Dans un climat de tensions politiques de plus en plus aigües, l’administration Obama « déclare la guerre » à la chaîne de télé conservatrice Fox News, qu’elle accuse d’être source d’informations mensongères et/ou complètement biaisées.
La première bombe est lâchée le 8 octobre par la Directrice de communication de la Maison Blanche, Anita Dunn : « Fox News, c’est du journalisme d’opinion qui se fait passer pour de l’information. Ils font ça pour booster leur audience. Mais ça ne veut pas dire qu’on va rester sans rien faire. » Cette déclaration, appuyée depuis par des conseillers éminents de l’administration Obama comme David Axelrod et Rahm Emanuel, fait suite au refus du président américain de participer, le 20 septembre, à l’émission du dimanche matin sur Fox – alors qu’il venait de multiplier les apparitions sur plusieurs autres chaînes de télévision. Elle illustre ainsi la récente stratégie de riposte « agressive » lancée par la Maison Blanche à l’encontre de Fox. Excédée par le manque d’objectivité flagrant de la chaîne, notoirement conservatrice, et par une série de « mensonges » purs et simples datant (au moins) de la campagne présidentielle de l’année dernière, la Maison Blanche contre-attaque : Dunn y va franchement, en affirmant que, puisque Fox semble de toute évidence vouloir « faire la guerre » à Obama, ce dernier n’a aucune raison de ne pas considérer la chaîne comme un « adversaire » politique à part entière.
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Il n’en fallait pas tant pour que les gros noms de Fox, le provocateur vedette Glenn Beck en tête, ne s’excitent de cette soi-disant « déclaration de guerre ». Il suffit de regarder la vidéo de Beck annonçant la « nouvelle » lors de son émission au titre sournoisement populiste, « We the People » (3 millions de téléspectateurs, quand même), pour constater combien il se délecte de la polémique. Ce qui amène beaucoup d’observateurs démocrates, dans le New York Times et sur le site HuffingtonPost.com notamment, à se demander si Obama ne se plante pas un peu en jouant le jeu de la critique incendiaire, auquel Fox News est excellemment bien rôdée. En « perdant son sang froid », la Maison Blanche n’est-elle pas en train de conforter Fox dans un rôle d’opposant numéro un qui lui va comme un gant ? Comme le résume Jason Linkins dans un édito sur le Huffington Post, Fox est aujourd’hui trop bien ancrée dans le paysage politique clivé des Etats-Unis pour qu’Obama espère la déstabiliser : à travers son parti-pris, la chaîne alimente sciemment le dédain des « libéraux », sachant pertinemment qu’en confortant les conservateurs dans leur vision du monde, elle s’assure une audience stable. Pire, d’après Rupert Murdoch, propriétaire de Fox News, les déclarations d’Anita Dunn n’auraient contribué qu’à augmenter l’audience de la chaîne. [Voir la vidéo]
Quelles sont alors les motivations qui poussent aujourd’hui Dunn, Axelrod et consorts à choisir l’option de la confrontation directe ? Les plus cyniques des commentateurs américains, tous bords confondus, y voient une tactique pour détourner l’attention des difficultés politiques croissantes que rencontre actuellement le président, malmené dans ses projets de sécurité sociale et de lutte contre le réchauffement climatique, en sapant un peu plus les bases du conservatisme et en ralliant le camp démocrate autour d’un nouvel ennemi commun. Mais dans un climat de crispation partisane de plus en plus hystérique – bien illustré par le « Tea Party Movement », sorte de pot-pourri idéologique mêlant anti-étatisme et conservatisme économique, organisateur d’importantes manifestations anti-Obama tout au long de l’année – il est clair qu’on peut se demander si la stratégie de la Maison Blanche est vraiment la bonne.
Pourtant, le combat de l’administration Obama est légitime. Fox News, malgré son slogan, « Fair and balanced news » (Des infos impartiales et équitables), porte assez mal son nom, tant l’information qui y est présentée flaire la mauvaise foi idéologique. Certaines émissions phares de la chaîne, comme celle de Glenn Beck, s’apparentent même à une désinformation franchement hallucinante. En maniant – avec un certain brio malsain – une rhétorique lapidaire, des symboles douteux mais lourds de sens, et un sérieux ultra-convaincant, Beck se nourrit de la masse de préjugés et d’ignorance que l’on trouve encore dans toute une catégorie de la population américaine, pour entretenir des haines et des peurs aussi efficaces qu’irrationnelles. On peut ainsi trouver dans son émission des accusations de complot communiste qu’on croirait échappées d’un discours du sénateur McCarthy circa 1950 (il compare la position d’Obama en faveur du volontariat à une résurrection de la dictature maoïste…), au milieu d’accusations encore plus aberrantes – Obama serait par exemple un « raciste », et la gauche progressiste un ramassis de « propriétaires d’esclaves ». [Voir la vidéo]
Si Fox se défend en revendiquant, comme beaucoup de médias, un service d’opinion en complément – mais bien distinct, donc – de son service d’information, même ce dernier nous laisse dubitatif. On ne compte plus aujourd’hui les exemples d’information lacunaire, voire carrément déformée, relayée par les journalistes de la chaîne. Lacunes et déformations qui jouent, bien entendu, en défaveur d’Obama et de son administration, le plus souvent. De plus, quand Anita Dunn accuse Fox News d’être le service de com’ du Parti républicain, elle n’a littéralement pas tort : le site Mediamatters.com relève, par exemple, qu’une « enquête » de la chaîne sur l’évolution du projet démocrate de relance économique n’était en fait qu’une reprise, mot pour mot et fautes de frappe incluses, d’un pamphlet rédigé par des parlementaires républicains.
Face à cette situation, évidemment, difficile pour un gouvernement – et surtout un gouvernement de plus en plus contesté, comme l’est aujourd’hui celui d’Obama – de rester les bras ballants. L’enjeu est d’autant plus important que, selon un sondage du Pew Research Center (septembre 2009), plus de 70% des citoyens américains avouent recevoir leurs informations principalement de la télévision. Ainsi, même si la sortie de la Maison Blanche contre Fox News est certainement un peu maladroite, et si elle ne suffira manifestement pas pour discréditer cette chaîne conservatrice encore trop influente, elle a au moins le mérite d’attirer l’attention sur un problème mine de rien extrêmement préoccupant. Il est possible d’espérer, en tout cas, que le message d’Anita Dunn sera entendu par la part la plus modérée et non-partisane de l’audience de Fox, évitant ainsi à l’actuelle vague ultra-conservatrice de prendre une ampleur toujours plus grande et de devenir, du même coup, complètement ingérable.
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