Un an avant la présidentielle et alors que la concurrence est plus intense que jamais avec LCI gratuite et l’arrivée de France Info, la rédaction de la chaîne du groupe Canal+ s’enfonce dans le marasme.
Et si ceux qui en parlent le mieux étaient ceux qui l’avait quittée ? I-Télé est en crise. Et ses journalistes ne savent pas encore à quelle sauce Bollo ils vont être mangés. “En ce moment, c’est l’autogestion complète, jure un ancien ponte de la chaîne. C’est un navire sans capitaine, avec des gens qui sont là depuis longtemps et qui font tourner la boutique au quotidien. Mais la majorité ne savent pas ce qu’ils vont devenir.”
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Vincent Bolloré, qui a pris le contrôle du groupe Canal+ et cherche à faire des économies de tous côtés, va-t-il vendre sa chaîne d’information en continu ? Veut-il s’en servir pour asseoir son influence et satisfaire ses annonceurs ? Réussira-t-il à imposer Jean-Marc Morandini dans la tranche d’info 18 h/19 h ? Autant de questions qui inquiètent les salariés, qui savent que la chaîne n’est pas taillée pour assumer la concurrence, face à BFM notamment, mais aussi LCI ou la future France Info.
« Comme si on partait à la guerre avec un cure-dent »
“On est dans une guerre absolue avec la concurrence”, entame ainsi un rédacteur en chef. Depuis sa création, I-Télé a toujours eu une place à part, s’adressant particulièrement aux CSP+. “Aujourd’hui, la situation est absurde, poursuit le même. Les CSP+ veulent de l’économie et de la culture, précisément là où on est devenus faibles. C’est comme si on partait à la guerre avec un cure-dent. Le seul curseur de la direction, c’est la comptabilité. On a donné les clés du camion à des gens qui ne savent pas le conduire. C’est suicidaire.”
Tous ceux à qui nous avons parlé veulent rester anonymes. “La réalité, c’est que tout le monde cherche du boulot ailleurs. Mais dehors, il fait froid. C’est le chômage qui les attend.” Pendant ce temps, la rédaction web est l’une des plus petites de France, alors que la direction dit vouloir faire du numérique une priorité.
“Nedjar a été très maladroit. La grève est repartie de plus belle”
Moralement, la grève de la rédaction, débutée le 27 juin et qui a duré quatre jours, a laissé des traces. Elle a débuté un lundi. Le mardi, une réunion du comité d’entreprise en présence de Serge Nedjar et Guillaume Zeller, patrons de la rédaction, envenime les choses. “Nedjar a été très maladroit. La grève est repartie de plus belle.”
Mercredi, le directeur général des antennes de Canal+, Gérald-Brice Viret, rencontre une délégation. “Pour la première fois, quelqu’un a dit qu’on allait nous écouter, se remémore un membre de la rédaction. Personne ne l’avait fait jusqu’ici. Ça a dégonflé les choses.” Mais “la vérité, c’est qu’on a fait le deuil de certains combats, déplore un responsable. La grève a surtout eu deux vertus : fédérer une rédaction déjà assez soudée et montrer à la direction qu’on était capables de se mobiliser. Ça, c’est positif.”
« Une logique purement comptable »
Depuis la grève, Serge Nedjar, dont le bureau était situé au quatrième étage, s’est installé un bureau au milieu de la rédaction, au deuxième. Il a conservé celui du quatrième pour recevoir les huiles et tente, au deuxième, de parler au maximum avec ses subordonnés : “On sent qu’il est dans une démarche de conciliation et d’apaisement et ne se positionne pas comme un ennemi. Mais est-ce suffisant ?”, demande une salariée. “L’ambiance s’est calmée car tout ce que la direction avait promis a été respecté”, juge une autre, qui vient d’être titularisée.
Le premier plan prévoyait le départ de 50 personnes en contrats CDD ou CDD d’usage (sur 250 postes en interne) qui ne devaient pas être renouvelés. Une procédure d’indemnisation a été mise en route. Dix titularisations ont finalement été signées : “Avec les départs prévus, on ne pouvait plus faire tourner la chaîne, souffle une journaliste. Là, ça a permis de sauver l’édition car leur plan n’était pas viable.”
Plus étonnant, la direction a proposé à certains, venus chercher leurs indemnités, des contrats de trois mois. Ubuesque. “Quand Nedjar a dit qu’il n’allait pas renouveler cinquante CDD, on a halluciné puisqu’ils font tourner la maison ! La direction n’avait pas pensé à la suite. C’était une logique purement comptable”, raconte un présentateur.
“De toute façon, on n’a plus les moyens”
Désormais, l’inquiétude se concentre sur trois points, avant l’échéance du changement d’identité prévu à l’automne, qui sera primordiale : la viabilité de la grille de rentrée, la ligne éditoriale et l’arrivée de Jean-Marc Morandini. “Cette grille, c’est plus de pression pour tout le monde”, détaille un agent, même si celle-ci est moins ambitieuse et sera tournée avant tout vers de l’antenne, des interviews en plateau et moins de reportage. “De toute façon, on n’a plus les moyens.”
A la rentrée, la chaîne prendra l’antenne une heure plus tard et finira trente minutes plus tôt. “On a des trous terribles en matière de couverture. On entame une année présidentielle et il n’y a même pas une personne pour suivre chaque parti… alors qu’il en faudrait deux !”, estime un salarié.
“Fera-t-on des partenariats avec des administrations et de la pub implicite ? »
“La ligne éditoriale, c’est du pipeau, jure un chef. On fait du hard news ! Le vrai risque, c’est la porosité entre la régie et la rédaction.” Un temps, Nedjar (issu de Direct Matin) était pressenti pour porter les deux casquettes, à la tête de la rédaction et de la pub. “Fera-t-on des partenariats avec des administrations et de la pub implicite ? Il y a eu des ballons d’essai mais c’était grossier.”
Y aura-t-il des articles de commande ou des censures ? “En fait, on s’attend surtout à voir débarquer des artistes d’Universal pour des interviews, afin de favoriser ce qu’ils appellent la synergie du groupe Vivendi…”, souligne une journaliste.
Le doute Morandini
Autre élément important : selon nos informations, c’est Clélie Mathias, rédactrice en chef à la programmation, chargée de coordonner l’antenne et le digital, qui tient la corde pour reprendre la matinale laissée vacante par Bruce Toussaint. “Elle est charmante mais pas du tout au niveau, prévient un agent. Mais là encore, c’est le fait du prince qui domine : elle est proche de la famille Bolloré. Il n’y a aucune logique journalistique derrière.”
Enfin, l’affaire Morandini secoue encore I-Télé. “Quand l’info de son arrivée est sortie, c’était le 1er avril. Sur le moment, on a pensé que c’était un poisson. Et puis non…”, a-t-on pu entendre. La société des journalistes a envoyé un communiqué interne, expliquant qu’ils ne souhaitaient pas travailler avec l’ancien animateur de Tout est possible. “Je serais étonné qu’il soit à l’antenne”, prédit un responsable. Alors qu’il est visé par deux enquêtes judiciaires, Le Canard Enchaîné annonce qu’I-Télé aurait renoncé à le recruter…
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