Les uniformes ultrafonctionnels et pointus de ces livreurs deux-roues racontent un corps tout-terrain, prêt à affronter un monde précaire.
Samedi soir, Solène, 23 ans, enfile un coupe-vent technique et un grand sac à dos assorti. Toute de noir et vert d’eau vêtue (photo), elle quitte son immeuble et enfourche son vélo (assorti lui aussi) vers une destination mystérieuse : le canal Saint-Martin, un rencard Tinder, une squat party porte de Pantin ? Plus tard peut-être.
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Pour l’heure, elle a une pizza figue-mascarpone à livrer. Car cette tenue venue d’un futur proche est en fait l’uniforme étonnamment up to date des livreurs de Deliveroo, la start-up britannique implantée en France depuis avril 2015, qui se vante de vous apporter à domicile les plats des meilleurs restaurants de Paris.
Un rapport structurel à la nourriture
Dans un secteur où la concurrence s’intensifie ces derniers mois (Take Eat Easy, Foodora…), ce genre de service, aussi simple qu’il puisse paraître, est une petite révolution sociologique en France.
Si l’Amérique a adopté depuis des lustres des pratiques alimentaires comme le take out (emporter), le order in (se faire livrer) et le doggy bag (emporter les restes chez soi), l’Hexagone a un rapport plus structurel à la nourriture. Chez soi, on cuisine. Dans un restaurant, on commande.
Porosité périlleuse
Se faire livrer fut longtemps perçu comme l’aveu de l’échec d’un certain standard domestique, et la mise en danger d’un savoir-vivre ancestral : on mange avec des couverts en plastique, dans des plats en carton qu’on jette avec les restes.
Des services comme ceux de Deliveroo proposent de combler l’absence de rite du order in et de minimiser cette porosité périlleuse entre intérieur et extérieur.
Ultramobile et empressé
Et cela commence par le vêtement : dans sa tenue noire (comme un garçon de café) et verte (comme un champion du Tour de France), Solène compense l’absence de services habituellement trouvés dans un restaurant, en revêtant à la fois les atours de l’obligeance et de la modernité.
Le résultat est un chic qui pourrait sortir tout droit d’un catwalk Y-3 : efficace, ultramobile et empressé.
A toute allure
Tenue adaptée, car ces livreurs so smart (ou plutôt, “partenaires bikers”) mènent des vies multiples, voire schizophréniques : ils jonglent souvent entre vie d’étudiant ambitieux, babysitter occasionnel, chauffeur de Heetch à leurs (rares) heures perdues – cumulant emplois éphémères et statuts différents dans une même journée.
Quant à leurs leggings antitranspirant, ils amortissent le coup de chaud d’un quotidien incertain mais vécu à toute allure.
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