En mai 2013, un grand mouvement de protestation naît dans le parc Gezi, situé à côté de la place Taksim, au cœur d’Istanbul. Tadashi Ono a réalisé un travail photographique sur ce lieu, documentant a posteriori ce qui reste de la manifestation, les traces de peinture grise du gouvernement qui a voulu dissimuler les slogans et […]
En mai 2013, un grand mouvement de protestation naît dans le parc Gezi, situé à côté de la place Taksim, au cœur d’Istanbul. Tadashi Ono a réalisé un travail photographique sur ce lieu, documentant a posteriori ce qui reste de la manifestation, les traces de peinture grise du gouvernement qui a voulu dissimuler les slogans et graffitis dont les protestataires ont couvert la place. Rencontre avec le photographe, qui expose dès aujourd’hui et jusqu’au 31 août à la Galerie VivoEquidem.
Comment vous êtes-vous intéressé au mouvement Occupy Gezi ?
Tadashi Ono – J’ai suivi ce mouvement dès le premier jour par les réseaux sociaux, car je ne pouvais pas me rendre immédiatement sur place.
J’ai regardé les images qui sont apparues sur les réseaux sociaux, et sur les milliers de blogs qui ont été créés par les Turcs. Des photos faites par des professionnels, des photojournalistes, mais aussi beaucoup d’amateurs. On était inondés par les images. Mais j’avais du mal à imaginer à quoi ressemblait le parc, il n’y avait pas d’image ni de description. Donc, j’étais assez curieux, ça m’a donné l’envie d’aller voir, découvrir moi-même les lieux.
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Pourquoi avoir décidé d’en faire un travail photographique ?
– Depuis une vingtaine d’années je travaille essentiellement sur la représentation de l’urbain à travers le paysage, l’architecture, et la représentation d’arbres traverse tout mon travail photographique en fait. Dans le mouvement de Gezi, le parc et les arbres étaient symboliques. Vous savez comment ça a démarré : le gouvernement a voulu couper certains arbres pour la construction d’un centre commercial. D’abord certains écologistes ont voulu faire un sit in pour occuper le parc, et puis la répression de la part du gouvernement a été assez violente, et tout a commencé à dégénérer. Parce que le mécontentement était déjà là.
Pensez-vous réaliser ici un acte politique ?
– Je pense que tout travail artistique a un lien avec la politique. Je suis forcément influencé par cette dimension, parce que ce mouvement m’a fait déplacer. Mais je m’intéresse avant tout à la photographie, je réfléchis à la manière de représenter le monde à travers la photographie.
Dans ce travail, je m’intéresse plus particulièrement aux formes organiques représentées par la nature. On ne peut pas prévoir leur évolution, et en cela elles s’opposent à l’économie globale, représentée par le gouvernement d’Erdogan en Turquie. Pour lui, le parc n’a pas de sens, ce n’est pas un espace productif, ce pourquoi il veut convertir le parc en espace commercial, en lieu de consommation. Cela m’intéresse, parce que dans ce mouvement-là il y a quelque chose d’universel, qui nous concerne tous. Une forme de confrontation entre la présence organique des arbres et du parc, ce que j’appelle l’intelligence organique, et notre propre présence liée à la recherche de profit, l’intelligence artificielle.
![](/wp-content/thumbnails/uploads/2016/06/T9-tt-width-440-height-550-crop-1-bgcolor-000000-nozoom_default-1-lazyload-1-except_gif-1.jpg)
Photographier le parc après le mouvement pour tenter de capturer les traces qu’il en reste, c’est effectuer une forme de travail mémoriel ?
– J’ai voulu collectionner les résidus de l’événement oui. Sur la place Taksim, la peinture de protestation, colorée, rencontre la peinture de pouvoir, grise. Les mots qui sont écrits sont les voix des citoyens, exprimées en différentes couleurs. Ils sont recouverts, comme réprimés, par la peinture grise. Je voulais en fait extraire ces voix-là, donc j’ai pris les pixels de ces couleurs et puis j’ai formé une sorte de ligne colorée, qui traverse l’image en passant sur le corps des gens.
J’ai créé une sorte de lien entre le corps des hommes et ces voix, inscrites sur le tronc des arbres par exemple. Sur d’autres images, j’ai voulu accentuer la coexistence de deux expériences photographiques différentes, celle des amateurs qui ont capturé le mouvement sur le vif et grâce auxquelles j’ai pu suivre le mouvement à distance, et mon travail d’artiste, après l’évènement. Par une sorte d’anamorphose, j’ai compressé l’image des foules de protestants en une bande, que j’ai également appliquée sur la photographie.
En fait, ces appositions, et mon travail plus généralement, visent à représenter la représentation, car tous les êtres vivants représentent quelque chose. Le monde, c’est pour moi une archive de la représentation.
Exposition Grey-Gezi Park, Istanbul à la Galerie VivoEquidem, 113, rue du Cherche-Midi, Paris VIe
Ouvert du mardi au samedi de 15 h à 19 h 30.