Un documentaire, riche des témoignages de cinquante familles, retrace l’histoire du mouvement ouvrier en France de 1945 à aujourd’hui.
Le 11 mai 1981, au lendemain de l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, les premières voitures produites à l’usine Peugeot de Sochaux sont uniformément rouges. La classe ouvrière a voté à 70 % pour “Tonton”, et elle a le sentiment que le peuple de gauche a gagné. “Je ne dirai pas que c’était le grand soir, mais c’était le grand jour”, sourit Camille Dufour, ouvrier et maire du Creusot (de 1977 à 1995) dans Nous, ouvriers, un documentaire en trois parties de Claire Feinstein et Gilles Perez, qui explore l’histoire du mouvement ouvrier en France de 1945 à nos jours.
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La clope au bec, de sa voix gouailleuse, Christian Corouge, ouvrier spécialisé à l’usine de Sochaux, se souvient d’avoir été plus sceptique : “Pour l’instant, on fait la fête, mais dans deux ans on se tape dessus. On vous connaît, pour la trahison, vous êtes les premiers.” Le tournant de la rigueur confirme son mauvais pressentiment.
Un monde sous un monde, en perte de repères et d’identité
Depuis, la désindustrialisation a frappé, dévastant des régions entières qui ne reposaient que sur un secteur d’activité, et les ouvriers sont tombés dans l’oubli. Un monde sous un monde, en perte de repères et d’identité, qui ne resurgit subrepticement dans l’espace médiatique qu’à l’occasion de fermetures d’usines ou de conflits sociaux. Les ouvriers constituent pourtant 25 % de la population active. “Il y a toujours des ouvriers, il n’y a plus de classe ouvrière”, résume l’historienne Marion Fontaine.
Comment parvient-on à faire disparaître une catégorie entière de la population – la plus indisciplinable, toujours susceptible de briser le vieux rêve d’unanimisme social – des représentations collectives ? Les réalisateurs de cette fresque documentaire, riche des témoignages de cinquante familles ouvrières, répondent en filigrane à cette question.
Des récits souvent émus de tourneurs-fraiseurs, mineurs, métallos…
L’historien Xavier Vigna évoque “les stratégies patronales pour effacer le mot ouvrier”, afin de “briser une identification à la fois sociale et politique”. On parlera d’“agent de production”, de “technicienne de surface”, comme on privilégie le terme de “plan de sauvegarde de l’emploi” à celui de “plan de licenciements”.
A l’écoute des récits souvent émus de ces tourneurs-fraiseurs, mineurs, ajusteurs, métallos, sténodactylos et autres petites mains du textile, plusieurs idées reçues volent en éclats. Comme celle qui fait peser sur les ouvriers le soupçon de vote Front national. “La réalité, c’est que la classe ouvrière ne vote plus, mais ce n’est pas vendeur de dire qu’elle est allée à la pêche”, constate l’économiste Bertrand Rothé.
“Moi, je ne voterai jamais pour eux. Quand ils seront au pouvoir, les merles ne chanteront peut-être plus comme les grives”, tranche un vieil ouvrier de manière imagée. Alors que la classe ouvrière a perdu de son évidence, Nous, ouvriers lui redonne toute sa dignité, en lui permettant de faire son propre récit.
Nous, ouvriers documentaire de Claire Feinstein et Gilles Perez.
Les lundis 14, 21 et 28, à 23 h 20, France 3
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