En Alsace, la centrale de Fessenheim cristallise l’attention des anti-nucléaires français, suisses et allemands depuis la catastrophe de Fukushima. Les mois d’avril et mai devraient apporter des réponses quant à la poursuite de son activité.
S’imaginer que ce qui est arrivé ailleurs peut arriver en France est une grande manie hexagonale. La catastrophe de Fukushima a réveillé les ardeurs de manifestants anti-nucléaires, et questionne l’avenir de Fessenheim.
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Active depuis 1977, la plus vieille centrale du parc nucléaire français, tenue par EDF, est assise sur une faille sismique et se situe en contrebas du Grand Canal d’Alsace. Dans la tête des anti-Fessenheim, le spectre d’un tremblement de terre, couplé à celui d’une inondation est plus que jamais présent.
« Aujourd’hui on ne sait pas si les failles peuvent générer ou non un séisme et surtout de quelle magnitude« , explique le sismologue Antoine Schlupp.
Auparavant, les politiques s’étaient déjà prononcés sur la question. Le 29 mars, le conseil régional de Franche-Comté adoptait une motion demandant la fermeture de Fessenheim. Le lendemain le canton du Jura Suisse exigeait la fermeture du site nucléaire, tout comme les cantons de Bâle-Ville et Bâle-Campagne (en Suisse) avant lui. La question avait déjà été abordée au Parlement Européen le 7 avril. La municipalité de Strasbourg s’est quant à elle prononcée le 12 avril pour la fermeture du site d’EDF.
Toutes ces prises de position viennent surtout appuyer une première plainte déposée par l’association TRAS-ATPN (Association Trinationale de Protection Nucléaire-allemande, suisse et française) contre EDF devant le tribunal administratif de Strasbourg, qui avait rejeté leur demande de fermeture de la centrale, le 16 mars.
Le expertises alimenteront le contentieux
L’association, qui n’a toujours pas fait appel, a jusqu’au 9 mai pour y procéder.
« Bien sûr, nous allons faire appel. Nous avons encore du temps et il joue en notre faveur pour constituer un dossier plus solide », explique Corinne Lepage, avocate de l’association, et ancienne Ministre de l’Environnement.
Contactée par les Inrocks, elle entend « s’appuyer sur ce qui s’est passé à Fukushima. La similitude sur plusieurs points avec la centrale de Fessenheim justifie cet appel« (lors du premier jugement, l’argument de la catastrophe japonaise n’avait pas été mis en avant puisqu’elle n’avait pas encore eu lieu au moment du dépôt de plainte).
Devrait aussi être intégrée au dossier d’appel, la visite décennale du lundi 18 avril. Comme le prévoit la loi, des experts indépendants statueront sur la prolongation de l’activité du réacteur numéro 2 pour dix ans. De son côté, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) doit aussi rendre un diagnostic de la centrale fin avril ou début mai.
Quel que soit son résultat, cette double expertise devrait alimenter le contentieux mené par l’association TRAS-ATPN. Trois hypothèses sont envisageables. Si l’ASN émet un avis favorable à la poursuite de l’exploitation de la centrale, assorti de prescriptions techniques ayant pour effet une modification notable de son fonctionnement, EDF devra engager une nouvelle procédure d’autorisation (accordée par les ministres français et les institutions communautaires concernés).
« La procédure, soumise à l’information et à la participation du public, est longue (au moins deux années), et peut naturellement nourrir un nouveau contentieux devant le juge administratif », décrypte Simon Williamson avocat en droit de l’environnement et droit de l’énergie.
Autre hypothèse, plus avantageuse pour EDF: l’ASN rend un avis favorable et émet de nouvelles prescriptions qui ne nécessitent pas la mise en œuvre d’une nouvelle procédure d’autorisation. Enfin, et c’est bien sûr l’objectif recherché par l’Association, les ministres de l’Ecologie et des Finances pourraient décider de son démantèlement, compte tenu du coût représenté par la mise aux normes de la centrale préconisées par l’ASN.
L’Allemagne a son mot à dire
En mars dernier, le tribunal administratif de Strasbourg avait pourtant déjà reconnu l’illicéité (contraire à la loi) des rejets chimiques dans l’eau du Grand Canal d’Alsace. En effet, EDF s’appuie toujours sur une autorisation datée de la construction de la centrale, l’autorisant à ne pas mesurer de tels rejets. Depuis, la loi sur l’eau datée de 1992 a été adoptée et le géant de l’énergie aurait dû s’y conformer.
« Les relevées des rejets chimiques sont vides. Il n’y a rien qui a été mesuré par l’entreprise », commente Corinne Lepage qui entend porter plainte sur ce point précis dans les semaines à venir.
Joint par les Inrocks, la direction de la centrale de Fessenheim n’a ni voulu commenter cet élément récemment mis en lumière, ni procéder à la communication de ses études relatives à ses rejets. La loi du 13 juin 2006 relative à la « transparence et à la sécurité en matière nucléaire » et la législation relative au droit à l’information en matière d’environnement, l’y oblige pourtant.
Pour obtenir l’arrêt de la centrale, l’association doit établir que la poursuite de son exploitation présente des risques graves pour la sécurité, la santé et la salubrités publiques, ou la protection de la nature et de l’environnement, et que sa mise aux normes ou la suspension de son activité ne permet pas de les prévenir ou de les limiter suffisamment. L’affaire s’annonce donc complexe, « mais laissez-moi vous dire que je suis tenace« , prévient Corinne Lepage.
Les associations plaignantes pourront par ailleurs compter sur l’appui allemand du Land de la Bade-Wurtemberg. Située à moins de deux kilomètres de Fessenheim, la région vient de passer à gauche, au main d’une majorité écologiste et socialiste. Le land allemand aura son mot à dire, puisqu’il détient près de 22% des parts de Fessenheim. La perspective de l’élection de Winfried Kretschmann (Verts) en tant que président de la région, devrait entraîner le retrait de la Bade-Wurtemberg du fonctionnement de Fessenheim. Un événement qui compliquerait l’avenir de la centrale car EDF serait cette fois-ci forcé de requérir une nouvelle autorisation auprès des autorités, afin de valider la venue d’un nouvel actionnaire.
Marc Mechenoua
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