La polémique enfle autour d’une réduction d’impôts des dons pour la reconstruction de Notre-Dame qui pourrait bénéficier aux fortunés. L’occasion, pour des économistes, de revenir sur l’utilité même de cette niche fiscale du mécénat.
Les cendres de Notre-Dame de Paris étaient encore chaudes, que les élans de générosité pour sa reconstruction affluaient déjà de toutes part. On compte 200 millions pour Arnault, 100 millions pour Pinault, 200 millions pour Bettencourt. Grands noms, gros chiffres, ces dons-là ont été surmédiatisés. Mais ce vraisemblable altruisme n’a pas manqué de déclencher une polémique : ces dons pourraient logiquement bénéficier d’une réduction d’impôts de 60% pour les entreprises (dans la limite de 0,5% de leur chiffre d’affaire) et 66% pour les particuliers (dans la limite de 20% du revenu imposable), au nom de la niche fiscale du mécénat. Un traitement qui pourrait peser lourd dans les caisses de l’Etat.
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Défiscalisation de 90% du don pour les “trésors nationaux”
Instaurée par la loi Aillagon de 2003, censée favoriser le financement de la culture, cette réduction d’impôt peut monter à 90% du don pour les “trésors nationaux”. Les députés LR (Les Républicains) ont déposé une proposition de loi en ce sens au lendemain de l’incendie, mardi 16 avril : ils veulent donner ce statut à Notre-Dame de Paris afin que les dons “jusqu’à 1000 euros” soient défiscalisés à 90%. “Je ne vois pas l’intérêt”, réagit Jean-Michel Tobelem, professeur de gestion. “Ce statut sert à empêcher certains trésors de quitter le territoire national. Dans ce cas-là on comprend l’urgence de réunir des fonds. Dans le cas de Notre-Dame, ça n’a pas de sens.”
“C’est une sorte d’impôt forcé”
Jean-Michel Tobelem, également animateur du site Option culture, spécialisé dans le management du secteur culturel, va au-delà et critique le principe même de la niche fiscale du mécénat : “C’est une sorte d’impôt forcé. Si on accorde une subvention à un don, c’est l’ensemble de la collectivité qui va payer, même ceux qui ne le voulaient pas, explique l’économiste. D’autant que la moindre rentrée fiscale devra bien être compensée quelque part.”
Chaque année, ce système a coûté plus de 900 millions d’euros à l’Etat – douze fois plus qu’il y a quinze ans, indique un rapport de 2018 de la cour des comptes. Cette dernière invitait alors à “mieux réglementer le mécénat d’entreprise” en raison d’un manque à gagner excessif. Jean-Michel Tobelem acquiesce : “Il faut convaincre les chefs d’entreprise que le mécénat est bon en soi, et pas seulement pour des avantages fiscaux.” Le professeur de gestion appelle même à supprimer cette niche fiscale qui n’a pas de sens, selon lui. “Il n’y a pas de preuve dans la littérature économique qu’il y ait un effet de levier. C’est-à-dire que rien n’indique qu’une personne donnera plus que ce qu’elle avait prévu à l’origine grâce à cette réduction d’impôt.” Pour lui, une vraie “dépendance” se créée vis-à-vis de la générosité des donneurs.
Sur RMC jeudi 17 avril, Bertrand de Feydeau, vice-président de la Fondation du Patrimoine, expliquait, au contraire, voir un dispositif vertueux qui attirerait les gros donateurs. “La générosité des Français, même si elle est incitée par un aspect fiscal, vient alléger la charge de l’Etat dans un bien qui lui appartient.” Jean-Michel Tobelem, préfèrerait, lui, une position claire où l’Etat “prendrait ses responsabilités” en annonçant un montant alloué, et toujours en acceptant les dons sans pour autant les subventionner. “Les Français sont généreux. Nous n’avons pas besoin d’acheter le don.”
Notre drame, c'est aussi que lorsqu'Arnault et Pinault s'offrent une page de pub en jouant à la course aux dons, on oublie de dire que LA PLUS GRANDE PARTIE de ces dons sera à la charge de l'ENSEMBLE DES FRANÇAIS à travers les réductions fiscales. ⬇️ pic.twitter.com/3rvvDFtafo
— Julia Cage (@CageJulia) April 16, 2019
L’économiste Julia Cagé appelle dans un tweet à ne pas tomber dans le “piège américain”. C’est l’idée que les plus fortunés seraient plus efficaces que l’Etat et pourraient, sans passer par les taxes, redistribuer leurs richesses où bon leur semble. Elle appelle à un système plus démocratique où “l’ensemble des citoyens est censé décider où l’argent doit être redistribué”. “Il n’y a aucune raison qu’on subventionne l’argent des plus riches [avec cette réduction d’impôts]”, soutient celle qui fut responsable économique de la campagne présidentielle de Benoît Hamon.
Un Français sur deux ne peut pas bénéficier de la réduction d’impôt
Julia Cagé tient aussi à souligner l’injustice de cette réduction d’impôt : “Plus d’un Français sur deux [57% de foyers non imposables en 2017, ndlr] ne peut pas bénéficier de cette niche car ils ne paient pas d’impôt sur le revenu. Alors que l’effort financier va être plus important pour ces familles, ils vont payer leur don plein pot, contrairement aux plus riches.” L’économiste pointe aussi la surexposition des grandes fortunes. “Cette manière de survaloriser les dons des milliardaires pose problème. Cette escalade est aussi une manière de se payer une page de publicité. Cela aurait pu être fait de manière beaucoup plus discrète.”
Face à la polémique, la famille Pinault, actionnaire majoritaire de Kering (LVMH), a renoncé à la réduction fiscale de la loi Aillagon sur ce don. Une initiative qui “va dans le bon sens” pour la professeure d’économie à Sciences Po. Les critiques sont pourtant loin d’être taries. A l’image de Philippe Martinez, leader de la CGT, qui s’est exprimé sur Franceinfo, jeudi 17 avril : “S’ils sont capables de donner des dizaines de millions pour reconstruire Notre-Dame, qu’ils arrêtent de nous dire qu’il n’y a pas d’argent pour satisfaire l’urgence sociale (…). Il y a aussi besoin de mesures pour régler l’urgence sociale”.
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