Grivoiseries lubriques et autres joyeusetés sont présentées dans une foisonnante et sérieuse exposition d’archives à Londres. Plongée dans les arcanes de la sexologie et clin d’oeil érudit à la série Masters of Sex.
La gaudriole déplace les foules : à Londres, des hordes de curieux font sagement la queue à la Wellcome Collection pour l’exposition « The institute of sexology: undress your mind ». Non loin de la gare Saint-Pancras se trouve ce fond privé d’un ancien entrepreneur en pharmacie, Henry Wellcome, lui-même collectionneur fervent et très porté sur la chose. En pleine controverse sur les « porn laws » en Angleterre, et en contre-point à l’expo parisienne sur le Kâma Sûtra, celle-ci, gratuite, rassemble pendant encore neuf mois 200 objets hétéroclites. Parmi les merveilles amoncelées, des godemichés en écailles de tortue époque 1900 et autres vibrateurs pour guérir de soit-disant « rhumes ». L’on y découvre en passant dans des vitrines un portrait de Lili Elbe, première trans opérée en 1928, un exemplaire du premier journal gay, Der Eigene (1896) ou encore des lettres d’insultes d’anonymes courroucés à Marie Stopes, activiste pionnière de la contraception en Angleterre. Mais aussi d’antiques amulettes romaines gaillardement proportionnées provenant de la collection privée de Freud. Visite guidée par l’une des deux commissaires de l’exposition, Kate Forde.
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S’agit-il de la première manifestation de ce type en Angleterre ?
On compte quelques expositions autour de l’art et de la sexualité, comme Seduced à la galerie Barbican en 2007, mais rien de cette ampleur n’a jamais été entrepris autour des sciences de la sexualité.
Comment avez-vous trié ces objets puis élaboré la conception de cette exposition ?
Une partie des fonds de Henry Wellcome a été disséminée à sa mort, aux Etats-Unis, ou au Science Museum. La collection dispose d’un immense entrepôt à Londres où nous nous sommes lancés dans une véritable chasse au trésor pour dénicher ces objets liés à la sexualité. Nous nous sommes entourés d’experts en sexologie, de consultants, d’archivistes et d’artistes contemporains. Comme beaucoup de collectionneurs de son temps, Henry Wellcome était persuadé que toutes les religions du monde prenaient leur origine dans le culte de la fertilité, ou « culte phallique ». D’où l’abondance d’objets amassés dans le monde entier.
La sexualité est un vaste champ de recherches, comment en délimiter le cadre pour une exposition ?
Nous nous sommes concentrés sur l’étude de la sexualité plutôt que sur la sexualité en général. A travers la médicalisation du sexe, à partir du 19ème siècle, l’on montre comment le sexe a été légitimé comme objet d’étude par des docteurs, des chercheurs, des activistes ou encore des gens ayant un message politique à faire passer. L’exposition montre bien également que ce qui est en jeu à travers le sexe, c’est la liberté d’expression des individus.
L’exposition souligne à la fois la continuité et les ruptures dans la criminalisation et la pathologisation de la sexualité (notamment celle des homosexuels).
C’est un enjeu majeur, qui permet de nous confronter à nos idées reçues. On a constaté, surtout au 19ème siècle encore une fois, un intérêt accru pour les populations et la manière dont celle-ci se reproduisent, car la « force » d’une nation en dépend ! Ces problématiques se retrouvent encore aujourd’hui dans l’agenda politique. En Occident, la liberté d’expression sexuelle est un acquis que plus personne ne songe en général à remettre en cause, or, il reste illégal d’être LGBT dans plus de 80 pays. Notre situation n’a rien d’idéal non plus : au Royaume-Uni, par exemple, on est très à l’aise pour parler de sexe quand il s’agit de critiquer les dangers de la pornographie sur internet… mais beaucoup plus timorés en ce qui concerne l’éducation sexuelle, par exemple. Pour résumer, la croyance très répandue selon laquelle nous serions bien plus expérimentés ou savants en matière de sexualité que nos ancêtres n’est pas forcément exacte.
Vous êtes-vous appuyés sur la pensée de Michel Foucault ?
Son travail a été crucial pour nous, en particulier ses idées sur le fait que le sexe, soit-disant tabou sature en réalité notre discours, en permanence. Mais aussi ses écrits sur la confession et l’impact qu’a eu l’église sur la manière de parler du sexe et de raconter l’intimité.
Quel est votre objet favori dans l’exposition ?
Contre toute attente, il s’agit d’une petite collection de guêpes empaillées appartenant au scientifique Alfred Kinsey (NDLR: un Américain auteur de deux études retentissantes sur la sexualité). Je reconnais qu’il est un peu surprenant de les trouver dans une exposition sur la sexologie. En réalité, c’est en observant ces insectes et en remarquant que chacune de ces guêpes était différente et unique, avec un comportement propre, que Kinsey en a déduit ensuite ses théories sur la sexualité humaine. La diversité de l’expression humaine sexuelle avant tout, voilà un message très fort sur la norme, « l’anormalité » et la ségrégation sexuelle. Sa manière stimulante de penser la sexualité continue de nous donner du grain à moudre, c’est très libérateur.
Le succès populaire de la série Master de of sex, sur les recherches menées par les scientifiques américains William Masters et Virginia Johnson est-il pour quelque chose dans l’attrait de cette exposition ?
Sans doute. La série n’est pas mauvaise, certains visiteurs seront ainsi déjà familiers de leurs travaux. Virginia Johnson a joué un rôle clé en annonçant dans le champ médical les arguments à venir du mouvement féministe: les revendications du plaisir sexuel féminin, la diversité de l’expérience sexuelle féminine, et des orgasmes. De manière générale, le langage de la culture pop est toujours une bonne introduction à ces questions.
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