Par l’anecdote ou le prisme de la pop culture, Benjamin Brillaud s’est lancé avec sa chaîne YouTube « Nota Bene » un défi de taille : parler d’histoire en la rendant accessible, sans l’estropier. Récit d’un pari réussi.
Les croisades, la Révolution française ou l’Egypte antique dans Assassin’s Creed, les deux guerres mondiales dans Battlefield ou Call Of Duty, ou les jeux de gestion type Age of Empire ou Civilization qui ont pour but de faire évoluer un peuple sur plusieurs périodes historiques : si elle n’est que trame de fond d’une intrigue et d’un gameplay, l’histoire est omniprésente dans les jeux vidéo. Mais placer un jeu dans un contexte historique précis contraint par nature ses développeurs à parler de cette époque, de ce qu’il s’y passait, d’à quoi le monde ressemblait et de comment les gens y vivaient.
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https://www.youtube.com/watch?v=uzXCS3ukeBY
Cette représentation de l’histoire dans le medium vidéoludique, Benjamin Brillaud la décortique dans History’s Creed, un programme d’ARTE Creative dans lequel le vidéaste a eu carte blanche pour questionner la façon dont les développeurs de jeux vidéo participent à la vision que les joueurs ont de certaines périodes historiques en prenant, comme nous explique Benjamin Brillaud, certaines libertés au passage. « Quand je suis allé rencontrer Ubisoft pour leur parler d’Assassin’s Creed, je m’attendais à les trouver beaucoup plus fuyants sur la question historique. Alors qu’un directeur artistique n’a pas eu de mal à me dire qu’en effet, ils réécrivaient l’histoire, faisaient des choix, pour faire du storytelling. Mais ce qu’il était intéressant de voir avec eux, c’était la raison de ces choix. Et on s’aperçoit qu’il y a souvent une justification« .
Se lancer sur YouTube pour « ne pas rester inactif »
Le vidéaste n’a pas attendu qu’ARTE l’appelle pour aborder la pop culture par l’imposant prisme de l’histoire, domaine dans lequel baignent nombre d’œuvres culturelles en dehors du jeu vidéo, mais dont les recoins ancestraux sont plus souvent associés à des souvenirs de salle de classe qu’au divertissement. Lui qui en 2014 se retrouve sans activité professionnelle, décide de mettre à profit son expérience dans l’audiovisuel pour se lancer sur YouTube, et choisi un domaine jusqu’alors sous-représenté sur la plateforme. « J’avais envie de reprendre l’histoire, que j’avais abandonnée à la fac, et surtout de ne pas rester inactif pour montrer plus tard, si ça ne marchait pas, que j’avais été capable de tenir une ligne éditoriale sur une émission que j’avais créée de A à Z. Avec bien sûr l’espoir que ça fonctionne, sans me douter que ça puisse devenir mon travail. »
Et c’est après une petite période de rodage où il s’est « approprié les codes de YouTube, tant en terme d’écriture que de présentation« , que Benjamin Brillaud trouve son rythme pour Nota Bene, à travers des formats un peu plus longs que la moyenne et un ton posé, chaleureux. « Il m’a quand même fallu une petite dizaine d’épisodes pour cela« , se souvient-il trois ans et demi plus tard. De la mode des vidéos « tops« , qui recense une liste de faits et qui a connu un grand succès sur le web, il garde l’approche de l’histoire par l’anecdote, « toujours pour parler d’un contexte historique plus global« , sans céder à la pression de l’humour à tout prix qui peut sévir sur internet. « Ce n’était pas gratuit« , résume-t-il.
« J’avais cette volonté de chercher des sujets un peu loufoques, pour distiller un message de fond. Pas de faire le guignol face caméra en balançant une blague toutes les deux phrases. »
Aborder l’histoire par la pop culture
Nota Bene devient alors, au fil des épisodes et des différents formats naissants et avec la collaboration de sa compagne Coralie Brillaud, une chaîne conséquente autour de l’histoire qui atteint aujourd’hui les 630 000 abonnés. Parmi ses multiples émissions, Benjamin Brillaud lance en avril 2015 Motion VS History, un programme qui décortique les références historiques qui peuvent se cacher dans les productions culturelles à succès, quand bien même elles se dérouleraient dans un univers fictif. En témoigne le premier épisode, consacré à Game of Thrones.
« On peut aller chercher du sens dans toute œuvre. Ce qui est intéressant avec la pop culture, c’est que ça nous touche tous. On a un affect particulier avec Harry Potter, Game of Thrones, Star Wars… Et en allant chercher cet affect, on peut intéresser les gens. »
Que ce soit sur sa chaîne ou sur ARTE, approcher la pop culture par l’histoire permet à Benjamin Brillaud, comme à de nombreux autres journalistes, vidéastes, chercheurs et blogueurs, de pointer du doigt certaines incohérences historiques et surtout d’expliquer que la façon dont les œuvres racontent l’histoire sert aussi une vision du monde. L’histoire, dit-on, est racontée par les vainqueurs. Mais le whitewashing (faire jouer des personnages non-blancs par des acteurs blancs) souvent pointé du doigt dans les grandes productions occidentales (on se souvient de Jake Gyllenhaal dans le rôle du… Prince of Persia), et la sous-représentation des femmes et des minorités dans ces mêmes productions (comme l’a encore montré récemment la polémique autour du jeu Kingdome Come Deliverance), montrent que l’histoire est également racontée par une catégorie bien précise de la population dans les œuvres de fiction.
Changer la société pour changer la pop culture ?
Comment se fier alors à la façon dont les œuvres de la pop culture représentent l’histoire et ses grands personnages ? « Les choses évoluent. Il y a déjà un changement qui se fait du point de vue sociétal. Et ce changement se répercutera dans l’art. On y arrive petit à petit. Dans les jeux vidéo, on trouve de plus en plus de personnages féminins forts par exemple, et des ethnies plus variées comme dans le dernier Street Fighter, avec l’apparition de Rashid, un personnage arabe« , commente avec optimisme l’intéressé.
A propos du jeu Kingdome Come Deliverance, dont il fait l’éloge dans sa série History’s Creed, Benjamin Brillaud tempère : « Les gens qui ont soulevé ce problème ont raison. Il y avait effectivement des personnes de couleur à cette époque en Bohème. C’était une très petite minorité. Mais par exemple, on ne parle pas du fait que dans le jeu, les populations turques sont représentées. Si le jeu a été autant visé, c’est surtout à cause de son créateur, quelqu’un qui a des idées qui puent. Mais c’est oublier qu’un jeu vidéo, c’est une création collective, et que le jeu ne sert pas ce propos-là« .
https://www.youtube.com/watch?v=hremLN5qIUQ
L’histoire, souvent maltraitée en politique
L’autre grand poncif de l’histoire veut que celle-ci nous aide à comprendre notre présent. La façon de la raconter revêt alors un intérêt politique, et les acteurs de notre sphère politique ne se privent pas d’en convoquer certaines références pour appuyer leurs discours, en s’arrangeant là encore parfois avec la vérité. Et c’est avec deux formats sur sa chaîne que Benjamin Brillaud revient sur ces discours d’abord sociétaux, d’une façon très large avec Un Peu d’Histoire, pour parler du journalisme ou encore de l’acquisition des droits au travail, et d’une façon plus précise avec une série de vidéos plus simples et directes, dans lesquelles il réagit à certains propos comme ceux de Marine Le Pen sur la rafle du Vel d’Hiv, ou de Nicolas Sarkozy sur nos ancêtres gaulois.
« L’important pour moi, c’est de pouvoir enclencher un débat. Je reviens sur ces utilisations politiques de l’histoire pour les pointer du doigt, et si possible les déconstruire, pour déclencher ensuite une réflexion. Même si je mets un peu plus de moi, de mon grain de sel, dans ce format que dans les autres émissions. »
Le vidéaste n’avait en effet pas caché son opposition à la loi travail, ni son soutien à l’eurodéputée Julia Reda alors qu’elle portait devant le parlement européen un rapport sur le droit d’auteur qui concernait particulièrement les créateurs sur le web. Mais au-delà de ses prises de positions sur des sujets actuels, Benjamin Brillaud doit également, dans son métier de vulgarisateur sur internet, faire face à des désaccords sur la véracité de certains faits historiques. « Quand il y plusieurs hypothèses sur un fait, il faut toutes les présenter. Et expliquer si c’est possible que l’une semble plus plausible que l’autre, en utilisant le conditionnel pour prendre des pincettes. C’est toute une formulation à travailler, explique-t-il. Il faut être honnête avec le public« .
Raconter l’histoire, mais aussi la montrer
Des difficultés à faire parfois la lumière sur certains faits précis de telle ou telle période, qui découlent d’un problème récurrent, aussi bien pour les chercheurs que les vulgarisateurs : le manque d’archives et d’images permettant de reconstituer une vision précise de l’époque en question. A l’échelle de YouTube, le problème se pose également d’un point de vue pratique. Si l’on peut parler avec plus ou moins de certitude du mode de vie au moyen-âge, comment le montrer ? Benjamin Brillaud a lui fait le choix de développer un format documentaire particulièrement intéressant, qui permet autant de mettre des images sur des pratiques que l’on ne découvre souvent qu’à travers des textes, que de montrer les efforts de ceux qui aujourd’hui prennent des initiatives pour préserver ces savoirs. Comme on peut le voir dans son reportage sur l’Archéosite de Montbazon en août 2016.
« Si je suis parti en reportage pour ma chaîne, c’est aussi pour moi. Je me disais que ça plairait peut-être moins au public, mais j’ai fait ça pendant sept ans avant de me lancer sur YouTube. Et j’avais envie de retrouver cette ambiance de partage, de rencontre, avec une équipe. J’aime le travail collectif. »
Avant de nous quitter, ce fan de metal nous confie préparer un épisode spécial sur sa chaîne, adapté d’une conférence donnée quelques jours plus tôt traitant à la fois de l’histoire et de Pokémon. Preuve que les références peuvent se cacher absolument partout. Et que les dessins animés, comme les jeux vidéo, films et séries de la pop culture, sont des objets de réflexions scientifiques et historiques, au même titre que toutes les autres productions culturelles.
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