En moins de quinze ans, le foot business est devenu l’un des marchés les plus dérégulés de la planète, représentant 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France et 400 milliards dans le monde. Avec, au cœur du système, les agents de joueurs. Une enquête en partenariat avec l’émission « Cash Investigation ».
Lundi 2 juillet 2012, 18 h 30, au Parc des Princes. Ezequiel Lavezzi a le sourire. Face aux photographes, l’attaquant argentin arbore son nouveau maillot, celui du PSG. Le joueur vient de signer le plus gros contrat de sa carrière. 2 800 000 euros de prime, 522 000 euros de salaire et 27 500 euros mensuels de « prime éthique » si le joueur « s’abstient de toute propagande religieuse ou politique » dans les médias et se montre « courtois envers les supporters ». Spinoza doit se retourner dans sa tombe : au PSG, l’éthique a désormais un prix.
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Au total, sur la saison 2012-2013, Ezequiel Lavezzi aurait touché plus de dix millions d’euros brut. De quoi payer les salaires des trente-huit ministres du gouvernement Ayrault pendant plus de deux ans. Dans les travées du Parc des Princes, un homme sabre le champagne. Il n’est pas sur la photo officielle mais c’est lui qui a tout arrangé : Alejandro Mazzoni, l’agent de Lavezzi. Imaginez : il aurait touché une jolie commission d’un million d’euros. De quoi se payer un peu plus qu’un vulgaire mousseux.
Opération « football malade »
Problème : sur le contrat confidentiel de Lavezzi avec le PSG que nous nous sommes procuré, ce n’est pas le nom d’Alejandro Mazzoni qui apparaît mais celui d’Alessandro Moggi, un autre agent de joueurs. L’homme est déjà connu de la justice italienne pour le scandale des matches truqués du Calcio en 2006. Moggi aurait donc touché les 800 000 euros de commission promis à Mazzoni. Le transfert de Lavezzi au PSG a déclenché l’opération « football malade » lancé par la brigade financière de Naples en juin. Quarante et un clubs italiens perquisitionnés, cinquante-cinq transferts suspects et une douzaine d’agents de joueurs soupçonnés d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent. Parmi eux : Alejandro Mazzoni et Alessandro Moggi. L’enquête est en cours et devrait, selon les enquêteurs, « mettre au jour un vaste réseau d’opérations financières illicites ». Contactés, les deux agents de joueurs ne souhaitent pas répondre. Quant à Jean-Claude Blanc, directeur général du PSG, lui, « ne s’exprime jamais sur ce genre de sujet ».
Pour en savoir plus, un détour par l’Institut national de formation (INF) de Clairefontaine, en région parisienne, s’impose. Thierry Henry, William Gallas ou Nicolas Anelka sont notamment passés par ici. Les joueurs entrent à 12 ans, suivent deux années de formation et signent ensuite dans des clubs professionnels. La Fédération française de football (FFF), dont dépend l’INF, nous a interdit l’accès aux sélections de la promotion 2013/2014. Nous avons quand même réussi à entrer. Sur le terrain, les enfants sont en plein test. Mille candidats pour vingt-cinq places. Sur le côté, seuls papa, maman et les recruteurs des grands clubs ont le droit d’être là. Mais il y a en fait tout le gratin du foot business. A commencer par les agents de joueurs, venus repérer leurs futurs clients. Deux d’entre eux observent les joueurs de 12 ans en train de s’entraîner :
“– Les deux gardiens, c’est des truffes. Dans les sorties, ils ne parlent pas. Vision dans l’espace : nulle.
– Par contre le numéro 8 amène une plante comme ça avec des mecs qui te le font bosser. Tu vas voir. En plus, j’ai vu la famille, c’est pas des nains.
– Oui, c’est pas mal.”
De vrais poètes. Seulement, d’après le règlement de l’INF, ils n’ont pas le droit d’être là. Pire encore, la loi française interdit à un agent de passer un contrat rémunéré avec un joueur mineur. Mais ça n’empêche pas certains d’essayer de convaincre les parents.
« Il faut que je sois là avant les recruteurs de clubs »
A quelques mètres, un jeune homme très classe en long manteau noir attire notre attention. C’est un agent de joueurs illégal qui n’a pas la licence d’agent délivrée par la FFF, obligatoire pour exercer. Il nous explique les ficelles du métier :
“Je m’occupe déjà du numéro 7 bleu. De manière générale, il faut que je sois là avant les recruteurs de clubs pour servir à quelque chose. Sinon la famille n’a pas eu besoin de moi pour que l’enfant signe dans un club.”
Sans la licence de la FFF, ce faux agent risque jusqu’à deux ans de prison pour exercice illégal de la profession d’agent sportif. Ces dernières années, plusieurs faux agents ont été condamnés. L’un d’eux est même tombé pour trafic d’enfants. Mais le jeu en vaut la chandelle : ce pseudo-agent se paiera sur le joueur lors de la signature du premier contrat professionnel. Et il le sait, certains clubs peuvent verser jusqu’à 200 000 euros de prime à la signature pour un gamin de 16 ans. Cela représenterait alors 20 000 euros de commission pour lui et surtout de longues années de collaboration et de prospérité. En tout, ce jour-là, nous croiserons deux agents officiels et trois agents illégaux. Gérard Prêcheur, le directeur de l’INF, n’a pas eu l’autorisation de la fédération de nous répondre. Il précise simplement “faire le maximum pour protéger ses jeunes” et “faire la guerre aux agents”.
Des cours de finance à des enfants de 12 ans
Les très jeunes joueurs n’intéressent pas que les agents. Avant de quitter l’INF, nous avons croisé une dame en talons hauts dans la boue de la forêt de Clairefontaine. Pas vraiment le look de l’habituée des terrains de foot. Elle est l’une des responsables de la gestion de fortune des sportifs de haut niveau de la BNP Paribas. Officiellement, elle est en repérage à l’INF pour “proposer des interventions à vocation pédagogique (…) afin de sensibiliser les espoirs du sport aux diverses problématiques financières à venir”.
https://www.youtube.com/watch?v=FnQN1-a4haQ
Autrement dit, la BNP se proposerait de donner des cours de finance à des enfants de 12 ans. Tout va bien alors. Les grandes marques aussi sont sur le coup. Tout le monde à l’INF connaît les représentants de Nike et Adidas. Les deux multinationales se livrent une bataille sans merci pour sponsoriser les joueurs les plus talentueux, le plus tôt possible.
« L’enfant va respirer Adidas »
Adidas, par exemple, a des contrats avec une trentaine de joueurs mineurs. L’équipementier approche même les joueurs à partir de 7 ans et leur propose jusqu’à 7 000 euros de vêtements par an. Adidas a refusé notre demande d’interview mais l’un des responsables du recrutement se lâche :
« Plus ça va et plus on s’intéresse aux joueurs jeunes. Si l’enfant est bien avec la marque, il va respirer Adidas. Imaginez alors s’il a la puissance d’un Zidane, le retour sur investissement serait énorme. Pour un joueur de 7 ans, il n’y a pas de contrat rémunéré. Ainsi, le discours du jeune joueur sera beaucoup moins marketé et plus pertinent auprès des consommateurs. Parce qu’in fine, une marque travaille pour gagner de l’argent. »
Un joueur français détenu par des fonds d’investissement
Ce contexte de convoitise permanente autour des jeunes footballeurs finit par transformer les joueurs en produits financiers. Un millier de joueurs dans le monde appartiennent désormais à des fonds d’investissement qui les rachètent le plus souvent à des clubs en difficulté financière. Exemple avec Eliaquim Mangala, 22 ans, l’un des grands espoirs du football français. Son club, le FC Porto, avait besoin d’argent frais. Il a revendu un tiers de ses droits économiques, c’est-à-dire sa valeur marchande, à Doyen Group, un fonds d’investissement spécialisé dans l’extraction d’uranium, de charbon et d’or. Dix pour cent de la carrière de Mangala appartiennent à un autre fonds d’investissement, Robi Plus, basé à Londres. Les joueurs sont désormais vendus à la découpe.
Après trois mois de négociation avec le FC Porto, nous réussissons à décrocher une interview avec Eliaquim Mangala. Un quart d’heure, pas plus, devant les sponsors et en présence des communicants du club. Le jeune joueur, casquette vissée et sweat capuche, reconnaît ne plus trop savoir à qui il appartient.
“Pour Doyen Group, je l’ai appris par la presse, un matin. Je n’ai rien signé du tout. Pour Robi Plus, je n’étais pas au courant. Il faut être réaliste, nous sommes des produits sur lesquels on spécule…”
La responsable de la communication du FC Porto le coupe et met fin à l’entretien. Exaspérée par nos questions, elle nous lance : “Ici, personne ne vous parlera de ce genre de choses car c’est du business et c’est le secret du FC Porto.”
Investir dans le footballeur
Sur son site internet, Doyen Group présente fièrement les vingt et un joueurs qu’il détient. Parmi lesquels Mangala et un autre Français, Geoffrey Kondogbia, transféré cet été du FC Séville à l’AS Monaco. Le fonds d’investissement, domicilié à Malte, investirait en moyenne deux millions et demi d’euros dans chaque joueur. Il faut dire que ça rapporte, le footballeur, bien plus que l’uranium : Falcao, avant d’être transféré cet été pour 64 millions d’euros à Monaco, a rapporté 164 % de retour sur investissement à son fonds néerlandais, Natland Financieringsmaatschappij BV. Cette nouvelle mode d’achat de joueurs est pourtant très controversée. Car les footballeurs ne sont pas des chevaux de course, ce sont des êtres humains comme vous et moi. Et un humain, a priori, ne peut pas appartenir à un fonds d’investissement.
En Europe, près de cent joueurs sont détenus par des fonds. Michel Platini, président de l’Union européenne de football association (UEFA) s’en est alerté dès 2007 et avait promis d’éradiquer cette pratique dans le football. Six ans plus tard, aucune mesure d’interdiction en vue. Contacté, son service de communication nous fait savoir que Platoche “n’a simplement pas envie” de participer à notre enquête. En avril dernier, Jérôme Valcke, secrétaire général de la Fédération internationale de football association (Fifa), nous faisait à son tour rêver : “La Fifa prend l’engagement que ce problème est un sujet qui sera géré et qui sera réglé dans les plus brefs délais.” Cinq mois plus tard, malgré le congrès annuel de la Fifa en mai dernier à l’île Maurice, on attend toujours.
Martin Boudot
Martin Boudot a réalisé le documentaire Foot business : enquête sur une omerta, à voir le 11 septembre à 22 h 15 sur France 2, dans l’émission Cash Investigation
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