Le 11 novembre 2015, Hadil, Adel et son frère Hussein arrivent en France après une épopée à travers la Syrie et l’Europe. La journaliste Célia Mercier retrace le périple de ce couple de jeunes Kurdes syriens.
Cela ressemble à une histoire de migration comme tant d’autres. Deux Kurdes syriens quittent leur pays en guerre, traversent la Méditerranée et découvrent la France. Et pourtant, ce récit laisse découvrir des personnages d’une épaisseur singulière, s’exprimant à la première personne. Nous voulons juste vivre donne à voir une geste familiale et communautaire, et retrace le parcours universel des demandeurs d’asile.
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Hadil et Adel se rencontrent dans un camp de réfugiés au Kurdistan irakien, en 2013. Mais leur sort se scelle presque 15 ans plus tôt, entre Damas et Qamishlo, deux zones syriennes où vivent des Maktoums, les Kurdes apatrides. L’histoire du pays est dense, sa géographie aussi. Pour mieux comprendre, le récit s’accompagne d’une carte de la région et de nombreuses notes explicatives.
Adel est originaire de Set Zaynab, près de Damas. Il grandit dans une famille kurde prospère mais illettrée : les Maktoums n’ont qu’un accès restreint à l’éducation, et pas d’existence politique et civique officielle. Adel a huit ans quand Hafez el-Assad meurt en juin 2000. Un couvre-feu est décrété, les portes repeintes en noir en signe de deuil. Pas celle d’Adel. Son père, qui soutient secrètement de grands leaders kurdes, se méfie du gouvernement et ne regrettera pas Assad qui n’a rien fait pour améliorer les conditions de vie des Maktoums. Jeune adolescent, Adel n’est pas encore politisé. Il sait juste que “le gouvernement empêche [les Kurdes] de réaliser [leurs] rêves.”
Pendant ce temps, au nord du pays, grandit Hadil. Née en 2000, elle ne vit pas vraiment les émeutes historiques de mars 2004 où Kurdes et forces de l’ordre s’affrontent après un match de football. C’est pourtant le début de fortes tensions politiques et économiques dans la région de Qamishlo. Sa famille fuit l’agitation et s’installe à Damas.
La migration comme projet de vie
Adel veut quitter la Syrie où sa communauté n’a pas d’avenir économique ou politique. “Pourquoi n’ai-je pas le droit de partir alors que je n’ai même pas d’existence légale ici ?”, se demande-t-il. 2011 : les révolutions en Tunisie et en Égypte influencent les Syriens qui demandent plus de démocratie. Adel ne se sent pas solidaire des Arabes qui manifestent car ils ne soutiennent par le combat kurde.
En 2011, le président syrien offre aux Maktoums un “cadeau empoisonné” qui change la donne. Ils vont enfin pouvoir acquérir la nationalité syrienne… À condition d’effectuer leur service militaire. Pour Adel, hors de question “d’aller tuer des innocents pour Bachar el-Assad”. C’est le déclic. Alors qu’il commence à manifester devant la mosquée après la prière, Adel est identifié par des agents du régime. Il est en danger et choisit de fuir avec un oncle en direction du Kurdistan irakien.
Hadil a alors 12 ans. Dans sa paisible région de la Ghouta ont lieu des enlèvements de jeunes filles et des explosions de voitures piégées. En mars 2013 la guerre civile s’aggrave. Hadil et sa famille doivent quitter le pays.
“Après la Grèce, tout ira bien”
C’est sur le camp de Domiz, “jungle urbaine improvisée”, au Kurdistan irakien, qu’Hadil et Adel vont se rencontrer, parmi les milliers de Kurdes syriens hébergés dans des tentes de fortune. Et se marier en août 2014, sans grande pompe. À deux heures du camp plane désormais la menace de l’Etat islamique qui a pris le contrôle de Mossoul depuis quelques mois. Hadil est choquée : “Je n’ai jamais entendu parler de cette organisation, mais très vite, des révélations, toutes plus atroces les unes que les autres, arrivent à mes oreilles”.
Il faut partir, quitter l’Irak. En août 2015, l’Allemagne d’Angela Merkel ouvre ses portes aux réfugiés. Les jeunes mariés préparent leur périple. Leur grande peur : la noyade en mer Méditerranée. Hadil ne cesse de se répéter : “Après la Grèce, tout ira bien.” Elle pense à la photo du petit Aylan Kurdi, retrouvé mort sur une plage. Le voyage commence, avec un groupe de dix Kurdes syriens dont une femme enceinte et des enfants. Les passeurs sont parfois véreux, les nuits courtes et la nourriture rare. La solidarité communautaire aide le couple à tenir au fil des étapes d’un voyage épique dont, depuis l’Europe, on entend beaucoup parler sans rien en connaître.
Turquie, Grèce, Slovénie, Macédoine peut-être ? Autriche… Et l’Allemagne, enfin, où ils songent à s’installer. Le temps de recevoir un appel alarmant de la sœur d’Adel. Depuis la ville de Brême où elle vit depuis 4 ans, elle les dissuade de rester : “Il n’y a pas de place pour vous ici, les gens en ont assez des réfugiés… ne restez pas dans ce pays !” Mais où aller, alors ? Adel tranche naïvement en faveur de la France, la veille du départ, en tapant simplement “accueil réfugiés” dans le moteur de recherche de son téléphone.
Sains et saufs
Avec 20 euros en poche, Hadil, Adel et son petit frère Hussein prennent un train pour Paris. Ils s’attendent à un accueil chaleureux de la part des ONG locales. À l’arrivée, personne sur le quai. Hadil a la gorge nouée : “Personne ne nous attend ici”. La famille dort dans un jardin public pendant une semaine. Ils sont invisibles, les employés de mairie ne comprennent pas l’arabe, et Paris semble sans ressources. Et pour cause : ils ne sont pas à Paris mais à Juvisy, dans la grande couronne, comme leur apprend Kawa, un Kurde syrien installé en France depuis sept ans.
La fameuse solidarité kurde va une fois de plus leur venir en aide. Kawa a un réseau et se rapproche de l’ancien maire de la ville. Celui-ci dirige la famille vers les Charles et Elizabeth Condamines, retraités membres de l’association d’aide aux réfugiés de la ville. Pendant plus d’un an, ils vont accompagner Adel et Hadil dans leurs démarches administratives. Ils les hébergent, leur apportent un soutien affectif et linguistique. Ce travail bénévole, ils l’effectuent au nom d’une solidarité citoyenne que, selon eux, l’État contrarie. “On voudrait décourager les demandeurs d’asile et en particulier les mineurs qu’on ne s’y prendrait pas autrement”.
Le récit s’achève sur la naissance de Berivan, le premier enfant d’Adel et Hadil. Hadil l’a mise au monde pendant son année de 3e au collège Delalande de Juvisy, où elle apprend le français. La petite fille est le symbole du nouveau départ de la famille Al Hussein. Adel conclut ainsi : “Elle ira à l’école, elle grandira dans un pays en paix. Je sais que la Syrie, notre pays, ne connaîtra pas la paix avant un long moment. Nous verrons bien si le destin nous invite à retourner chez nous un jour.”
Hadil et Adel Al Hussein avec Célia Mercier, Nous voulons juste vivre, éditions Flammarion, 2018, 215 p., 19,90€
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