Pop président ou Nice Brother, Obama n’a jamais hésité à multiplier les références populaires en se servant de la mythologie américaine pour créer son propre mythe. Retour sur près de six années de « tyrannie du cool », une stratégie payante mais néanmoins ambigüe.
« On est les Rolling Stones période 1965 qu’une seule fois dans sa vie, après on est juste un groupe moyen qui fait des tournées et vend ses tickets de concert bien trop chers. » La formule, adressée en privée à Barack Obama et à son staff pendant la campagne pour sa réélection, est de Steven Spielberg. Le « roi du divertissement » se fait alors consultant improvisé en direct des studios DreamWorks – QG non-officiel d’un président des Etats-Unis de retour face à ses électeurs ou à ses fans, outre-atlantique on ne sait plus très bien.
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La comparaison avec un groupe de rock est parlante, elle résume à merveille le mélange des genres qu’a largement encouragé Obama depuis sa première campagne, moment où il s’est imposé aux yeux du monde comme un potentiel « president pop ». Nice brother diront certains.
Car après l’ère Georges W. Bush, si aride d’un point de vue culturel et intellectuel, Obama a inauguré une autre forme de pouvoir où l’ignorance portée en étendard a été remplacée par une certaine « tyrannie du cool ». Tandis qu’en campagne en l’an 2000 son prédécesseur avouait n’avoir jamais vu Titanic et ne pas trop savoir qui était Leonardo DiCaprio, Obama, lui, de Miles Davis à Jay-Z, de Star Trek à The Wire, est passé maître dans l’art des clin d’œils appuyés à l’industrie culturelle américaine – quasiment toute entière dédiée à sa cause.
Birth of the Cool
2007 : alors que le monde fait connaissance avec le vainqueur des primaires démocrates, Barack Obama met les bouchées doubles pour faire bonne impression. En octobre, c’est dans l’émission ultra populaire d’Ellen DeGeneres qu’il devient en quelques pas de danse l’homme politique le plus « cool » du monde. Pas très difficile, certes.
Il est jeune, charismatique, a derrière lui un brillant parcours universitaire, une carrière professionnelle et politique exemplaires. Son sérieux et sa compétence ne sont plus à prouver. Reste donc à se forger une image à la hauteur de la rupture qu’il représente dans le paysage politique américain.
Dans cette perspective, sa première campagne est un show ultra-millimétré en termes de distinction. Entre deux déclarations politiques, Barack Obama pose pour et avec le photographe trasho-branchouille Terry Richardson et fait la couverture du magazine Vibe (créé par Quincy Jones et consacré à la musique dite « noire américaine ».)
Toujours prêt à parler de musique, le démocrate met lourdement en avant son admiration pour Jay-Z et Miles Davis sans oublier de citer Springsteen ou Sinatra. Avec le candidat Obama, c’est tout un pan de la culture américaine, méprisé sous George W. Bush, qui se trouve légitimé. Les fautes de goût sont rares et même si personne n’est vraiment dupe du rôle prescripteur des conseillers en communication (rappelons-nous ici ce magnifique épisode impliquant DSK, Coltrane et Cauet), la chose ne semble pas tout à fait inauthentique pour qui s’est intéressé au parcours et à la vie de ce jeune gouverneur, ne serait-ce qu’en lisant Les rêves de mon père, son autobiographie sortie en 1995. Comme le note Steven Spielberg, la première campagne d’Obama ressemble à une année faste de groupe de rock (avec un peu moins de drogue probablement). L’icône Obama (dont la représentation par Shepard Fairey se rapproche d’ailleurs des icônes orthodoxes traditionnelles) devient alors logiquement Président et s’engage dans un mandat politiquement très compliqué, sans pour autant oublier ses bonnes habitudes en termes d’image.
Chef des armées d’un pays en guerre et gentil papa
Après avoir ordonné la fermeture (avortée depuis) de Guantanamo, signé et promulgué un gigantesque plan de relance économique de 787 milliards de dollars, appelé à « un nouveau départ entre le monde musulman et les Etats-Unis » (en débutant son discours du Caire par un « salam aleikoum » bienvenu), début juin 2009, Barack Obama est la guest star du Colbert Report, une émission satirique américaine vedette de Comedy Central alors délocalisée à Bagdad. Interrompant par un message vidéo simulant un dialogue en temps réel la conversation entre l’animateur et le chef des forces en Irak, le Président des Etats-Unis se prête au jeu, apostrophe Colbert sur sa coiffure et se moque de lui-même en comparant ses grandes oreilles à un équipement espion satellite de pointe.
Alors que les intentions d’Obama sur le terrain sont loin de satisfaire ceux qui espéraient un retrait des troupes en 2010, Obama, chef des armées d’un pays en guerre, n’hésite pas à participer à des blagues sur la moustache des irakiens. Le tout devant un parterre de militaires américains riant à gorge déployée.
En septembre 2009, le compte Flickr de la Maison Blanche, formidable organe de propagande-sympa, publie une photo de Sasha Obama discrètement cachée derrière le gros canapé du bureau ovale.
La cliché familial fait le tour du monde et en rappelle un autre : celui de John John en 1963, le fils de John Fitzgerald Kennedy jouant sous le bureau de son père en plein travail. Depuis, d’autres photos au potentiel viral et affectif ont suivi :
Barack Obama avec un petit garçon qui veut savoir si ses cheveux sont comme ceux du président, Barack Obama avec un mini spider man, Barack Obama avec un sabre laser, Barack Obama surjouant pour des enfants Where the Wild Things Are…
Obama joue avec les mythes pop américains tout en construisant le sien…
Des plumes politiques aux auteurs de comédie
Avant même l’apparition de Barack Obama au premier plan de la scène politique, l’idée d’un président noir était omniprésente dans la pop culture américaine, de la littérature (Irving Wallace, Philip K. Dick), au cinéma (Le Cinquième élément, Deep Impact) en passant par les séries. Dans 24, c’est Dennis Haysbert qui joue ce rôle, qui selon lui « pourrait avoir ouvert les yeux, l’esprit et le cœur des gens ». Des séries à la vie et vice versa. La meilleure série américaine du moment ne serait-elle pas celle qu’Obama nous donne à voir ?
Fait intéressant : à côté des habituelles plumes à la formation essentiellement politique, Barack Obama convoque des auteurs de comédies – certains de ses collaborateurs n’hésitant d’ailleurs pas à démissionner pour entamer une carrière à Hollywood.
En avril 2011, quelques heures avant d’annoncer solennellement la mort de Ben Laden devant plus de 5 millions d’américains, Barack Obama est sur la scène du diner annuel des correspondants. Un événement incontournable en Amérique, lors duquel le président doit traditionnellement faire un discours « drôle » – on se souvient par exemple de George Bush se moquant de lui même avec un sosie en 2006 ou de Bill Clinton faisant implicitement référence à la procédure d’impeachment suite à l’affaire Lewinsky.
Si l’exercice était plutôt exceptionnel pour ses homologues (qui n’ont cependant jamais rechigné à faire appel à des plumes humoristiques), Baracko, lui, donne un numéro digne d’un late-show tout en restant dans la lignée de son image et du ton, entre autodérision et grosse punchline qui tache, qu’il a souvent l’habitude d’employer. Rien d’étonnant à cela : l’auteur du discours en question est Kevin Bleyer, un scénariste de Comedy Central (The Daily Show with Jon Stewart) qui collabore régulièrement avec l’équipe démocrate depuis 2008…
La prestation d’Obama est bourrée de références pop-culture digne d’une émission satirique, genre dont est friand une certaine part de l’Amérique – celle dite « elitist, east coast, alternative, intellectual, leftwing », en opposition directe avec l’Amérique profonde de Fox News.
Pour preuve : quand Obama fête son cinquantième anniversaire à la Maison Blanche en août 2011, invitant quelques soutiens et amis, un site de Fox News n’hésite pas à parler de « Hip Hop BBQ » ( « barbecue hip hop »).
De la pop culture à la trash culture
Durant la campagne qui l’a opposé à Mitt Romney les choses ont pris un tour sans précédent. Après quatre usantes années au pouvoir, Obama a dû ratisser large. En s’affichant par exemple avec des personnalités ultra populaires (Jay-Z et Beyoncé en tête mais l’on peut aussi citer par exemple Samuel L. Jackson, Scarlett Johansson ou George Clooney) qui n’ont pas hésité à faire campagne pour lui. Ou en allant un peu trop loin dans la blague référencée, jusqu’à se jeter dans la trash culture la plus crasse.
A Cleveland, pour résumer les idées politiques de son adversaire en termes de fiscalité, Barack Obama balance « C’était comme Danse avec les stars, ou peut être était-ce Relooking extrême ? ». Un clin d’œil à des émissions télé très grand public où il est question de relooker des maisons ou, pire, des humains. Dans la même veine, le président des Etats-Unis multiplie les interviews à des titres comme People ou Glamour, apparaît sur Entertainment Tonight et donne son avis sur le clash qui oppose les chanteuses Mariah Carey et Nicki Minaj.
« Les politiques ont d’abord travaillé pour afficher leur sérieux, citant les livres qu’ils avaient lus. Maintenant ils sont plutôt susceptibles d’affirmer leur bêtise », écrit à ce propos un éditorialiste du New York Times.
S’il s’agit évidemment de se montrer proche du peuple, loin de l’idée d’une éventuelle élite déconnectée, il est aussi question d’une Amérique qui, faute d’un réel patrimoine historique, de sa propre légende des siècles, se raconte sa propre histoire, érige sa mythologie. Mythologie qui passe évidemment par la culture pop dans ce qu’elle a de meilleur comme de pire.
S’il use et abuse du soft power, Obama semble n’avoir même pas eu à se forcer. Se moquer de lui-même, distribuer les références populaires, attraper une mouche du premier coup pendant une interview, faire des discours dignes des meilleurs late shows tout en semblant rester authentique : voilà l’une des plus grandes réussites du mandat d’Obama et de son équipe de communicants.
Dans Apple, la Tyrannie du cool, très bon documentaire sur la firme de Cupertino, Tim Wu, conseiller d’Obama interrogé à titre d’observateur explique : « Ce qu’Hollywood a fait dans le cinéma, Apple l’a fait dans l’informatique en rendant ses machines faciles d’accès. » Le parallèle avec la stratégie de communication politique du président des Etats-Unis est évident.
Il ne faut pourtant pas oublier que, politiquement, les déçus d’Obama sont légion. Ses affinités avec les milieux financiers, l’absence de l’option publique dans la loi sur la réforme de l’assurance maladie, l’Afghanistan, les frappes de drones au Pakistan et au Yémen, la défense de l’extraction du gaz de schiste via la méthode très controversée du fracking, les nombreux compromis avec les Républicains.
Parfois, l’excès de « coolitude » est à double tranchant. En avril dernier, Obama recevait dans le Bureau ovale Nichelle Nichols aka Uhura dans la saga Star Trek. Tous deux, dans un même mouvement d’allégresse, posent en faisant le fameux salut vulcain. Au contraire de François Fillon qui, en 2009, déclarait : “Je suis un vrai geek” (au motif qu’il possédait un Nokia, un Mac et un iPhone), Baracko peut réellement se targuer d’une solide culture en la matière, qui englobe un univers fait de comics, romans, films et séries. En 2009, Barack Obama s’était même fait adouber en tant que “First Nerd President” par John Hodgman, icône underground du genre (auteur, acteur et monsieur PC des pubs Apple). Ce dernier s’était alors félicité qu’après George W. Bush, un vrai nerd capable de défendre la science et le progrès, de “questionner la réalité”, “d’appréhender la complexité des choses tout en gardant une certaine objectivité” et une certaine modestie soit élu à la tête du pays. Rien que ça.
Cela dit, faire le salut vulcain à la Maison Blanche revient à tendre le bâton pour se faire battre. Car à des années lumière de la Fédération des planètes unies de Star Trek (société utopique fondée sur une économie de l’abondance où le travail et le commerce ne sont pas nécessaires et où l’argent n’existe plus), Obama, qui dénonçait jadis une “victoire majeure pour les multinationales du pétrole, les banques de Wall Street (…) et les puissants intérêts qui mobilisent leur pouvoir tous les jours à Washington pour étouffer la voix des Américains ordinaires”, a finalement accepté ce mode de fonctionnement face à des opposants républicains réunissant de plus en plus de fonds. Un peu comme un vieux groupe de rock aujourd’hui jugé « commercial » et qui vend ses tickets de concert bien trop cher.
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