Ce 31 mars après la manifestation contre la loi El Khomri, une partie des manifestants a occupé la place de la République à Paris. L’embryon d’un mouvement de type « indigné » ?
Il pleuvait dru ce 31 mars à Paris, mais les manifestants contre la loi El Khomri n’ont pas été sensibles aux gouttes d’eau glacées qui coulaient sur leurs visages. En fin de défilé, les murs du boulevard Diderot, près de la place de la Nation, étaient constellés de tags rouges évocateurs : « Il pleut des perles d’espoir ».
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« Il pleut des perles d’espoir » #greve31mars pic.twitter.com/VbI2QDke8p
— Mathieu Dejean (@Mathieu2jean) 31 mars 2016
La suite a prouvé que le mauvais temps n’avait pas douché l’enthousiasme des participants.
« On se pose, on discute »
Depuis des jours, un appel à ne pas rentrer chez soi après la manifestation et à occuper une place avait été lancé, sous le label « Nuit debout ». « Le 31 mars on se pose, on discute et on décide ensemble des actions à mener pour faire de la Nuit Debout le début d’un mouvement citoyen », lisait-on, dans un style rappelant le film L’An 01, tiré de la bande-dessinée de Gébé. L’idée a émergé lors d’une réunion à la Bourse du travail de Paris fin février, accompagnant la sortie du film réalisé par François Ruffin, rédacteur en chef de Fakir, Merci Patron !
Vers 17h30, à Nation, au micro d’un sound system défiant l’averse, un appel à rejoindre la place de la République pour l’occuper est lancé. Les derniers manifestants évacuent dans le calme la place encerclée de policiers, pour resurgir quelques stations de métro plus loin, à République.
Ça appelle à aller à Répu pour #NuitDebout malgré la pluie et la police omniprésente #greve31mars pic.twitter.com/K1xnpWFCdp
— Mathieu Dejean (@Mathieu2jean) March 31, 2016
Des Indignés à Occupy Wall Street, en passant par les ZAD
L’ambiance n’est pas sans rappeler celle du mouvement des « Indignés » en 2011. Sous quelques bâches, des citoyens conversent en déballant des piles du journal Fakir. Entre deux arbres, un fil a été tendu pour mettre en avant des affiches du collectif Convergence des luttes, dont l’une enseigne les gestes à utiliser en AG géante pour une communication plus efficace – les mêmes gestes qui étaient utilisés sur la place de la Puerta del Sol, à Madrid.
Ici, pas de drapeaux ni de logos, l’heure est au rassemblement le plus large possible. Cette fédération inédite semble se nourrir de toutes les expériences de contestation non conventionnelles récentes : des Indignés à Occupy Wall Street, en passant par les ZAD (zones à défendre).
« Les indignés, c’était le modèle revendiqué par les organisateurs, qui avaient aussi la volonté de copier le mouvement des places, relate Jonathan Duong, journaliste à Là-bas si j’y suis, présent sur place jusqu’à 22h. Avec la difficulté qu’il a beaucoup plu, et que l’Espagne a une expérience des squats et des occupations plus ancienne et plus organisée que la nôtre ».
A l’abri d’une bâche, une AG se met en place. Un mégaphone circule entre les mains, pour discuter de l’après-31 mars.
Une AG se met en place. Thèmes abordés: désobéissance civile, monnaie locale, après #greve31mars pic.twitter.com/XaU88Fwvco
— Mathieu Dejean (@Mathieu2jean) March 31, 2016
Frédéric Lordon harangue la foule
Vers 19h, alors que la place grouille de monde, l’économiste et philosophe Frédéric Lordon, soutien du mouvement social depuis ses balbutiements dans les AG universitaires, prend la parole depuis une scène devant ces réfractaires bien décidés à rester éveillés. A l’instar de Bourdieu en 1995, il reprend le flambeau de l’intellectuel engagé, haranguant la foule :
« Voilà comment le pouvoir tolère nos luttes : locales, sectorielles, dispersées et revendicatives. Eh bien pas de bol pour lui, aujourd’hui nous changeons les règles du jeu ! […] Nous les lui annonçons globales, universelles, rassemblées et affirmatives. On ne remerciera jamais assez la loi pour nous avoir redonné deux choses que nous avions oubliées depuis trop longtemps : le sens du commun et de l’affirmation ! », tonne-t-il sous les acclamations.
Suite à cet appel à l’insurrection, intimant le mouvement à « imaginer la catastrophe », au sens de renversement de l’ordre néolibéral, un concert a animé la soirée, ainsi qu’une projection de Merci patron!. « Il y avait quelques milliers de personnes. Tout le mouvement social était réuni, ce qui n’était pas arrivé depuis longtemps », estime Jonathan Duong.
Un mouvement qui ne fait « que commencer »
Les quelques irréductibles qui sont restés pour occuper la place se sont fait cueillir par les forces de l’ordre au petit matin, vers 5h du matin. Ils ont été évacués, mais appellent à revenir, à 18h ce 1er avril.
Evacuation, CRS casqués vs manifestants mains en l'air #NuitDebout pic.twitter.com/gTaixGtZjI
— Nuit Debout ⏚ (@nuitdebout) April 1, 2016
“Si ce monde va aussi franchement et volontairement à sa perte, autant qu’il y aille vite pour en vivre au plus vite le remplacement. Et il convient même de l’aider chaque fois que cela s’avère possible”, écrivait le philosophe Jean-Paul Curnier dans Prospérités du désastre. Les rêveurs éveillés de la Nuit debout ont bien l’intention de prêter main forte à la « catastrophe ».
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