Un documentaire en cinq parties, O. J. Simpson: Made in America, retrace les étapes de la vie du footballeur américain. Du sportif flamboyant à l’homme soupçonné d’assassinats, du Noir qui refusait de l’être au cogneur de femmes, un condensé des schizophrénies états-uniennes.
Pour essayer de comprendre l’ampleur et la folie de l’affaire O. J. Simpson du point de vue français, il faudrait inventer une improbable fiction, imaginer une icône sportive d’un statut comparable à celui de Zinedine Zidane chuter de son piédestal et se retrouver accusée d’un double meurtre atroce entraînant tout le pays devant ses écrans, pour suivre le procès criminel du siècle.
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Mais les limites de l’analogie surgiraient très vite, des clefs de compréhension manqueraient, puisque l’aventure racontée par cette affaire hors-normes des nineties n’est rien moins qu’une opération à cœur ouvert de l’Amérique des cinquante dernières années. Une opération sanglante, stupéfiante et pas forcément réparatrice.
Cinq épisodes de plus d’une heure trente chacun
Il fallait un objet télévisuel monstre pour raconter cela. Après la fiction American Crime Story: The People v. O. J. Simpson (créée par Ryan Murphy) qui se concentrait sur le procès, voici une série documentaire souvent ahurissante produite par la chaîne sportive ESPN et réalisée par Ezra Edelman.
Constituée de cinq épisodes de plus d’une heure trente chacun, captivants à chaque seconde, elle ne s’appelle évidemment pas O. J. Simpson: Made in America par hasard. Il s’agit ici de scruter et d’analyser la construction d’un homme sur plusieurs décennies, sa transformation perpétuelle en image exploitable – y compris et surtout par lui-même –, dans des proportions alors inédites à la fin du XXe siècle.
En 1967, Guy Debord publie La Société du spectacle. C’est à cette époque que le surdoué Orenthal James Simpson surgit sur sa première scène, celle du football américain. Recruté par une fac ultrariche de Los Angeles, il bat tous les records d’élégance et d’efficacité, remportant le trophée individuel le plus convoité du pays, avant de commencer une carrière pro de dix ans.
L’irruption dans le champ des images d’un corps presque irréel
Alternant archives et paroles d’intervenants, le documentaire raconte d’abord cette irruption dans le champ des images d’un corps presque irréel à force de vitesse et de grâce. Sublime, O. J. Simpson était forcément sublime, racontent ceux qui l’ont croisé sur un terrain ou regardé le dimanche à la télé.
Une autre scène s’est ouverte en parallèle, à Hollywood et dans la pub. Acteur limité mais persévérant, Simpson a participé à une flopée de séries et de films, dont La Tour infernale (1974), tout en menant une carrière d’homme-sandwich dans des spots télé, notamment pour Hertz et Chevrolet, deux marques symboles de l’Amérique capitaliste blanche.
Une incarnation de la question raciale en Amérique, dans toute sa schizophrénie et sa violence
Ezra Edelman montre avec acuité la première fracture de la vie de celui qui sera accusé du meurtre de son ex-femme Nicole et d’un ami de celle-ci, Ronald Goldman, sauvagement tués à coups de couteau une nuit de juin 1994 : “The Juice”, comme l’appellent ses admirateurs, incarne la question raciale en Amérique, dans toute sa schizophrénie et sa violence.
Ignorant les revendications politiques de Martin Luther King ou des Black Panthers, entouré d’amis blancs, quittant sa première femme noire pour la blonde Nicole, Simpson a tout simplement “refusé” d’être noir, acceptant un rôle mensonger que le pouvoir et l’élite blanche adoraient : celui d’un homme transcendant l’appartenance communautaire au moment même où l’Amérique postségrégationniste réalisait que rien n’était réglé. “Je ne suis pas noir, je suis O. J.”, disait-il quand on lui demandait de soutenir les athlètes au poing levé de Mexico.
Des émeutes de Watts en 1965 au tabassage de Rodney King en 1991, les Etats-Unis et Los Angeles ont particulièrement souffert d’une culture étatique et policière raciste et violente envers les Noirs – une culture qui n’a pas disparu, comme le prouve l’essentiel mouvement Black Lives Matter. Simpson a survolé cette réalité avant d’en profiter.
Un corps finalement sans couleur…
Une séquence géniale de O. J.Simpson: Made in America montre comment, dans les années 1970, une publicité pour un loueur de voitures “effaçait” toute présence de figurants et autres personnages noirs pour faire de l’athlète-icône une exception dans un paysage 100% blanc – un corps finalement sans couleur.
Ce motif d’un homme si visible par sa célébrité qui rend en même temps invisible sa couleur de peau l’a poursuivi jusqu’à sa troisième scène majeure : le tribunal. Mais dans l’autre sens. Alors que tous les indices montrent que O. J. Simpson a commis les crimes dont il est accusé, il décide avec ses avocats de jouer la “carte raciale”, allant jusqu’à redécorer sa maison avec des photos le montrant en compagnie d’Afro-Américains. Il finit par obtenir en 1995 un acquittement applaudi par des foules en grande majorité noires, assurées d’avoir trouvé là un héros et une vengeance après tant d’injustices.
De héros, il n’y avait pourtant pas. Aujourd’hui détenu au Nevada pour une rocambolesque attaque à main armée après avoir été condamné au civil pour l’affaire de 1994, O. J. Simpson est un paria. Implacable, ce documentaire révèle surtout une autre scène, moins connue, intime et dépourvue de théâtre celle-là. Et montre que la minorité rendue invisible dans cette histoire est aussi celle des femmes victimes d’hommes violents.
O. J. Simpson: Made in America dresse en détails le portrait d’un homme possessif et abuseur dès son premier rendez-vous avec Nicole Brown, la battant à de multiples reprises, obsédé par sa virilité après avoir appris l’homosexualité de son père parti du foyer familial quand il avait 4 ans. Un symbole du sexisme violent et pathétique. Un putain d’American psycho qui a gâché son génie et détruit des vies.
O. J. Simpson: Made in America série documentaire en cinq épisodes d’Ezra Edelman, les 7 et 8 juillet, 20 h 50, Arte
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