de littérature à Paris d’origine turque qui participe depuis vendredi à des actions de soutien au peuple turc au Trocadéro à Paris, explique:
« C’est le seul espace de verdure du côté européen d’Istanbul. Quand les gens ont su qu’il y aurait à la place un supermarché, ils ont dit non. Depuis que le gouvernement est au pouvoir, il n’y a pas de liberté. Les gens n’en peuvent plus! »
Le projet visant le parc Gezi ne serait donc que la goutte d’eau ayant fait déborder le vase, ce que confirme Didier Billon, président adjoint de l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) et spécialiste de la Turquie:
« ça nous parait dérisoire mais ce projet d’urbanisation a une forte portée symbolique car le pouvoir refuse de dialoguer sur l’avenir du parc, sur le projet de centre commercial. On n’en est pas à une crise de régime mais ces manifestations ont une grande importance politique car elles expriment un profond mécontentement sur différents dossiers comme la Syrie ou l’alcool ».
Il y a une semaine, le gouvernement de l’AKP (parti pour la justice et le développement, conservateur) a de nouveau restreint la consommation d’alcool, interdisant la vente de boissons alcoolisées entre 22h et 6h au nom de la protection de « la jeunesse de la nation« . Une mesure mal perçue par la population turque, dont une large partie reproche au gouvernement de vouloir islamiser la société. « Où va-t-on à force de tout interdire ? » s’inquiète Bal Onaran, qui rappelle que sans les réseaux sociaux elle n’aurait jamais été au courant des événements stambouliotes: « Il n’y a aucune chaîne turque qui parle de cette manif, des blessés, des gaz lacrimo, comme si ça n’existait pas ! » La presse turque serait donc totalement contrôlée? Didier Billon tempère:
« On ne peut pas dire que la presse turque soit muselée. Les manifestations sont violentes mais elles ne regroupent pour l’instant pas des dizaines de milliers de personnes. Je pense que la presse turque considère donc que c’est une pulsion de violence et que ça ne prendra pas d’ampleur. Les manifestations se situent pour l’instant dans un quartier artiste, de la gauche libérale, estudiantin, un quartier branché (et ce n’est pas péjoratif). »
Assiste-t-on à l’éclosion d’un Printemps turc ? Bal Onaran en est persuadée. Contrairement à Didier Billon, qui rejette l’expression de « printemps » et rappelle que la société turque a ses propres spécificités qui empêchent toute comparaison avec la Tunisie, l’Egypte ou la Libye :
« La Turquie est un Etat de droit avec des élections qui fonctionnent, une justice. Depuis dix-quinze ans, on assiste à un élargissement des droits, mais en même temps depuis deux-trois ans on traverse une période autoritaire. Ce n’est pas une dictature mais il y a des glissements liberticides, c’est incontestable: il y a des dizaines de militants, d’intellectuels, de journalistes en prison. Il y a des formes d’auto-censure qui existent. Ceux qui critiquent le pouvoir ont des emmerdements. Je ne pense donc pas que ça va être réglé en quelques heures car la brutalité du régime radicalise le mouvement ».
Samedi en fin daprès-midi, les forces de l’ordre ont fini par se retirer de la place Taksim. Erdogan a de son côté reconnu « qu’il y a eu des erreurs, et des actions extrêmes dans la réponse de la police » sans toutefois reculer sur son projet d’urbanisation du parc Gezi. La place, elle, est toujours occupée.
{"type":"Banniere-Basse"}